Un contrat de 210 millions de dollars entre la Turquie et le Mali

Signé le 15 août 2024 à l’insu du ministère de la Défense, l’accord pour l’achat de drones turcs Akinci met en lumière la mainmise du renseignement sur le pouvoir. Les rivalités deviennent explosives entre Assimi Goïta, le patron de la junte, Sadio Camara, le ministre de la Défense,  et le colonel Modibo Koné, le chef des services de renseignement.
 
Mohamed AG Ahmedou
 
 
 
Un document confidentiel que nous avons pu consulter confirme qu’un contrat secret de 210 millions de dollars américains a été signé le 15 août 2024 entre le chef des services de renseignement maliens, le colonel Modibo Koné, et le fabricant turc Baykar, constructeur des drones de combat Akinci. Ce contrat, référencé Baykar 2024-08-1001, a été conclu sans aucune implication du ministère de la Défense, ni de son titulaire, le colonel Sadio Camara.
 
Selon les sources confidentielles qui ont transmis ces documents, le président de la junte militaire malienne, Assimi Goïta, le colonel Modibo Koné, et Fatoumata Batouly Niane, figure mondaine surnommée la “jet-setteuse du pouvoir”, sont les principaux acteurs de cette transaction.

Un contrat signé en secret

 
Ce contrat, négocié en catimini, a été signé par, le colonel Modibo Koné, patron de l’Agence nationale de la sécurité d’État (ANSE), en contournant totalement la chaîne hiérarchique militaire. Officiellement, l’accord visait à renforcer la défense nationale. Mais dans les faits, il s’agissait d’une initiative présidentielle parallèle, pilotée depuis le cercle restreint de Koulouba, hors de tout contrôle institutionnel ou parlementaire.
 
Nos sources précisent que Fatoumata Batouly Niane a joué un rôle clé lors des négociations avec les Turcs. Elle aurait sollicité l’appui de la fille du président Recep Tayyip Erdoğan, avec qui elle entretient des relations personnelles étroites. Ce réseau d’influence a permis d’accélérer les discussions avec Ankara, dans un contexte où le Mali, isolé de ses partenaires occidentaux, s’en remet désormais presque entièrement à la Turquie pour son équipement militaire.

Des montants vertigineux

 
Les annexes du contrat détaillent des chiffres qui font bondir les experts :
 
– Les drones Akinci : 27 millions de dollars l’unité
– Les Bombes guidées MAM-L et MAM-T : entre 80 000 et 120 000 dollars pièce ;
– Les Frais de transport : 9 millions de dollars pour une livraison “CIP Aéroports du Mali”.
 
Selon plusieurs spécialistes consultés, ces montants sont nettement supérieurs aux prix du marché international, laissant supposer une surfacturation manifeste. Les documents portent la mention “Company Confidential” et aucun audit indépendant n’a été autorisé. Les clauses contractuelles précisent en outre que les lois turques s’appliquent et que tout différend sera tranché en Suisse, affaiblissant la souveraineté juridique du Mali sur ce marché public d’État.

Un séisme au sein du pouvoir

Le colonel Modibo Koné
 
Cette opération a provoqué un séisme interne au sein du pouvoir militaire. Le renseignement prend le pas. Le ministre de la Défense, Sadio Camara, a été écarté des grandes décisions après avoir découvert l’existence du contrat.
Depuis, une rivalité ouverte oppose les deux hommes forts du régime : Goïta et Camara.
 
Dans l’ombre, le colonel Modibo Koné, chef de l’ANSE, s’impose comme le véritable homme fort du régime, concentrant à la fois la sécurité présidentielle et la coordination du renseignement. Cette montée en puissance du renseignement au détriment de l’armée classique marque une réorganisation profonde du pouvoir, centrée sur la protection du président plutôt que sur la défense nationale.
 
Officiellement, ces drones doivent servir à combattre les groupes armés. Mais selon nos sources, leur usage principal serait la protection du régime, dans un contexte de méfiance croissante entre les colonels au pouvoir. Les opérations menées récemment dans le nord et le centre du pays, souvent meurtrières pour les civils, confirment cette dérive sécuritaire.

La Turquie au coeur

À la suite des tensions internes provoquées par cette affaire, Assimi Goïta aurait recruté la société militaire turque SADAT,  souvent présentée comme proche des services secrets turcs  pour assurer sa propre sécurité personnelle. Ce choix, dicté par la méfiance vis-à-vis de son entourage militaire, accroît la dépendance du Mali à l’égard d’Ankara et consacre une privatisation inquiétante de la sécurité présidentielle.
 
 
 
 
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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)