En 2018, Mattel lance une poupée voilée à l’effigie d’une championne d’escrime, Ibtihaj Muhammad.
Dans quelques mois, le géant des poupées Mattel lancera sur le marché mondial une miniature de l’escrimeuse Ibtihaj Muhammad, la première sportive américaine voilée à avoir gagné une médaille olympique. Le jouet fait partie de la collection “Sheroes” visant à rendre la Barbie un peu plus inclusive et inspirante. La diversité, c’est bien. Présenter des modèles inspirants aux petites filles, c’est bien aussi. En revanche, quand Ibtihaj Muhammad défend sa collaboration avec Mattel, elle ne mesure pas la gravité de ce qu’elle promeut. “C’est quelque chose que je porte comme un T-shirt ou un pantalon. J’espère que les enfants l’essaieront sur d’autres poupées”, a-t-elle déclaré à propos de son voile et de celui de la poupée à son effigie. Un simple vêtement, vraiment?
En 2011, quand elle racontait ses débuts dans l’escrime au Wall Street Journal, elle affirmait que son truc était le volley-ball et le softball, mais qu’elle était contrainte par sa mère de se couvrir les bras et les jambes sous sa tenue de sport. Dans le même article, Muhammad avoue que même à l’âge de 25 ans, même aux Etats-Unis, sa mère la faisait toujours accompagner par un homme de la famille lorsqu’elle voyageait pour les championnats, et qu’elle n’appréciait pas tellement qu’elle serre la main à ses adversaires de sexe masculin.
L’oppression comme horizon
« Je suis fière de savoir que, partout dans le monde, des petites filles peuvent jouer avec une poupée qui a choisi de porter le voile”, avait déclaré Muhammad sur son Instagram. Est-ce qu’une petite fille peut vraiment choisir de porter le voile? On a plus l’impression qu’avec une telle poupée, on veut surtout la préparer à une dure réalité. A savoir que cet instrument d’oppression fait partie de son futur et qu’elle ferait bien de s’y habituer dès maintenant.
D’ores et déja, des sportives e retrouvent pénalisées parce qu’elles ont choisi de ne pas le porter? En octobre 2016, Nazi Paikidze, l’une des plus talentueuses joueuses d’échecs dans le monde, a préféré sacrifier la possibilité d’une victoire plutôt que se plier au dress code de l’Iran, alors pays organisateur des championnats d’échecs. Plus récemment, la joueuse d’échecs iranienne Dorsa Derakhshani a été éjectée de l’équipe nationale après avoir participé à une rencontre à Barcelone sans voile.
Fulla, l’aînée wahhabite
Mattel se targue d’être à l’origine d’une révolution, mais le géant des jouets n’est pas le premier à produire une poupée couverte de la tête au pied. En 2003, la marque émiratie NewBoy FZCO avait lancé Fulla, une poupée “honnête, aimante et attentionnée qui respecte son père et sa mère”. Vêtue d’une abaya noire et d’un saroual soudé à ses cuisses, Fulla pratique des métiers honorable — elle est soit médecin, soit institutrice — et est condamnée au célibat puisqu’elle n’a pas son Ken. Chez elle, elle libère ses cheveux après avoir accompli sa prière.
A son lancement au Maroc, Fulla était bien visible dans les supermarchés. En plus des qualités susmentionnées, elle coûtait moins cher que la « Barbie » d’entrée de gamme (environ 10 dollars américains) et bénéficiait d’une campagne publicitaire agressive sur Spacetoon, la chaîne de dessins animés préférée des arabophones.
La vérité est que cette poupée a débarqué sur le marché arabe à un moment où le voile était déjà bien “mainstreamisé” (merci Amr Khalid et les chaines de prédication wahhabite). Et c’est là que Fulla est moins problématique que l’effigie d’Ibtihaj Muhammad. Si la première vise à occuper les fillettes avec une poupée ressemblant aux femmes de leur environnement aussi misogyne soit-il — après tout, les enfants sont les champions du mimétisme —, la seconde veut les forcer à voir de l’émancipation là où il y a de l’oppression.