En cette fin d’année lourde de drames et de violences, alors qu’une région berceau des plus grandes civilisations de l’humanité continue de saigner, certains rendez-vous culturels comptent. Ils ne réparent pas le monde, mais ils lui redonnent, l’espace d’un instant, un souffle. C’est dans cet esprit que s’inscrit ce Samedi de la poésie proposé par l’Institut du monde arabe, dédié à Abû Nuwâs, figure majeure de la poésie arabe classique et, toutes langues confondues, l’un des plus grands maîtres de la poésie bachique.
Fatima Guemiah
En vivant au tournant des VIIᵉ et VIIIᵉ siècles, Abû Nuwâs a porté le chant du vin à une intensité rare, mêlant liberté, audace et ironie. Bien avant lui, depuis la période préislamique, d’autres poètes avaient célébré le vin ; aucun ne l’a fait avec une telle constance ni une telle force.
Né à Ahwaz dans le Khusistan d’un père arabe et d’une mère persane, Abû Nuwâs passe sa jeunesse à Koufa, en Irak, où il acquière une solide connaissance de la langue arabe et de la poésie classique. Il fréquente en même temps un poète libertin homosexuel, Wâliba ibn al-Hubâb, qui l’entraîne dans sa vie de débauche.
Ce qui touche chez Abû Nuwâs, c’est cette manière de faire du vin une langue à part entière, langue du désir, de la joie, de l’excès parfois, mais aussi langue de résistance face aux normes et aux hypocrisies. Sa poésie traverse les siècles avec une modernité intacte, dérangeante et lumineuse à la fois.
Abû Nuwâs est incontestablement l’un des plus grands maîtres de la poésie bachique, toutes langues confondues. Chanter le vin était pour lui, ainsi que l’amour des garçons et des garçonnes, sa façon de clamer sa liberté et son refus de se plier aux traditions sociales et religieuses, qu’il raille dans une bonne partie de ses poèmes.
Son langage poétique s’y adapte merveilleusement, évitant le vocabulaire archaïque chaque fois qu’il raconte ses beuveries dans les cabarets ou ses aventures érotiques. On se souvient d’ailleurs beaucoup moins de ses poèmes de chasse, pourtant d’une grande beauté, ou de ses panégyriques des califes et des vizirs.
Installé ensuite à Bagdad, il se fait admettre, grâce à son humour et sa vivacité d’esprit, à la cour du calife Haroun al-Rachid. Des remous politiques le font fuir en Egypte, mais il revient à Bagdad après la mort d’Al-Rachid en 809 et l’accession au trône de son fils, Al-Amîn, dont il devient le commensal. L’assassinat de ce dernier, quatre ans plus tard, le plonge dans la solitude et la détresse, et il ne tarde pas à mourir en 815.
La séance sera présentée par Farouk Mardam-Bey, directeur des éditions Sindbad, immense passeur de la littérature et de la poésie arabes, dont l’érudition et la générosité intellectuelle accompagnent depuis longtemps celles et ceux qui aiment et transmettent ces textes.
Les poèmes seront portés par une lecture en arabe d’Omar Kaddour, une lecture en français de Marie-Stéphane Cattané, et un accompagnement musical au oud de Mohanad Aljaramani, prolongeant la parole poétique dans l’émotion musicale.

























