Les rêves de grandeur inachevés des Présidents ivoiriens

Le Président Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire de 1960 à 1993 qui fut à l’origine de la magnifique basilique d’Abidjan avait une affection particulière pour Yamoussoukro, son village natal où il fut enterré à son décès. Ce batisseur voulut transformer cette commune en une Brasilia africaine, il en fit une coquette ville aux avenues si larges que l’on disait que des avions gros porteurs pouvaient y atterrir.

Laurent Gbagbo tenta de rendre effectif le transfert de la capitale d’Abidjan à Yamoussoukro, mais sans succès. L’actuel Président Ouattara a bien construitun palais présidentiel à Abidjan, mais il préfère pour se reposer se rendre dans sa résidence de Mougins dans le sud de la France.

Une chronique de Venace Konan

Yamoussoukro incarne surtout le délire d’un Président qui a voulu faire de son petit village le centre du monde et qui a dépensé, sans compter, pour réaliser son rêve. Marbre, granit et béton armé coulent à flots dans cette ville qui n’a de capitale que le nom.
Yamoussoukro incarne surtout le délire d’un Président qui a voulu faire de son petit village le centre du monde et qui a dépensé, sans compter, pour réaliser son rêve. Marbre, granit et béton armé coulent à flots dans cette ville qui n’a de capitale que le nom.

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Houphouët-Boigny construisit une basilique qui est presque la réplique de celle de Saint-Pierre à Rome, une fondation pour la recherche de la paix toute en marbre, un lycée scientifique pour former les meilleurs élèves du pays, des grandes écoles sur le modèle des campus américains, un parcours de golf, un hôtel cinq étoiles, et surtout un immense palais où se trouve une salle de Conseil des ministres, que jouxte une luxueuse résidence des hôtes de marque où il recevait les chefs d’Etats. Cette résidence fut baptisée le « Giscardium » parce que l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing fut le premier président étranger à y séjourner.

En 1983, Houphouët-Boigny fit de Yamoussoukro la capitale officielle de la Côte d’Ivoire. Mais la crise économique frappa durement le pays dans les années 90 et toutes les institutions restèrent à Abidjan jusqu’à son décès.

Après la mort d’Houphouët-Boigny, son successeur Henri Konan Bédié se détourna de Yamoussoukro pour se consacrer à Daoukro son village natal. Il construisit dans le quartier résidentiel des voies aussi larges que celles de Yamoussoukro, mais le coup d’Etat de 1999 ne lui laissa pas le temps d’aller jusqu’au bout de ses projets.

Guéï Robert le tombeur de Bédié ne régna que pendant dix mois chaotiques qui ne lui permirent pas de faire quoi que ce soit dans son village de Kabacouma, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire.

Laurent Gbagbo qui succéda à Gueï se contenta de bitumer la route qui conduisait à son village de Mama, dans la région de Gagnoa, dans le centre-ouest de son pays. Il y construisit une belle villa qui n’a absolument rien d’un palais. Par contre, il entreprit de rendre effectif le transfert de la capitale d’Abidjan à Yamoussoukro. Ainsi il commença à y construire un nouveau palais présidentiel, une nouvelle Assemblée nationale et un sénat. Mais il ne les termina pas avant de perdre la pouvoir.

Alassane Ouattara promit durant sa campagne électorale en 2010 se s’installer à Yamoussoukro et d’y transférer effectivement la capitale après son élection, mais il ne l’a pas fait. Au contraire un nouveau palais présidentiel a été construit à Abidjan.

Le berceau de la famille paternelle du président ivoirien est la ville historique de Kong dans le nord du pays, qui fut la capitale du royaume du même nom, tandis que sa mère est originaire de Gbéléban, toujours dans le septentrion ivoirien. Si la sœur du président est la maire de Gbéléban, et son frère, le président du conseil régional du Tchologo, région qui englobe la ville de Kong, lui-même ne va jamais ni à Kong ni à Gbéléban, sauf lors de l’une de ses tournées dans les régions du nord.

Ses week-ends, il les passe plutôt dans sa résidence d’Assinie, la luxueuse station balnéaire située à une soixantaine de kilomètres d’Abidjan. Mais lorsqu’il veut se retirer d’Abidjan pour des séjours plus longs qu’un simple weekend, il préfère se rendre dans sa résidence de Mougins dans le sud de la France.

      Notre reportage sur les éléphants blancs du Président Bédié 

Combien ont coûté toutes les réalisations du « Sphinx » à Daoukro où il avait vécu et dans son village natal de Pèpressou? Plusieurs milliards de francs CFA. Des investissements qui ne servent aujourd’hui strictement plus à rien.

C’est tout juste après le château d’eau au coeur du Quartier résidentiel de Daoukro que débute la longue clôture jaune avec des touches de bleu de la résidence de l’ancien président Henri Konan Bédié. Celui que l’on surnommera plus tard « le Sphinx » avait commencé sa carrière publique à 28 ans, en tant qu’ambassadeur de la Côte d’Ivoire aux Etats Unis. Puis, il avait été le tout-puissant ministre de l’Economie et des finances de son pays au temps de ce que l’on appela « le miracle ivoirien », et président de l’Assemblée nationale pendant treize ans avant de diriger la Côte d’Ivoire à la mort du « père fondateur » Félix Houphouët-Boigny de 1993 à 1999.

