Le Liban tente (enfin) la paix avec Israël

Pour la première fois depuis des décennies, le Liban nomme un diplomate civil pour conduire un dialogue direct avec Israël. Ce choix, encouragé par la communauté internationale, ouvre un nouveau chapitre, entre espoir de paix et incertitudes. L’histoire, ici, avance lentement, à petits pas.

Il arrive que l’histoire change de cap sans prévenir. Mercredi matin, à Naqoura, une petite ville du Sud, le Liban a posé un geste fort : confier à Simon Karam, diplomate respecté, la direction des discussions avec Israël. Ce n’est pas une décision banale. Jusqu’ici, les rencontres entre les deux pays se limitaient au dialogue militaire. Tout était verrouillé, limité à des sujets techniques, loin de toute idée de paix. La présence de Karam, en tant que civil, change la donne. Face à lui, un civil israélien, Uri Resnick, envoyé par Jérusalem. Rien que cette image raconte un début de changement.

Ce mouvement n’est ni un hasard ni une simple manœuvre. Il répond à la lassitude d’un pays marqué par les crises et les conflits, à la fatigue d’un peuple qui aspire à sortir de la répétition des catastrophes. Il fait aussi suite à la trêve de novembre 2024, fragile, jamais vraiment assurée, mais suffisante pour que certains osent regarder un peu plus loin que l’urgence du lendemain.

Le président Joseph Aoun a joué un rôle clé. Il n’a cessé ces dernières semaines de défendre l’idée d’un Liban capable de renouer avec le dialogue, la paix, la pluralité. Lors de la visite du pape Léon XIV à Beyrouth, il a affirmé que la survie du Liban, ce « dernier espace de rencontre » au Proche-Orient, était une condition essentielle pour la paix dans la région. L’influence de l’Église, mais aussi la pression de Washington, ont pesé lourd. Les Américains, par la voix de leur émissaire Morgan Ortagus, ont clairement demandé au Liban de donner une place au politique et à la société civile dans ce processus.

La désignation de Simon Karam n’est pas un détail technique. Ancien ambassadeur du Liban à Washington dans les années 1990, il a longtemps été reconnu pour son indépendance, notamment face à la Syrie. Son parcours, marqué par la défense du pluralisme et de la souveraineté libanaise, rassure beaucoup de ceux qui redoutaient une récupération politique. Farès Souhaid, ancien député, l’a résumé à Ici Beyrouth : « La nomination de Simon Karam est un tournant dans l’histoire de la République ». Son profil transgresse les clivages habituels, ce qui lui permet d’être accepté par une grande partie de la société libanaise.

Ce changement de format, du militaire au civil, traduit aussi une demande insistante des États-Unis. Pour Washington, il ne suffit plus de gérer la crise à coups de réunions militaires. Il s’agit d’ouvrir la voie à une discussion politique, avec, en ligne de mire, l’intégration du Liban dans la dynamique des Accords d’Abraham, ces accords qui ont déjà permis à plusieurs pays arabes de normaliser leurs relations avec Israël.

Entre paix fragile et incertitudes

Pourtant, rien n’est simple au Liban. L’idée d’un dialogue avec Israël reste profondément divisive. Une partie de la société craint la paix comme elle craint la guerre, redoute les conséquences d’un rapprochement, et reste attachée à la mémoire d’un passé fait de souffrances, d’exils et de conflits. D’autres y voient, au contraire, une issue, un espoir de sortir enfin d’un engrenage où la survie passe avant tout.

Sur le terrain, la situation reste tendue. Depuis le cessez-le-feu de 2024, Israël a mené plus de 1 200 frappes « ciblées » contre le Hezbollah, le Hamas et d’autres groupes. Plus de 370 combattants auraient été tués. La paix, ici, ne tient qu’à un fil. Mais l’arrivée d’un civil à la table des discussions change la dynamique. Il ne s’agit plus seulement de compter les jours sans tirs, mais d’imaginer, peut-être, une autre manière de coexister.

La nomination de Karam intervient dans un contexte de pressions multiples. Le Liban est à bout de souffle, pris en étau entre la crise économique, les tensions internes, et la montée des risques à la frontière sud. Washington ne cache plus sa volonté de voir le Hezbollah désarmé, et le Vatican multiplie les appels à la paix. Pour la première fois, la possibilité d’un dialogue politique entre le Liban et Israël est ouvertement évoquée, y compris par le président Aoun, qui, le 18 novembre dernier, affirmait que « la branche militaire du Hezbollah n’existe plus » et que le Liban était prêt à une vraie négociation politique.

Israël, de son côté, perçoit cette évolution comme une opportunité. Le bureau du Premier ministre Netanyahou a salué « une première démarche pour jeter les bases de futures relations et d’une coopération économique ». Si l’on en croit les sources diplomatiques, l’objectif à terme est d’arriver à une forme d’intégration régionale, à l’image de ce qui s’est fait entre Israël et certains pays du Golfe.

La route reste pourtant semée d’obstacles. La société libanaise avance avec prudence, marquée par la mémoire de la guerre, la peur du changement, et la défiance envers ses propres dirigeants. Rien n’est jamais gagné d’avance ici. Mais la fatigue se fait sentir : un peuple épuisé par la crise, inquiet pour son avenir, tente d’ouvrir une porte. Peut-être, cette fois, la lassitude est plus forte que les vieux réflexes de peur.

Dans ce moment suspendu, on ne sait pas encore si cette ouverture va tenir. Mais le simple fait qu’un diplomate civil soit à la table, pour parler de politique, et non plus seulement de sécurité, est déjà en soi une nouveauté. Le mot « paix », prononcé vingt-sept fois par le pape Léon XIV lors de sa visite à Beyrouth, a peut-être trouvé un début d’écho.

La question qui se pose désormais : cette ouverture sera-t-elle la première page d’une nouvelle histoire, ou restera-t-elle une parenthèse vite refermée ? Personne ne peut encore répondre. Mais pour la première fois depuis longtemps, le Liban n’a pas simplement survécu à la journée : il a tenté d’en écrire le sens.

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)