Voici les télégrammes de la semaine, ces infos africaines qui n’ont pas échappé à la sagacité de notre chroniqueur, Philippe Duval: viols d’enfants centrafricains par des soldats français, faillite du système éducatif en Afrique francophone, Gbagbo désigné président de parti, l’impasse après les élections au Togo…
Militaires violeurs, la règle de l’impunité
En matière de violences sexuelles sur les théâtres de guerre, l’ONU a beau se draper dans un manteau d’indignation, elle ne convainc personne. L’accusation de viols d’enfants centrafricains portée contre quatorze militaires français n’est qu’un chapitre supplémentaire à ajouter à la longue litanie des abus sexuels commis depuis des années par des casques bleus. Pour la seule année 2014, 79 cas ont été recensés, des militaires mais aussi des civils en goguette, sur trois théâtres d’opération, la RDC, Haïti, le Soudan du Sud. En 2013, 96 cas, sans autre précision de l’ONU. En remontant le temps, les affaires de violences sexuelles sont encore plus nombreuses. Et, il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg. En général, elles se terminent par des rapports enfouis dans les tiroirs. D’une manière générale, les « enquêteurs » de l’ONU se bornent à recueillir des témoignages, parfois rapportés, sans les accompagner des preuves que nécessitent l’exercice de la justice. De plus, beaucoup de gouvernements protègent la réputation de leurs « soldats de la paix ». Les contingents africains (les Nigérians en particulier), sont régulièrement accusés d’exactions diverses et variées sur les théâtres de guerre où ils sont envoyés. Sans qu’aucune action judiciaire ne soit jamais engagée. Qui peut aussi imaginer que des militaires pakistanais, accusés de viols de jeunes africaines, soient jugés par la justice de leur pays, puisque c’est à elle que revient le dernier mot? Dans le cas des soldats français, l’ONU dit enquêter depuis neuf mois et reconnaît n’avoir identifié, sur la base des témoignages de dix enfants ou adolescents, qu’une toute petite partie des présumés violeurs. L’enquête est d’autant plus compliquée que les faits se sont déroulés sur une période de six mois où trois contingents différents ont pu se succéder, la relève des troupes françaises ayant lieu tout les quatre mois. Dans ces affaires d’abus sexuels, ce n’est donc pas la tolérance zéro qui prévaut, comme le clame l’ONU, mais l’impunité quasi totale.
Des millions d’enfants africains menacés d’une année « blanche »
Le système éducatif de pays comme le Niger ou le Mali est quasiment en faillite et produit 70% d’analphabètes. Ce terrible constat s’accompagne d’un autre phénomène dans d’autres fleurons de l’Afrique francophone: la paralysie de l’école à cause de grèves interminables. Au moins trois pays sont actuellement touchés, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Gabon où les enseignants ont posé la craie, parfois depuis des semaines, pour réclamer des augmentations de salaires ou des primes. Leur salaire moyen ne dépasse guère 200 euros par mois. Mais les gouvernants, qui gaspillent souvent des sommes considérables dans des projets tapageurs et inefficaces, restent intransigeants et laissent pourrir les grèves. Résultat, des millions d’enfants ivoiriens, sénégalais ou gabonais sont menacés d’une année blanche.
