« Crisis Group », l’ouverture diplomatique sur le Sahara n’exclut pas le risque d’une confrontation

Alors que le conseil de sécurité de l’ONU doit examiner le 31 octobre le dossier du Sahara occidental, Washington a exprimé son soutien au plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental tout en affichant sa volonté d’y résoudre le conflit. Autre signe positif, le mouvement indépendantiste sahraoui se dit prêt, dans une déclaration à l’AFP, à accepter le plan d’autonomie du royaume chérifien concernant le Sahara occidental. Depuis un demi-siècle, l’ancienne colonie espagnole est majoritairement sous le contrôle du Maroc, qui a toujours disputé ce territoire aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, historiquement soutenus par l’Algérie. 

Il reste que les promoteurs de la ligne dure, tant au Maroc qu’aux Etats-Unis, durcissent et que le conflit demeure largement gelé. La frustration des réfugiés sahraouis, le manque de cohérence de l’approche américaine et les tentatives, au sein de certains milieux politiques, de mettre fin à la Minurso et de marginaliser le Polisario risquent de ranimer les hostilités.

Crisis Group vient de publier un rapport dont Mondafrique publie des extraits. « Sans diplomatie active, estiment ces experts, la reprise des combats pourrait déstabiliser la région, voire entrainer le Maroc et l’Algérie dans une confrontation directe ».

Des signes indiquant que l’administration Trump envisage de relancer les discussions sur le Sahara occidental ont ravivé l’espoir d’une résolution de ce conflit. Depuis des décennies, le Maroc revendique sa souveraineté sur ce territoire, alors que le Front Polisario en défend l’indépendance. Le dialogue est depuis longtemps au point mort. En avril, le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio, s’est exprimé en faveur d’une reprise des pourparlers dans le cadre du plan marocain d’autonomie pour ce territoire. L’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU, Staffan de Mistura, a aussitôt proposé une nouvelle série de discussions, exposant les principes destinés à les encadrer. Cependant, l’absence de mesures concrètes de la part des Etats-Unis a encouragé les partisans de la ligne dure, à Rabat comme à Washington, à réclamer le démantèlement de la Minurso, la mission de maintien de la paix des Nations Unies au Sahara occidental, et la désignation du Front Polisario en tant qu’entité terroriste. Si les combats restent de faible intensité, les jeunes réfugiés sahraouis sont de plus en plus frustrés et leurs appels à intensifier la lutte armée se font de plus en plus pressants. Les Etats-Unis devraient lancer une initiative diplomatique en phase avec les propositions de l’émissaire de l’ONU, tout en exhortant le Maroc et le Polisario à faire des concessions. Les puissances européennes devraient, quant à elles, harmoniser leurs positions afin d’appuyer le processus onusien.

L’administration Trump a multiplié les signaux contradictoires sur la question du Sahara occidental. En avril, elle a suscité des attentes quant à un réengagement américain, sans pour autant les concrétiser au cours des trois mois qui ont suivi, les priorités fluctuantes de sa politique étrangère et les querelles bureaucratiques intestines ayant freiné l’élan impulsé par la déclaration de Marco Rubio. Ce n’est qu’en juillet que le conseiller spécial des Etats-Unis pour l’Afrique, Massad Boulos, s’est rendu dans la région, faisant escale en Libye, en Tunisie et en Algérie, où il s’est entretenu avec des responsables locaux et internationaux au sujet du Sahara occidental.

Dans le vide diplomatique ainsi créé, les partisans de la ligne dure à Washington et à Rabat ont commencé à promouvoir des initiatives unilatérales visant à appuyer la revendication de souveraineté marocaine sur ce territoire, telles que la fermeture de la Minurso et la désignation du Front Polisario comme organisation terroriste. Ces idées ont vu le jour au sein de groupes de réflexion américains et de cercles politiques marocains conservateurs, et bien qu’elles n’aient jamais été officiellement endossées par Rabat et Washington, elles pourraient finir par s’imposer. Le Polisario ne semble guère s’en émouvoir, pas plus que l’Algérie, son principal soutien étatique, mais les diplomates européens s’inquiètent. Ils alertent sur le fait que le départ des Casques bleus pourrait inciter les forces marocaines à occuper la zone tampon surveillée par l’ONU, laquelle sépare les portions du Sahara occidental contrôlées respectivement par le Maroc et le Polisario. Un tel scénario pourrait attiser les tensions, voire déclencher une confrontation militaire directe entre le Maroc et l’Algérie, où de nombreuses unités du Polisario disposent de bases arrière. Les responsables de l’Union européenne et de l’ONU expriment également leur inquiétude : qualifier le Polisario d’organisation terroriste risquerait, selon eux, d’alimenter les violences au Sahara occidental entre le Maroc, le Polisario et l’Algérie.