La maison qu’il possède depuis qu’il était ambassadeur dans les années soixante et qu’il a progressivement agrandie au fil des années n’est pas très grande. Juste une villa cossue, avec une piscine dans la cour intérieure.

Mais dès qu’il est devenu président de la république en 1993, il a intégré à sa résidence les maisons voisines qui avaient été construites dans les années soixante-dix pour loger des enseignants, ainsi que tous les espaces verts qui jouxtaient sa résidence, y compris le petit jardin public en face de l’hôpital. A l’intérieur de la cour l’on trouve sur la gauche un grand apatam sous lequel il recevait en début de chaque année les vœux de la population.

Un héliport et une douzaine de villas

En face de sa résidence, l’ancien président avait construit un héliport et une douzaine de villas pour recevoir ses hôtes de marque. L’héliport dont la construction prit fin seulement quelques jours avant le coup d’Etat du 24 décembre 1999 n’accueillit qu’un seul hélicoptère : celui qui vint le chercher ce jour fatidique du 24 décembre pour le ramener à Abidjan où les militaires mutinés lui arrachèrent son pouvoir.

Cet héliport abrita des soldats de l’ONU durant la longue crise qui divisa la Côte d’Ivoire de 2002 à 2011, et aujourd’hui, certains des employés des villas des hôtes y ont aménagé des logements de fortune. Il sert aussi de parking pour les bulldozers du conseil régional. Les villas des hôtes, elles, n’accueillent plus désormais que quelques rares personnalités de passage et seules cinq ou six sont encore fonctionnelles. L’une d’elle, ainsi que le préau, sont carrément en ruine.

Le Palais des congrès inachevé

Derrière la résidence du président Bédié se trouve l’hôtel de la Paix qu’il avait construit au début de son règne. L’hôtel est élégant, dispose d’une piscine et de plusieurs bungalows mais n’est pas aussi luxueux que celui qu’Houphouët-Boigny construisit à Yamoussoukro et qui s’appelle « Président ». Cependant, Henri Konan Bédié avait entrepris de le doter d’un immense palais des congrès qui devait disposer d’une salle de trois mille places. L’ouvrage était pratiquement achevé lorsque le coup d’Etat survint. Les différentes salles de réunions et la grande salle coiffée d’une immense coupole étaient achevées, le marbre rose de l’entrée déjà posé, des artistes avaient commencé à le décorer et la climatisation installée.

Les travaux s’arrêtèrent net et tout ce qui pouvait être pillé le fut. Notamment les systèmes de climatisation et de sonorisation. Aujourd’hui les différentes salles sont louées de temps à autres aux partis politiques qui y tiennent des réunions. Lorsque Bédié était encore vivant, le congrès de son parti se tint dans la grande salle.

Entre deux réunions, des jeunes gens vont y patiner ou jouer à cette forme de football appelée « petits poteaux » dans l’immense auditorium. D’autres vont y faire du judo ou du karaté.

Le village natal de Pèpressou

L'église de Pèpressou, le berceau de la famille Bédié

A huit kilomètres de Daoukro se trouve le village de Pèpressou, le berceau de la famille Bédié que l’ancien président a complètement transformé. A l’entrée du quartier de la famille, se trouve l’église dont la construction s’est achevée peu de temps avant son décès. C’est là qu’il a été enterré.

Les cases traditionnelles ont toutes disparues pour laisser la place à de coquettes villas que bien de cadres ivoiriens auraient beaucoup de mal à s’offrir. Le village est divisé en deux quartiers : celui des parents de Bédié et celui des autres habitants. Toutes les rues du village sont bitumées et éclairées par des lampadaires au design futuriste.

 

La construction d’un tunnel avait été amorcée entre le Plais et la résidence de Daoukro

Après l’église, vient le Palais qu’il était en train de construire et qui était sur le point d’être achevé. Il devait être relié à sa résidence de Daoukro par un tunnel dont la construction avait commencé. Un autre tunnel en construction devait conduire au caveau familial. La clôture sur une façade mesure plus d’un kilomètre. Où devait-elle s’arrêter ? Peut-être à Daoukro. Un lac artificiel avait été creusé en face de la résidence. Il est aujourd’hui envahi par la végétation.

Au cœur du pays Nambé

Pèpressou se trouve au cœur du pays Nambé, une tribu de l’ethnie Baoulé à laquelle Henri Konan Bédié appartenait. Dans son livre « les chemins de ma vie », l’ancien président expliquait que son père était le roi du Nambè.  Bédié avait construit une dizaine de villas dans chacun des cinq villages de ce Royaume pour les offrir aux paysans, sans doute en attendant de les transformer complètement plus tard comme Pèpressou.

Jusqu’à son décès en 2023, très peu de constructions nouvelles avaient vu le jour dans ces villages. Tout le monde attendait peut-être son retour au pouvoir pour qu’il achève de les transformer.

Ce n’est qu’après le décès du Sphinx qu’un collège a été construit à Pèpressou.