Présidentielle Côte d’Ivoire, un premier mort mais une opposition désemparée

Lors d’une échauffourée à Bonoua, une ville située à une soixantaine de kilomètres à l’est d’Abidjan, Ernest Christophe Allouan, âgé de 22 ans, a reçu une balle dans la mâchoire. Dans un pays encore marqué par ses traumatismes électoraux, l’annonce de ce drame a ravivé des souvenirs douloureux. 

Correspondance Abidjan

À moins de deux semaines du scrutin, la Côte d’Ivoire avance en terrain miné. Les leaders de l’opposition peinent à structurer une mobilisation efficace, tandis que le pouvoir, malgré sa maîtrise apparente, fait face à des foyers de contestation inattendus. Dans ce contexte, la présidentielle s’annonce aussi tendue qu’incertaine. Le pays semble pris dans une dynamique où confrontation et contrôle se succèdent, sans qu’aucune issue ne se profile à l’horizon.

Après la manifestation avortée du samedi 11 octobre, le Front commun — alliance des deux principaux partis d’opposition, le PDCI et le PPA-CI — a lancé le mot d’ordre : « Bloquons tout jusqu’au 25 octobre », date du premier tour de l’élection présidentielle. Abidjan étant particulièrement surveillée et verrouillée par les forces de défense et de sécurité, le Front commun a choisi de privilégier les actions dans les villes de l’intérieur du pays.

Un premier mort

Dès le dimanche 12, quelques embryons de révolte sont apparus ici et là : des barrages ont été érigés, des routes coupées. Le lendemain, des petits groupes de jeunes investissent les écoles, collèges et lycées pour faire cesser les cours. Des affrontements ont opposé des jeunes à ceux qu’on appelle en Côte d’Ivoire les « corps habillés », expression qui regroupe l’ensemble des forces de l’ordre. 

Dès la matinée du 14 octobre, les images d’un jeune homme blessé ont circulé massivement sur les réseaux sociaux. Dans l’après-midi, un communiqué de la Direction générale de la police nationale annonçait officiellement sa mort, précisant que la victime avait été tuée par des « individus non identifiés ». Quelques minutes plus tard, des internautes activistes répliquaient en publiant la photo d’un policier supposé être l’auteur du tir.

Au cours de la journée du 14 octobre, d’autres informations ont circulé, évoquant notamment la mort d’un bébé asphyxié par des gaz lacrymogènes ou le passage à tabac d’une femme enceinte de huit mois.
Mais la désinformation sur les réseaux sociaux est telle qu’il est extrêmement difficile de vérifier la véracité de ces faits. De la même manière et pour les mêmes raisons, il est presque impossible d’avoir une image globale de la situation dans l’ensemble du pays.

Les déboires de l’opposition

Cependant, indubitablement le mot d’ordre « bloquons tout » peine encore à se traduire dans les faits. La mobilisation reste embryonnaire et très localisée dans le Sud et le Centre, zones favorables à l’opposition. Dans l’Ouest, fief de Laurent Gbagbo, la situation demeure pour l’instant calme. La porte-parole du PPA-CI, Habiba Touré, a promis la poursuite des actions de terrain, avec des manifestations quotidiennes et la préparation d’une grande marche nationale. L’annonce de cette nouvelle marche, alors que celle du 11 octobre n’a pas transformé l’essai, souligne le manque de stratégie d’une opposition qui semble avancer à tâtons.

L’absence de leaders visibles dans les marches et leur silence suscitent incompréhension et critiques. Ainsi, il a fallu attendre 48 heures pour que Tidjane Thiam, président du PDCI, réagisse timidement aux arrestations musclées de ses militants et à l’attaque par les FDS du portail du domicile de son vice-président, Noël Akossi Bendjo. Si le mutisme de Laurent Gbagbo peut se comprendre face à la répression qui s’abat sur les dirigeants de l’opposition, la lenteur de la réaction de Tidjane Thiam, installé à Paris, a été largement critiquée, y compris au sein de son propre parti.

L’optimisme du pouvoir

Pour autant, le pouvoir ne crie pas victoire. Dans les coulisses, il se raconte qu’Alassane Ouattara a été furieux que son premier meeting à Daloa, le 11 octobre, soit passé sous silence, tous les regards étant braqués sur la manifestation d’Abidjan. Et si  son équipe de campagne affiche un optimisme de circonstance en proclamant une victoire au premier tour avec plus de 80 % des voix, le gouvernement semble quelque peu décontenancé par les foyers de révolte dans le pays, malgré leur faible ampleur.

Lors de l’élection présidentielle de 2020 — qui a fait 85 morts dans les rangs de l’opposition — c’est l’intérieur du pays qui s’était soulevé. Preuve de ce trouble. ans une démarche inédite, le patron de la gendarmerie, le général Apalo Touré, s’est rendu à Akoupé, une ville où des jeunes se sont soulevés pour tancer les chefs de village.