Emigration et naufrages en Méditerranée: l’illusion de l’Eldorado
On a tout lu et tout entendu sur les causes de l’émigration massive d’Africains dont plus d’un millier ont trouvé la mort dans les naufrages de leurs bateaux. L’Europe a été justement mise au banc des accusés. Moins souvent, on a mis en cause les chefs d’état africains qui confondent les ressources de l’état avec leurs caisses personnelles, vendent leurs pays à des multinationales étrangères, et sont incapables de prendre le chemin du développement. Un Sénégalais Karim Sané, président d’une petite ONG en Allemagne, inquiet de la fuite de ses compatriotes vers l’Europe, pointe lui aussi la responsabilité des dirigeants européens et des chefs d’état africains. « Pendant qu’ils se barricadent, les Européens continuent d’exploiter les richesses de l’Afrique la bauxite de la Guinée, le coltan de la RDC, l’uranium du Niger, s’insurge t-il. Les ressources halieutiques de nos mers sont raflées par les bateaux étrangers. » « Une fois sur place dans le pays d’accueil, ajoute t-il, l’émigré ne peut pas revenir en arrière, parce qu’il ne voit aucune ambassade qui l’accompagne comme cela se fait pour les européens qui parfois reçoivent le billet d’avion, pour rentrer chez eux quitte à le rembourser par la suite. »
Il pointe aussi les émigrés déjà installés en Europe qui cachent la réalité sur leurs conditions de vie et font croire à leurs familles ou à leurs amis restés sur place qu’ils vivent dans le luxe alors qu’ils tirent le diable par la queue. Et quand ils parviennent à revenir pour des vacances dans leur pays d’origine, ils ‘’maquillent de mensonge’’ leur situation « en montrant des signes de richesse de nature à inciter les autres à tenter l’aventure. »
Gbagbo emprisonné mais désigné président de son parti
En détention préventive depuis quatre ans sans que la Cour Pénale Internationale à La Haye, n’ait fixé la date de son procès, Laurent Gbagbo, ex-président de la Côte d’Ivoire de 2000 à 2010, vient d’être désigné président du parti qu’il avait créé, le FPI (Front Populaire Ivoirien) par un millier de militants réunis à Mama, le village natal de leur champion dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Ses partisans ont aussitôt annoncé leur « refus de participer à la présidentielle » d’octobre, exigeant notamment « la libération du président Gbagbo, le candidat naturel du FPI », pour revenir sur leur décision. Depuis des mois, le FPI est divisé entre des militants historiques qui refusent tout compromis avec Ouattara, déjà entré en campagne pour sa réélection en 2015, et des hiérarques, réunis autour de Pascal Affi N’Guessan, président du FPI au moment de l’arrestation de Gbagbo par les forces spéciales françaises en avril 2011. Récemment jugé comme d’autres militants de son parti pour les événements tragiques de la crise post-électorale, Affi N’Guessan a écopé de 14 mois de prison avec sursis alors que certains de ses coaccusés écopaient de 20 ans ferme.
Togo: « Fabre et Faure, c’est pareil! »
Jean-Pierre Fabre, candidat d’une coalition de plusieurs partis d’opposition, a affirmé mercredi se considérer comme le président élu du Togo, rejetant les résultats « frauduleux » qui donnent le sortant Faure Gnassingbé largement vainqueur de l’élection présidentielle par 58,75% des voix. L’Union Européenne (UE) a estimé que l’élection s’était « déroulée dans le calme, confirmant l’attachement du peuple togolais à la démocratie ». Les missions d’observation de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et de l’Union Africaine (UA) ont décrit un scrutin libre et transparent. Et une ONG ayant déployé 1.200 observateurs sur le terrain, a considéré qu’il s’agissait d’un « scrutin acceptable », respectant « les règles en vigueur au niveau national mais également les standards internationaux ». L’élection a laissé de nombreux habitants de marbre, l’un d’eux déclarant, ce qui reflète un sentiment largement partagé: « On veut le changement, mais sans Faure et sans Fabre. Il faut qu’ils s’en aillent tous les deux, ils sont pareils ».
« La situation en Côte d’Ivoire, une menace »
Alassane Ouattara, le président ivoirien, avait demandé la levée de l’embargo sur les armes et le départ du contingent de l’ONU après la présidentielle d’octobre 2015. Le Conseil de sécurité de l’ONU vient de lui répondre par une résolution dans laquelle il décide de maintenir les sanctions imposées à la Côte d’Ivoire jusqu’au 30 avril 2016 et de proroger pour la même période l’embargo sur les armes. Après avoir examiné toutes les violations de droits de l’homme et du droit humanitaire international qui restent très nombreuses, le Conseil indique que « la situation en Côte d’Ivoire continue de poser une menace à la paix internationale et à la sécurité dans la région ». Il exhorte aussi tous les combattants armés illégaux à déposer immédiatement leurs armes. Plusieurs milliers de ces combattants venus de pays voisins pour se joindre aux forces de Ouattara contre celles de Gbagbo, sont toujours dans la nature.