Comment le sculpteur français de renom, Daniel Druet, est devenu l’artiste officiel du clan Sassou au Congo-Brazzaville
L’image du président du Congo, Denis Sassou N’guesso qui règne sans partage depuis plus de trente ans à la tête de ce petit pays pétrolier, est sérieusement ternie par un climat politique malsain : une élection présidentielle largement contestée, doublée d’emprisonnement des principaux opposants. Pour se racheter, le chef d’état congolais a entrepris de se faire tirer un portrait auprès du sculpteur français de renom, Daniel Druet. Et, la facture salée est adressée au contribuable congolais, déjà durement éprouvé par la « rigueur » économique.
Joli tableau de chasse
Au palmarès de l’éminent sculpteur parisien spécialisé dans la sculpture des personnalités célèbres du monde, figurent déjà ainsi Anouar el Sadate, Simone Veil, François Mitterrand, Léopold Sédar Senghor, Michel Rocard en passant par Serge et Charlotte Gainsbourg, Raymond Devos, le Pape Jean- Paul II, Coluche… leurs bustes en plâtre, bois ou en bronze, trônent dans son premier atelier [son second est situé à Saint-Ouen], installé rue Commandeur, dans le quatorzième de Paris.
Celui qui fut, dix ans durant, sculpteur attitré du musée Grévin, nous réserve un accueil chaleureux et nous entretient, sans réserve, de son travail…bien sûr aussi de Sassou, son « modèle » présidentiel.
Un client facile
Parmi tous ses modèles plus ou moins exigeants, Denis Sassou N’guesso figure parmi les clients faciles…bien sûr aussi généreux. Il montre un dévouement exemplaire lors des séances de pose qui se sont déroulés à raison d’une heure par jour pendant deux semaines à Oyo, village natif du Président et où seuls les intimes sont invités à se rendre « Il se prête de bonne grâce à la différence d’un Mitterrand très compliqué, qui arrivait généralement en retard aux séances de pose», compare-t-il.
En dépit de la dureté des temps due à la chute du baril, le sculpteur y sera bien accueilli : notes de frais conséquentes, voiture avec chauffeur, hôtel luxueux, déplacement en Jet, et bien sûr des tête-à-tête amicaux, au cours desquels Daniel raconte des blagues, des histoires belges ou des bons mots de Sacha Guitry. Son « modèle » présidentiel ne reste pas de marbre, loin s’en faut : « Il se marre beaucoup, en plus on a les mêmes âges, donc on s’est découvert des plaisirs identiques. », confie le sculpteur âgé de 76 ans [il est de 2 ans plus âgé que le président du Congo, né, officiellement en 1943]. « J’ai eu l’occasion de rencontrer le Président en tête-à-tête alors que certains ministres ne le voient qu’en Conseil des ministres ou lors des cérémonies protocolaires », se souvient t-il.
Au gré des commandes
La relation s’est nouée autour d’un buste à l’effigie d’Edith-Lucie Bongo, qui fut la fille chérie du président. Tout a commencé avec une visite d’Arlette Nonault Soudan, nièce du président congolais et épouse du journaliste François Soudan de « Jeune Afrique ». A la clé de cette visite, une première commande du buste d’Édith Lucie Bongo Ondimba, décédée en mars 2009. Fille du président Denis Sassou N’Guesso, elle était aussi l’épouse d’Omar Bongo, l’ancien président du Gabon. Profondément attachée à sa fille, Sassou souhaite faire ériger un buste à son effigie au cimetière familial d’Edou. Il demande d’abord à ses filles Ninelle et Julienne Johnson Sassou dit «Joujou» de rechercher un sculpteur.
Une première commande est d’abord exécutée… en Corée du nord ! Mais le résultat déplaît vivement au Président dont on sait qu’il a depuis belle lurette tourné le dos au marxisme léninisme…
Sassou persiste dans son projet et demande à ses filles de mobiliser leur cousine, Arlette Nonault Soudan, qui vit alors à Paris. Dans les mois qui suivent, les enfants de la défunte, Omar Denis Junior et Yacine, mais encore leur grand-mère Madame Dirat et encore leurs tantes, Julienne Johnson et Ninelle Sassou N’Guesso ont entrepris un siège en règle de l’atelier du « grand maître sculpteur » afin d’apprécier le buste dédié à leur mère, fille et sœur.
Un travail jugé parfait
Faute de modèle vivant, Daniel Druet passera des jours devant son téléviseur à visionner des vidéos d’Edith-Lucie. Le résultat sera jugé parfait. « J’ai réussi à restituer à Sassou le regard de sa fille disparue », confie-t-il. De fait, emballés, pas moins de dix membres de la famille Sassou souhaiteront acquérir un exemplaire du buste en bronze d’Edith.
Dix années donc d’une relation très suivie entre le sculpteur et la famille présidentielle qui seront jalonnées de bien d’autres commandes. Aujourd’hui, c’est un buste en bronze du président congolais qui patiente dans l’atelier et doit être livré au Congo dans les tous prochains jours.
La statue en bronze d’Edith-Lucie Bongo, elle, a déjà été acheminée à Oyo. Elle sera érigée devant l’hôpital qui porte son nom et l’inauguration officielle est prévue pour la première quinzaine de mars, confie Daniel Druet.
Jean-Jacques Bouya fait de la résistance …
Bien sûr, le talent se paie et ce n’est pas toujours la partie la plus simple d’une vie d’artiste. Pour recouvrer ses factures, Daniel Druet doit batailler ferme avec une administration notoirement désargentée depuis l’effondrement du cours du baril. Il est contraint parfois de renvoyer à plusieurs reprises copies de ses contrats. Certains ministres, tel Jean-Jacques Bouya, l’homme des « grands travaux », plus sensible au béton armé qu’à l’expression artistique, se montre peu coopératif avec le sculpteur.
Appliquant l’adage fameux selon lequel « il vaut mieux avoir affaire au bon dieu qu’à ses saints », l’artiste est contraint d’en appeler directement à l’arbitrage du chef de l’Etat, en passant bien sûr par son assistante particulière Péguy Ndongo.
Par deux fois, le Président doit intervenir personnellement auprès de Gilbert Ondongo, alors ministre des Finances. Le grand argentier du régime est alors obligé de faire des heures supplémentaires puisque c’est nuitamment qu’il exécute un virement bancaire, suite à la plainte du sculpteur.
L’art n’a pas de prix
C’est ainsi que le nom de Daniel Druet va apparaître sur un document ayant récemment « fuité » sur le net. Son nom figure ainsi sur une nouvelle demande de paiement sur instruction du ministre congolais des Finances Calixte Nganongo. La facture datée du 30/11/2016 s’élève à la coquette somme de 100 724 165 millions, soit 153 553 euros. Daniel Druet à qui nous avons soumis ce document, a certes marqué un peu de surprise, mais n’en conteste ni l’objet ni le montant. Il explique que cela correspond sans doute à « la deuxième tranche de la statue d’Edith Lucie Bongo ».
On serait mal fondé à critiquer d’aussi touchantes « tranches » de piété paternelle. i
Russel Morley Moussala