Le Mauritanien Abou Hafs al-Mouritani, l’un des plus proches compagnons d’Oussama Ben Laden, a regagné Nouakchott où il vit maintenant tranquillement dans un quartier résidentiel.
C’est l’histoire à peine croyable du numéro trois d’Al-Qaida. Le journaliste mauritanien Lemine Ould Salem, domicilié à Paris, a pu s’entretenir longuement avec celui qui a été l’un des plus hauts dignitaires d’Al-Qaida, Abou Hafs. Il raconte cette incroyable rencontre dans un livre intitulé « L’histoire secrète du Djihad. D’Al-Qaida à l’Etat islamique » (*). Abou Hafs n’était pas le bras droit de Ben Laden, comme le sous-titre de l’ouvrage l’indique, encore moins son chef de guerre. Plutôt le mufti de cette organisation terroriste. Car, raconte-t-il, Al-Qaida n’avait surtout pas la « science islamique infuse ». Elle souffrait même « d’une réelle carence sur le plan des compétences théologiques et des sciences religieuses ». Abou Hafs assure qu’il a rompu avec Oussama Ben Laden juste avant le 11 septembre 2001. Car, affirme-t-il, les musulmans ne doivent combattre que pour se libérer des envahisseurs et des agresseurs. En revanche, « ils ne doivent pas tuer d’innocents qui ne les ont pas combattus ».
Le jeu trouble de l’appareil policier
Cet ancien dirigeant d’Al-Qaida vit à présent dans une villa à l’allure « respectable », dans un quartier résidentiel de la capitale mauritanienne. Une maison « encadrée par la demeure du maire adjoint de Nouakchott sur son flanc droit et celle d’une famille de diplomates européens sur son flanc gauche », raconte le journaliste Lemine Ould Salem. L’ancien djihadiste entretient même une surprenante relation avec Deddahi, l’ancien patron de la direction de la sûreté d’Etat (DES), « l’appareil policier traditionnellement chargé de la traque et la répression des activistes politiques… Et bien entendu ennemi des islamistes de l’envergure d’Abou Hafs ! ». Les temps changent.
Abou Hafs est né en 1967 à Rosso, une ville frontalière avec le Sénégal. Il viendrait d’une tribu au nom à consonance berbère, Idablahssenne. En 1984, à dix-sept ans, il intègre à Nouakchott l’Institut saoudien d’études islamiques. Une école qui accueille des élèves de toute l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb. L’établissement, fermé en 2001, aurait notamment formé Abou Bakr Shekau, le chef de Boko Haram… Le djihadiste mauritanien, virtuose en exégèse du Coran, passe brièvement par l’Afghanistan en 1991. Mais ce n’est qu’au Soudan, l’année suivante, qu’il fait la connaissance d’Oussama Ben Laden, et devient l’un de ses proches.
Les Ben Laden prisonniers en Iran
« L’histoire secrète du Djihad » permet de mieux approcher la grande famille d’Oussama, finalement assez peu connue. On apprend ainsi que son épouse Khadija l’a quitté en 1993, pour rejoindre l’Arabie saoudite. Son fils aîné, Abdallah, suit le même chemin en 1995. Le fondateur d’Al-Qaida s’oppose à ce que ses filles puissent faire des études. Plus tard, après le 11 septembre 2001, plusieurs membres de la famille Ben Laden se réfugient en Iran. Ils vont y rester de nombreuses années. « Il y avait donc Oum Hamza – de son vrai nom Sabar – la troisième épouse d’Oussama Ben Laden, et son fils Hamza. Et puis d’autres enfants, ceux de Najwa, la première épouse de Ben Laden : Saad, Othman, Fatima, Bakr, Imane (…) Il y avait aussi une dizaine de petits-enfants du chef d’Al-Qaida », raconte Abou Hafs.
Saad, le fils, tué par un missile
Son fils Saad, retenu dans la ville de Yazd, a réussi à s’évader et à rejoindre le Waziristân, au Pakistan. Mais il est mort « un peu plus tard, tué par un missile américain ». L’une des filles d’Oussama, Imane, qui n’a que 16 ou 17 ans, parvient à s’enfuir et à se réfugier à Téhéran à l’ambassade d’Arabie saoudite. Les Iraniens sont très ennuyés, car ils n’ont jamais admis détenir des djihadistes. Ils ne veulent pas qu’elles puissent rejoindre l’Arabie saoudite et qu’elle soit débriefée par les services saoudiens et américains. Que font-ils ? Ils contactent sa mère, Najwa Ghanem, la première épouse de Ben Laden, installée en Syrie. Après quatre mois de tractations, Imane accepte d’aller à Damas avec sa mère…
La « trahison » pakistanaise
En 2001, Abou Hafs, qui a rompu avec Ben Laden, s’est rapproché du mollah Omar. Il raconte qu’au lendemain du 11 septembre, le chef des services de sécurité pakistanais est venu à Kandahar pour demander aux Talibans de lâcher Ben Laden. Au début de l’entretien, l’émissaire pakistanais réclame la capture du fondateur d’Al-Qaida, pour répondre aux demandes des Américains. Mais à la fin, il retourne sa veste, et conseille au Mollah Omar de ne pas accepter cette demande…
Obligé de fuir après l’intervention occidentale, Abou Hafs se réfugie en Iran… où il a été retenu jusqu’en 2012, dans des conditions qui ont sans cesse variées, passant d’une cellule à un complexe résidentiel.
Il faudra bien qu’un jour les dirigeants mauritaniens s’expliquent sur ces facilités accordées à un grand nombre d’anciens djihadistes réfugiés à Nouakchott, devenu la base arrière des terroristes du Sahel.
(*) Flammarion, 238 pages.