Voyage au fond du Benin en 1931

L’exposition photographique sur le Dahomey 1931 a lieuau Musée Albert Kahn. Du Dahomey au Bénin, des photos missionnaires et des éclairages contemporains. Dualité forcément ambiguë de cette exposition qui se tient du 14 octobre 2025 au 14 juin 2026 à Paris.  

Michel Galy

Zounon Medjé, roi de la nuit photographié par Georges Chevalier dans le studio des Archives de la Planète à Boulogne sur Seine, le 17 juillet 1931.
Zounon Medjé, roi de la nuit photographié par Georges Chevalier dans le studio des Archives de la Planète à Boulogne sur Seine, le 17 juillet 1931.

Mission coloniale, missionnaire  et ethnographique, que reflète l’exposition : dualité improbable aujourd’hui mais qui donne bien la généalogie d’une certaine anthropologie, science  qui, en sens, s’est inscrite contre ce genre de pratiques , et contre ces  rapports avec ceux que l’on nommait encore « indigènes », trente ans avant les Indépendances.

C’EST AINSI QUE VIVENT LES HOMMES

Tout est parti d’un incroyable projet d’un milliardaire repenti, qui du moins voulait donner un sens à sa vie, en démontrant comment vivaient les autres .Albert Kahn, banquier  atypique, s’est en effet mis en tête d’envoyer à ses frais, de part le monde, une cohorte de photographes et de cinéastes, pour documenter en toute simplicité- et peut être naïveté, la manière dont vit l’humanité dans toute sa diversité.

Ruiné vers la fin de sa vie par la crise de 1929, il fit don du fond intitulé les «  Archives de la planète », constitué d’une centaine d’heures de film, 4000 stéréoscopies et  72000 autochromes(technique de couleur sur plaques , usitée de 1907 à 1932), remarquable mais encombrant cadeau dont hérita la fondation Albert Kahn, gérée par le département des Hauts de Seine.

L ‘exposition sur le Bénin est d’autant plus passionnante qu’atypique : sur les innombrables missions de part le monde, c’est  la seule à documenter l’Afrique subsaharienne.

UN MISSIONNAIRE ET UN OPERATEUR

Duo improbable que le père catholique Francis Aupiais et le photographe et opérateur Frédéric Gardmer.

Le père Aupiais a passé deux décennies au Dahomey en plein élan missionnaire, tout en s’intéressant sincèrement aux coutumes spectaculaires de ses ouailles : notamment les Royautés et la religion Vodun. Cette dernière conçue à la fois comme une religion digne d’estime, par sa complexité et ses rituels, et comme « pierre d’attente », d’une préfiguration du christianisme :  « que le Christ est beau lorsqu’il est Noir ! » osera Aupiais.

Après 23 ans passé «  au Dahomey », nouvelle colonie française depuis le début du siècle, le voilà missionnaire en retour,se sentant chargé dune mission civilisatrice… des français !

Fredéric Gardmer n’était  pas non plus un novice en terre africaine: de 1916 à 1918, il a passé deux ans au Cameroun. On a du mal de nos jours à saisir la complexité du tournage, et même de la fabrication des plaques autochromes, de la prise de vue et du développement, dont il est un virtuose, après de nombreuses missions de part le monde pour les Archives de la planète du banquier Kahn.

Tous les deux se retrouvant  au cœur de la société coloniale, entre réceptions et visites , avec le bémol que le père Aupiais a des disciples béninois, tel son fidèle Paul Hazoumé.

UN PARCOURS MUSÉAL  AMBIGU

Hors les classiques ludiques comme dans toute exposition d’aujourd’hui, le clou de l’exposition réside certainement dans les films remastérisés, notamment des cérémonies vodun de 1930. Cela aurait pu, avec les photographies ethnographiques, être l’essentiel de l’exposition.

La volonté de refléter la mission réelle de 1930 a conduit à compléter par une série de mises en perspective coloniales, dont on comprend bien l’intérêt historique, mais qui à vrai dire paraissent aujourd’hui insupportables de  suffisance coloniale, auto satisfaction d’une domination arrogante : décidément un passé qui ne passe plus !

Quant à mêler objets cérémoniels vodun d’alors et plus contemporains, documents écrits d ‘époque et ultérieurs, c’est un pari risqué, à n’y pas retrouver cette année de 1930  qui aurait pu constituer l’objet essentiel à décortiquer.

On y retrouve des choix  qui sont peu ou prou ceux du quai Branly, où l’esthétique de l’objet domine sa fonction et sa contextualisation anthropologique, jusqu ‘à la caricature, quand il faut s’éclairer de son portable pour s’essayer à lire des notices multiples, épinglées loin de l’objet mis en lumière.

 

 

DES SAVOIRS ARCHAÏQUES ET UN ART LIBÉRATEUR.

D ‘autant que des choix discrets , qui se veulent éthiques, ont été effectués qui faussent le sens du projet : on apprend au détour d’une notice, que les «  choquantes » scènes de sacrifices animaux  ont été éliminées, pourtant le cœur du vodun , comme pouvant choquer la sensibilité parisienne de 2025 et peut être de nos chères petites têtes blondes, au détour d’un autochrome.

 On peut y préférer le scandale plein de sens d’un Jean Rouch filmant les transes, 25 ans plus tard (les Maîtres fous, 1955). Ce qui est d’autant plus étonnant que la révélation  seule de rites et de cérémonies sacrées peuvent paraître bien plus scandaleuses- on le voit tous les jours sur les réseaux sociaux- aux africains en général et aux béninois contemporains.

Le retard à l’anthropologie est encore plus significatif : certes le lancer de cauris , ou géomancie , est bien photographié en 1930, mis en regard avec l’ouvrage fondateur de Maupoil, mais quid des recherches contemporaine de Marc Augé par exemple ?

C’est un peu comme voir illustré un de ces ouvrages de Levy-Bruhl sur la « mentalité primitive »(1922) aujourd’hui complètement dépassé.


On touche là à la contradiction principale de la mission : un père catholique montrant que les africains sont des « humains » et ont une « religion », contre la doxa de l’époque, mais sans s’en donner les moyens intellectuels et analytiques.

Le stock d’images et de films est en effet à mettre en perspectives avec une série de conférences et interventions du père Aupiais, « défenseur de la cause africaine », jusqu’à ce que  sa  hiérarchie s’en scandalise et le réduise au silence pour « négrophilie »  excessive.

Par contre les illustrations « brodées » par les artistes contemporains africains, les performances, la théâtralisation et la dérision à partir de ces images en refont une matière vivante : comme les masques et les musées, les images et films meurent aussi,mais pour aussitôt renaître.

 

Il faudrait sans doute, devant ce matériau foisonnant, voir l’exposition deux fois : une fois pour être charmé, indigné, dérouté par cette riche et inédite moisson de 1930. Après avoir lu le savant catalogue pour comprendre comment le «M al de voir »( comme disaient les disciples de Mauss) peut céder  à une réinterprétation contemporaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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