En recevant le ministre malien de la Réconciliation, Ismaël Wagué à la Conférence sur les victimes africaines du terrorisme, les autorités marocaines ont offert une tribune diplomatique à un régime accusé d’exécutions de civils touaregs, arabes et peuls. Une présence qui tranche avec la réalité des massacres commis au Mali par l’armée et les mercenaires russes, et qui dévoile les ambiguïtés d’un événement censé rendre justice aux victimes.
Mohamed AG Ahmedou, journaliste, acteur de la société civile malienne.
Dans la capitale marocaine, la Conférence sur les victimes africaines du terrorisme se voulait un espace de vérité, de compassion et de reconnaissance. Pourtant, l’image qui a dominé cet événement est celle d’un paradoxe : la participation officielle de l’auto proclamé, Général de Corps d’Armée Ismaël Wagué, ministre de la Réconciliation d’un régime illégal du Mali et figure centrale du régime militaire, à un rendez-vous consacré… aux victimes d’actes terroristes.
L’information, relayée via la page Facebook du gouvernement malien, un outil de communication utilisé de façon contestée par la junte, a provoqué incompréhension et indignation, notamment parmi les communautés les plus touchées par les exactions au Mali.
Car derrière les formules officielles sur « la paix » et « la lutte contre l’extrémisme », se cache une réalité diamétralement opposée : la junte malienne est devenue elle-même un producteur de violences massives contre les civils.
5000 civils tués
À Rabat, les massacres perpétrés par l’armée malienne sont restés hors-champ. L’invitation du régime malien prend un relief tragique à l’aune des événements récents. Depuis des mois, les frappes de drones de l’armée malienne, parfois coordonnées avec les mercenaires russes d’Africa Corps (ex-Wagner), bombardent non pas les katibas jihadistes, mais des mariages, des foires hebdomadaires et des hameaux touaregs, arabes et peuls. Parmi les épisodes les plus marquants, la localité de Gossi, situé dans la région du Liptako Gourma de Tombouctou, le 30 octobre 2025 : 19 morts lors d’une célébration de mariage, visées par un drone de l’armée malienne; Zouéra, 8 juillet 2025: la foire hebdomadaire bombardée par un drone de l’armée tuant 4 personnes dont trois filles mineures.
Émimalane, 24 octobre 2025 : frappe meurtrière. Tangata, 13 novembre 2025 : une famille de 7 personnes tuée, dont 5 enfants. Et combien d’autres!14 novembre 2025 : 6 femmes et un bébé tués dans une frappe ciblant un campement dans la localité de Eghachar N’Tirikene dans le département de Gargando situé dans l’ouest de la région de Tombouctou au Mali.
Selon une enquête citée dans la presse américaine à travers l’agence Associated Press, plus de 5 000 civils auraient été tués depuis 2022 par ces opérations menées par Bamako et ses alliés russes. Aucun de ces massacres n’a été mentionné à Rabat.
Un ministre de « la Paix », Ismaël Wagué
L’ironie, sinistre, est flagrante : Ismaël Wagué, ministre de la Réconciliation, intervient à une conférence sur les victimes du terrorisme alors que son gouvernement est accusé de pratiques que de nombreux acteurs qualifient de terrorisme d’État. Sa présence, affirment plusieurs observateurs, relève moins de la diplomatie que d’une stratégie de légitimation internationale de la junte.
Une source politique malienne confie :« Le Maroc profite du gel des relations entre le Mali et l’Algérie pour afficher sa fidélité à la junte, sans mesurer le degré de pourrissement du régime. Cette junte autocratique et sanguinaire traverse la période la plus sombre de l’histoire du Mali. Les pays qui la soutiennent aujourd’hui devront répondre demain de ce choix. »
Le Maroc, engagé depuis une décennie dans une politique d’influence en Afrique de l’Ouest, a saisi l’occasion du vide diplomatique créé par la rupture entre Bamako et Alger et d’autres pays comme la Mauritanie et de l’Afrique de l’ouest pour renforcer ses liens avec les autorités maliennes.
Mais en donnant une tribune à un responsable militaire mis en cause dans des crimes contre des civils, Rabat prend plusieurs risques :
Un risque moral : associer son image à un régime accusé d’atrocités ; Un risque politique : parier sur une junte isolée et instable ; Un risque symbolique : transformer une conférence dédiée aux victimes en tribune d’un bourreau présumé.
Les vraies victimes, grandes absentes
En théorie, la conférence avait pour vocation de donner une voix aux victimes du terrorisme en Afrique.
En pratique, elle a soigneusement évité d’évoquer les violences commises par la junte militaire malienne, les mercenaires russes d’Africa Corps, les milices supplétives de Wagner et d’autres, les bombardements indiscriminés, mais aussi les exactions du JNIM, que les populations civiles subissent de manière cumulative.
En invitant Ismaël Wagué, le Maroc a offert à la junte malienne une visibilité internationale que les victimes maliennes, elles, n’ont toujours pas. L’événement de Rabat restera comme un moment où l’on a parlé du terrorisme sans évoquer les victimes de la terreur d’État, où la diplomatie a prévalu sur la vérité, et où la politique a fait taire les morts.
Des conférences sur les victimes qui évitent de nommer les responsables resteront des vitrines diplomatiques.




