De son côté, l’ONU a saisi l’occasion offerte par la déclaration de Marco Rubio pour définir les contours d’un hypothétique nouveau cycle de discussions. Staffan de Mistura, que plusieurs années d’inertie diplomatique avaient découragé, est revenu sur le devant de la scène pour insister sur le fait que toute proposition d’autonomie devrait être « véritable » et permettre au peuple sahraoui d’exercer une « forme crédible d’autodétermination ». Faisant écho aux éléments de langage de Marco Rubio, ces propos visaient à ancrer les futures négociations dans un cadre susceptible d’être accepté à la fois par le Maroc et par le Polisario. Le Royaume-Uni a, lui aussi, profité de cette opportunité pour infléchir la neutralité qu’il affichait jusqu’alors quant aux modalités d’un accord, qualifiant le plan marocain d’autonomie de « base la plus crédible, viable et pragmatique » pour résoudre le conflit, tout en conservant des références explicites au droit des Sahraouis à l’autodétermination. Cette prise de position a davantage rapproché Londres de Washington, tout comme de Paris, le principal soutien européen de Rabat.

Le Maroc, le Polisario et leurs soutiens respectifs ont tous intérêt à éviter un conflit de plus grande ampleur. Toutefois, des tensions couvent sous la surface.

Pour l’heure, la retenue mutuelle continue de limiter le risque d’une reprise des hostilités, près de cinq ans après la dernière flambée de violence. Le Maroc, le Polisario et leurs soutiens respectifs ont tous intérêt à éviter un conflit de plus grande ampleur. Toutefois, des tensions couvent sous la surface. Le Polisario a mené plusieurs frappes ponctuelles dans la partie du Sahara occidental sous contrôle marocain, notamment des tirs de roquettes à Mahbès et à Smara, rappelant ainsi qu’il dispose toujours de capacités militaires effectives. De son côté, le Maroc a eu recours à des drones pour contenir ces attaques, tout en évitant une riposte d’envergure. Les deux parties se sont largement abstenues de cibler les civils et continuent de laisser les observateurs de l’ONU accomplir leur mission.

Mais les tensions montent dans les camps de réfugiés sahraouis installés en Algérie. De jeunes activistes et responsables politiques y remettent ouvertement en cause l’efficacité de la stratégie du Polisario pour aboutir à l’indépendance et plaident pour une intensification du conflit contre le Maroc. Parallèlement, des signes laissent également penser que Rabat pourrait chercher à régler le conflit de manière unilatérale en sollicitant un vote de l’Assemblée générale des Nations unies visant à retirer le Sahara occidental de la liste des territoires non autonomes.

Le manque de cohérence de l’approche américaine, l’impatience des Sahraouis et les appels, de plus en plus nombreux, à démanteler la Minurso ou à qualifier le Polisario d’organisation terroriste risquent de fragiliser un équilibre déjà précaire. Pour éviter une escalade du conflit, les Etats-Unis et l’Europe devraient redonner une chance à la diplomatie, avec l’appui de l’émissaire de l’ONU. Ils devraient soutenir une initiative coordonnée destinée à relancer les négociations en vue d’une autonomie véritable de ce territoire contesté et d’une forme crédible d’autodétermination pour le peuple sahraoui, conformément aux propositions de Staffan de Mistura.

Les prochaines décisions de Washington seront particulièrement déterminantes. Les Etats-Unis devraient aller au-delà des déclarations d’intention pour élaborer une stratégie cohérente incitant le Maroc et le Polisario à revenir à la table des négociations, en pressant le premier de détailler sa proposition d’autonomie et le second de faire preuve de flexibilité dans sa position. Ils devraient éviter toute réforme hâtive de la Minurso, conditionnant plutôt toute modification de son mandat à des avancées tangibles dans le processus de négociation. Les gouvernements européens devraient, pour leur part, définir une position commune qui protège le mandat de la Minurso, consolide la médiation onusienne et rejette fermement toute action unilatérale, telle que l’éventuelle désignation du Polisario comme organisation terroriste par les Etats-Unis. Ce n’est qu’à travers un engagement durable et coordonné que les Etats-Unis et l’Europe pourront offrir à l’émissaire de l’ONU la latitude diplomatique nécessaire pour relancer des négociations en vue d’un règlement juste et durable du conflit.

Alger/Rabat/Tindouf/Bruxelles, 20 octobre 2025