Procès Bongo (jour 2), les millions et les ombres

Deuxième jour d’audience, ce mardi 11 novembre, au tribunal de Libreville. Une journée marquée par les témoignages de deux des plus proches collaborateurs de Sylvia et Noureddin Bongo, ainsi que par les réquisitions du ministère public.

Ali Bongo Ondimba et Sylvia Bongo Ondimba le jour du couronnement du roi Charles III. Londres, le 6 mai 2023

Après l’ouverture de lundi, la Cour criminelle spéciale s’est penchée sur les mécanismes financiers et politiques qui auraient permis à la famille présidentielle d’accaparer à la fois les richesses et le pouvoir de l’État, dans le vide laissé par l’AVC d’Ali Bongo en 2018. Cette journée de procès s’est achevée tard dans la nuit par la condamnation, par contumace, du fils du président déchu, Noureddin Bongo, et de son épouse Sylvia à vingt ans de prison pour détournement de fonds publics.

Le quotidien des Bongo

Premier à la barre, Kim Oun, ancien chargé du protocole de la Première dame, décrit un rôle tant logistique que financier : voyages, résidences à Londres, Paris ou Marrakech, transactions dans les îles Vierges britanniques, achats de bijoux et de vêtements de luxe. Il reconnaît avoir dirigé deux sociétés écrans et perçu des primes mensuelles d’environ 10 millions de francs CFA (15 000 euros). L’audience retient aussi sa déclaration selon laquelle la campagne présidentielle de 2023, entachée de fraude, aurait coûté 80 milliards de francs CFA (près de 122 millions d’euros).

Il confirme enfin avoir géré les fonds « personnels » de Sylvia Bongo : un train de vie estimé à 3 millions d’euros par mois, comprenant vêtements, oeuvres d’art et dépenses domestiques. Un potager à 500 millions de francs CFA (762 000 euros) aurait même été entretenu dans l’une de ses propriétés de Libreville.

Des  circuits opaques

Le système, selon les parties civiles, passait par un circuit opaque : le Trésorier payeur général remettait d’importantes liquidités à Kim Oun, qui les transmettait à des réseaux informels de change opérant depuis Libreville. Ces fonds étaient ensuite acheminés vers Dubaï, où l’avocat et financier Alain Malek les déposait sur des comptes ouverts auprès de deux sociétés, Royal Capital et Noor Capital, avant de régler les factures de Sylvia Bongo sur instructions directes.

Vient ensuite Jordan Camuset, ami d’enfance de Noureddin Bongo Valentin, qui se décrit comme « un homme à tout faire ». Il dit avoir récupéré chaque mois, pour le compte de son ami, entre 30 000 et 100 000 euros en espèces, directement auprès du Trésor public, bordereaux de décaissement à l’appui. Il évoque aussi un basculement progressif du pouvoir depuis Londres : « Papa a dit », aurait quotidiennement justifié Noureddin pour ordonner et convoquer des membres du gouvernement ou d’autres représentants de l’État, même après la fin officielle de ses fonctions de coordinateur des Affaires présidentielles, en septembre 2021.

« Le blanchiment à son stade ultime »

L’audience s’est plongée dans un second temps dans une énumération vertigineuse : selon les parties civiles, près de 20 milliards de francs CFA (30,5 millions d’euros) auraient été prélevés sur les comptes publics pour entretenir les résidences du couple présidentiel. Les enquêteurs évoquent également la possession d’environ 45 entreprises, plus de 10 milliards de francs CFA (15,2 millions d’euros) répartis dans différents comptes à la BGFIBank, sans compter la possession de deux avions, un Boeing 737 et un Boeing 757.

« C’est le blanchiment à son stade ultime, un maillage où les fonds publics devenaient pour eux de l’eau bénite ». Le procureur général

Les avocats de l’État ont confié leur épuisement face au volume des flux : « Nous avons compté, compté, compté… tellement compté que nous sommes fatigués », a lancé l’un d’eux, évoquant la multiplication des banques, des domiciliations, des biens mobiliers et immobiliers.

Vingt ans de prison par contumace

Au nom du ministère public, le procureur Eddy Minang a tenu à préciser : « Ce n’est pas le procès d’Omar Bongo, mais celui de ses héritiers. » Il a appelé à « reconstruire » plutôt qu’à « humilier », soulignant : « Ce n’est pas un procès-spectacle, mais celui de la politique-spectacle. »

Dans une ambiance plus calme qu’à l’ouverture, ponctuée de coupures d’électricité, la journée s’est achevée tard dans la soirée, devant les caméras de télévision et un public encore nombreux.

Le président de la Cour criminelle spécialisée, Jean Mexant Essa Assoumou, a suivi les réquisitions du ministère public et déclaré coupables l’ex-Première dame pour « recel et détournement de fonds publics, blanchiment de capitaux, usurpation de fonds et instigation au faux », et Noureddin Bongo pour « détournement de deniers publics, concussion, usurpation de titres et de fonctions, blanchiment aggravé de capitaux et association de malfaiteurs ».

Le « duo » est condamné à une peine de vingt ans de prison assortie d’une amende de 100 millions de francs CFA (152 000 euros), ainsi qu’à la confiscation de leurs avoirs – comptes, hôtels particuliers, actifs pétroliers et miniers, participations dans plus de cinquante sociétés. Au titre du préjudice moral, Sylvia et Noureddin Bongo sont également condamnés à verser 1 000 milliards de francs CFA à l’État gabonais.

Au-delà des montants, c’est la mise à nu d’un règne où les frontières entre fortune privée et État auraient disparu. « Les cupides, rien ne les arrête ; le paradis des riches se nourrit de l’enfer des pauvres », pouvait-on entendre dans la plaidoirie d’un avocat de la partie civile.

Le procès se poursuit ce mercredi 12 novembre et jusqu’à vendredi, avec l’audience des dix anciens proches collaborateurs des Bongo.

Le procès historique du clan Bongo débute à Libreville (1)