Le Kremlin à l’assaut de l’Afrique à la conférence du Caire

La Russie ne drague plus l’Afrique, elle la courtise à visage découvert. Alors que Le Caire accueille la deuxième conférence ministérielle Russie–Afrique, Moscou transforme un format diplomatique né en 2019 en véritable offensive de séduction politique, économique et sécuritaire sur un continent devenu l’un des champs de bataille centraux du nouvel ordre mondial.
 
Un Sergueï Lavrov offensif
 
Le décor est planté au Caire : des dizaines de délégations africaines, un Sergueï Lavrov offensif, et une promesse martelée – la Russie serait le partenaire « alternatif » face à un Occident jugé défaillant et fatigué. Le message est clair : Moscou ne vient plus seulement vendre des armes ou des céréales, mais revendiquer une place structurante dans l’avenir économique et stratégique de l’Afrique, pendant que Washington se détourne et que l’Europe hésite.
 
Pourtant, derrière la mise en scène, les chiffres rappellent la réalité : le commerce russo-africain reste modeste, loin derrière les volumes américains, européens ou chinois. C’est précisément ce décalage entre discours flamboyant et empreinte économique limitée que le Kremlin tente de combler en accélérant sur tous les fronts.

Maisons de la Russie et diplomatie musclée

 
En quelques années, Moscou a densifié son maillage diplomatique : nouvelles ambassades, ouverture de centres culturels, multiplication des forums économiques et sécuritaires, du Sahel à la Corne de l’Afrique.
L’idée est simple : occuper le terrain laissé libre par les reculs occidentaux, en particulier là où Paris, Washington ou Bruxelles sont perçus comme intrusifs, moralisateurs ou incohérents.
 
Cette présence se double d’une « diplomatie d’affaires » assumée, portée par les géants publics russes dans l’énergie, les mines, le nucléaire civil ou encore l’espace, secteur désormais présenté comme l’un des grands leviers de « souveraineté » africaine.
Sur le papier, la promesse est séduisante : transfert de technologies, formation de dizaines de milliers d’étudiants africains, projets structurants censés propulser les économies locales.

Un partenariat qui bouscule l’ordre mondial

 
La temporalité n’a rien d’un hasard : alors que les États-Unis se retirent d’une partie de leurs engagements sur le continent et que l’Europe se replie sur sa sécurité face à la Russie, Moscou avance ses pions en se présentant comme le moteur d’un « ordre international plus juste et plus équitable ».
 
Des chancelleries africaines reprennent désormais ce vocabulaire, voyant dans le partenariat avec la Russie un outil pour renégocier leur place dans le système global et diversifier leurs marges de manœuvre diplomatiques.
Mais cette réécriture de l’équilibre mondial a un prix : la Russie se sert aussi de ces liens pour contourner les sanctions, projeter son influence informationnelle et tester, loin des regards européens, des stratégies hybrides mêlant sécurité, énergie, numérique et récit idéologique.
 
L’Afrique devient ainsi un laboratoire d’expérimentation où se joue, en accéléré, la transition d’un ordre occidental contesté vers un patchwork de puissances concurrentes, de Moscou à Pékin en passant par les acteurs du Golfe.

Entre opportunité africaine et zones d’ombre

 
Pour de nombreux gouvernements africains, ce réalignement offre une occasion historique de rompre avec des décennies de dépendance unilatérale aux anciennes puissances coloniales.
 
Le discours du « continent du présent et de l’avenir », riche en ressources et en capital humain, trouve un écho particulier quand il s’accompagne de promesses de financement, de grands travaux, d’armes bon marché et de soutien diplomatique à l’ONU.
Mais derrière les déclarations lyriques, une question dérange : qui profite vraiment de cette nouvelle donne ?
 
Lorsque Moscou signe des contrats à long terme dans l’énergie ou les matières premières, verrouille des concessions minières ou place ses conseillers militaires au cœur d’États fragiles, l’asymétrie du rapport de force saute aux yeux.

2026, année de vérité pour le couple Russie–Afrique

 
Le prochain sommet Russie–Afrique, annoncé comme l’apothéose de cette montée en puissance, fera office de crash-test : l’Afrique confirmera-t-elle qu’elle voit en Moscou un partenaire structurant, ou le vernis de la « coopération gagnant-gagnant » commencera-t-il à se fissurer ?
Tout dépendra de la capacité de la Russie à traduire ses promesses en financements, infrastructures et stabilité, plutôt qu’en dépendances nouvelles, en clientélisme politique ou en opérations de contournement des sanctions.
En attendant, une chose est sûre : dans la bataille mondiale pour l’influence, l’Afrique n’est plus un décor, mais le terrain central – et la Russie entend bien y jouer un rôle de premier plan, coûte que coûte.