Patrick Motsepe complice du « grand remplacement » du foot africain

Annoncée en début de compétition par le président de la CAF Patrice Motsepe, la décision de passer à une CAN tous les quatre ans (plutôt que tous les deux ans) vient bouleverser le rythme établi depuis la création du tournoi continental, en 1957. Derrière les justifications officielles, se cache la main de la FIFA et des clubs européens, désireux de faire de la place pour leurs lucratives compétitives. 
 
Patrick Juillard
 
« J’aime tellement l’Allemagne que je suis ravi qu’il y en ait deux », avait un jour écrit François Mauriac. Cette déclaration d’amour paradoxale, Patrice Motsepe pourrait aisément la faire sienne. Le président de la Confédération africaine de football, homme-lige de son homologue de la FIFA Gianni Infantino sur le continent, aime tellement la CAN qu’il préfère qu’elle ait lieu deux fois moins souvent.
 
Le dirigeant sud-africain a profité de son traditionnel point de presse de début de compétition pour annoncer la nouvelle : organisée depuis 1957 sur une base bisannuelle, la Coupe d’Afrique des Nations aura dorénavant lieu tous les quatre ans, à l’image de l’Euro. Tout ce qui est plus rare est plus beau : telle est en résumé la justification officielle de cette révolution copernicienne à l’échelle du football africain. Moins fréquente, mieux organisée, davantage dotée, ainsi se veut la CAN « premium »  du futur. Du moins telle est la posture de Patrick Motsepe.
 
Mais grattons un peu la dorure. Avec une édition tous les quatre ans et des curseurs d’exigence encore remontés, les futurs pays organisateurs sont condamnés à faire des sacrifices plus grands encore pour cocher toutes les cases. En l’état actuel du développement continental, ils ne sont qu’une poignée (Afrique du Sud, Maroc, Égypte, Algérie, Côte d’Ivoire, Nigeria) à pouvoir prétendre l’accueillir seuls, quand la CAN à 16 pays (voire à 24 ) ouvrait la porte. Une CAN tous les deux ans, cela donnait à un plus grand nombre de pays l’occasion de construire non seulement des stades mais aussi des infrastructures durables pour accueillir l’Afrique du football, ses acteurs et ses supporters, sur leurs terres.
Désormais, ce sera le privilège de pays triés sur le volet ou bien de coorganisations plus ou moins bâtardes, avec la cupide complicité de certains présidents de Fédération africains. Aucune justification noble ne saurait masquer les raisons (financières) réelles de ce changement de pied, dévoilé par la CAF sans en référer à la moindre Assemblée générale : faire de la place dans un calendrier international déjà surchargé au Mondial des clubs et à la Coupe arabe de la FIFA, poussée par les monarchies du golfe Persique, et ne déranger les clubs européens, avides de joueurs africains, que sur une base quadriannuelle.
 
Grand globe-trotter et amoureux de l’Afrique, le sélectionneur du Mali, Tom Saintfiet, voit clair dans le jeu des instances et ne s’est pas privé de le dire à la presse. « Je pourrais comprendre le passage à une CAN tous les quatre ans si ce choix venait d’Afrique, s’il correspondait à une exigences des joueurs africains, des Fédérations africaines ou même de la CAF. Mais la décision vient des hauts dirigeants de l’UEFA, des grands clubs des cinq grands championnats européens et aussi bien sûr de la FIFA, a taclé le technicien belge. Nous nous sommes battus si longtemps pour que l’Afrique soit respectée, pour que les peuples africains soient respectés dans leurs identités, a-t-il poursuivi. Se ranger aujourd’hui à l’avis de l’Europe pour des exigences exclusivement financières émanant des clubs, j’ai du mal à l’accepter. Ces clubs qui prétextent les charges imposées aux joueurs tout en créant dans le même temps une Coupe du monde des clubs, et une Ligue des Champions étendue… Passer à une CAN tous les quatre ans, c’est un total manque de respect et j’en suis très triste », a encore asséné Saintfiet, avant de conclure, amer. « J’avais espéré que l’intérêt de l’Afrique primerait, mais c’est l’intérêt financier qui a prévalu. » 
 
En Afrique comme ailleurs, l’argent reste le nerf de la guerre!