A l’occasion du traditionnel discours sur l’état de l’Union que Donald Trump a prononcé devant le Congrès américain, Dov Zerav, ancien patron de l’Agence Française du Développement (AFD) et directeur du site Economiesafricaines dresse un bilan nuancé.
Imprévisible, Donald Trump a appelé au rassemblement et à l’unité de la Nation. Les commentateurs ont noté sa modération. Est-ce le signe d’une inflexion après une première année chaotique marquée par des tweets et déclarations provocatrices ? Ou est-ce simplement tactique pour s’acquérir les faveurs des élus démocrates dont les voix sont nécessaires pour faire adopter certains projets ?
Le Président Donald Trump a particulièrement insisté sur la bonne santé économique du pays. Les Etats-Unis connaissent un cycle de croissance exceptionnellement long de 8 ans, certes commencé sous la précédente administration mais qui aurait pu s’inverser eu égard les incertitudes, voire les inquiétudes qu’il a lui-même créées. Le PIB a augmenté de 2,3 % en 2017, après les 1,5 % de 2016, dernière année de son prédécesseur. Le Président peut mettre en avant la tendance de 2,6 % des derniers trimestres de 2017 et la perspective de 3 % pour 2018.
La croissance est soutenue par l’investissement et la consommation alimentée par un chômage à 4,1 %, le taux le plus bas depuis 17 ans. Le quasi plein emploi, et la volonté réitérée de contrôler l’immigration risque de créer des tensions déjà perceptibles sur les salaires. La croissance pourrait être dopée avec la concrétisation des mesures fiscales, mais contrariée par une éventuelle correction boursière.
En tout état de cause, la FED poursuivra son atterrissage monétaire avec la probable hausse des taux américains. Comment la dépréciation du dollarpourrait-elle se poursuivre avec l’augmentation des taux américains ? Ce sera une des grandes questions de 2018 d’autant qu’elle a donné lieu, lors des dernières rencontres de Davos, à un cafouillage entre le secrétaire d’Etat au Trésor exprimant sa satisfaction sur la faiblesse du dollar et son Président affirmant le contraire.
Il a passé sous silence l’échec sur la suppression pure et simple du système de santé mis en place par Barack Obama, ainsi que sur la construction d’un mur à la frontière avec le Mexique, payé par ce dernier. Néanmoins, 2017 a enregistré une réduction drastique des entrées clandestines. Est-ce l’effet de cette politique déclamatoire et d’une imprévisibilité alimentant les peurs ?
Il a également passé sous silence les déficits jumeaux du budget fédéral et de la balance des paiements. Et cela ne va pas s’améliorer s’il réussit, comme il l’a annoncé, à augmenter le budget militaire notamment pour « moderniser et reconstruire l’arsenal nucléaire », et à lancer un gigantesque plan d’infrastructures de 1 500 Mds$. Il veut faire construire « …des routes étincelantes, des ponts, des autoroutes, des voies ferrées et des voies navigables à travers le pays. »
A quoi cela sert-il d’augmenter les capacités des Armées et de déclamer « l’ère de la capitulation économique est terminée » quand il ne s’attaque pas au déficit du budget fédéral ce qui met les Etats-Unis dans une situation de dépendance vis-à-vis de la Chine, principal acheteur et détenteur de bons du Trésor américain ?
Cela explique en partie que les Américains ne peuvent prendre le risque d’agresser la Corée du Nord, et d’entrer dans un conflit généralisé avec la Chine. Nous sommes, comme durant la guerre froide entre Etats-Unis et Union soviétique, dans un équilibre de la terreur. Il devrait perdurer en 2018. Malgré les déclarations tonitruantes entre les Présidents américain et nord-coréen, le Président sud-coréen n’a pas hésité à déclarer que la reprise des discussions entre les deux Corée revient à Donald Trump. Peut-être que le shérif fait peur et incite ses adversaires à la prudence. L’imprévisibilité peut conduire certains à se dire « on ne sait jamais, ne prenons pas le risque ! »
Contre toute attente, il n’a pas hésité à bombarder la Syrie, et à reprendre, après l’avoir interrompue, l’aide aux opposants au régime de Damas. Le Président Donald Trump peut changer d’avis, et à faire mouvement.
Nonobstant les nombreuses critiques, le Président Donald Trump a :
- Annoncé la signature d’un décret présidentiel maintenant le camp de Guantanamo bay
- Indiqué que sa réforme fiscale, la plus grande de l’histoire des Etats-Unis, a déjà bénéficié à trois millions d’Américains, sans mentionner l’accroissement des inégalités qu’elle va engendrer, et qu’elle va accroître les bénéfices des entreprises déjà très substantiels
- Marqué à nouveau sa volonté de poursuivre la dérèglementation dans les domaines bancaire et financier, mais également en matière environnementale, sans faire allusion aux risques
- Réitéré sa volonté de modifier le partenariat commercial avec le Canada et le Mexique, malgré la déstabilisation des relations entre ces trois grands pays
- Pris à parti les régimes du Venezuela, de l’Iran, de la Corée du Nord, mais également de Cuba, ce qui peut remettre en cause le rétablissement des relations entre les deux pays
Au-delà des déclarations, des tweets, le Président Donald Trump nomme, décide, agit, fait bouger les lignes…Le paysage est en train progressivement de changer.
Ne nous arrêtons pas à la forme, ne commettons pas d’erreur d’analyse sur ses objectifs et décisions, même s’ils ne nous plaisent pas. Rappelons-nous que le Président Donald Trump a publié sept livres dont un, en 1987, au titre révélateur « de l’art de la négociation ». Et s’il faisait de l’imprévisibilité l’arme suprême pour déstabiliser ses adversaires ?
Il n’est pas certain que cette réforme ne se résume comme ce fut le cas sous George W. Bush en 2002, à un pur effet d’aubaine permettant de rémunérerles actionnaires, car la baisse de l’IS est cette fois structurelle : les Américains s’engagent dans la concurrence fiscale pour attirer les investissements. On peut ajouter une bonne nouvelle pour 2018, les compagnies énergétiques, en particulier les producteurs de gaz de schiste, devraient profiter de l’embellie des cours du pétrole et d’une déréglementation assez fortes des contraintes environnementales.
Second risque, justement, le commerce international, alors que les Américains renégocient avec les Canadiens et les Mexicains l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) et imposent des sanctions commerciales à leurs partenaires asiatiques. Cette attitude peut avoir des effets à court terme – des constructeurs automobile réinvestissent sur le sol américain pour éviter les barrières douanières – mais pénalisera à terme les multinationales américaines, qui vendent leurs services à travers la planète