Présidentielle, le pouvoir ivoirien tord la démocratie au nom de la stabilité

Le 2 octobre, le Conseil National de Sécurité (CNS), réuni sous l’égide du Président, a publié un communiqué d’une fermeté inhabituelle où l’observateur avisé pressent de singulières alarmes, qui pourraient se concrétiser lors de la marche du 11 octobre à laquelle appelle l’opposition pour dénoncer la mise à l’écart du scrutin présidentiel de cinq personnalités représentatives, en l’occurrence Laurent Gbagbo, ancien Président et chef du Parti des Peuples Africains (PPA-CI), Guillaume Soro, ex Premier ministre et fondateur de Génération des Peuples Solidaires (GPS, non -autorisé), Tidjane Thiam, cet ami d’Emmanuel Macron et l’homme fort du principal parti d’ooposition, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Charles Blé-Goudé du Congrès panafricain pour la Justice et l’Egalité des Peuples (COJEP) et Pascal Affi Nguessan du Front Populaire Ivoirien (FPI), sans parler des candidats indépendants.. 

La rédaction de Mondafrique (Paris)

Le président incarne une forme de stabilité et de réussite économiqie mais au prix d’atteintes au processus démcratique

En Côte d’Ivoire, l’alternance pacifique au sommet de l’Etat est un vœu jamais atteint. D’ailleurs, chaque échéance, même d’échelon municipal, charrie les ferments de fracture sociale et leur lot de tuerie, parmi les civils. Depuis la disparition du père fondateur Félix Houphouët Boigny, le 7 décembre 1993, le pays ne cesse d’éprouver des crises politico-militaires à répétition. En toile de fond constante, la communauté de destin se dissout dans le double enjeu de l’identité et de l’immigration en provenance du Sahel. D’après les données produites en 2021 par l’Agence nationale de la statistique (Ansat), 22% de la population est d’origine étrangère.

Au regard des conséquences du changement climatique, de la démographie hors contrôle et des vulnérabilités alentour, il appert que le pourcentage est sous-estimé. Maliens, Burkinabé et Nigériens constituent le lot dominant de ce que la propagande xénophobe nomme « invasion ». Ils partagent, avec les natifs du nord, l’islam et l’usage du Dioula, un dialecte de marchands, dérivé du Bambara. Aux yeux d’autres autochtones Chrétiens et animistes du centre, du sud et de l’ouest, les locuteurs de cette langue sont assimilés à la collectivité indifférenciée des musulmans, vecteur de surnatalité, de délinquance juvénile et de déshérence scolaire.

Ces divisions ethniques et géographiques qui minent la nation ivoirienne aiguisent les conflits politiques, enflamment les débats et rendent le processus démocratique en vue de la désignation d’un Président particulièrement fragile. 

Un climat de peur

Le communiqué du Conseil National de la Sécurité rendu public le 2 octobre permet de prendre la mesure des tensions en cours: « Le Conseil National de Sécurité constate, cependant, que depuis la publication, le 8 septembre 2025, par le Conseil Constitutionnel, de la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle d’octobre prochain, plusieurs individus, dont des responsables politiques, tiennent des propos à caractère xénophobe, haineux et subversif, et diffusent de fausses informations de nature à troubler l’ordre public (….) »

Ce n’est pas tout: « Le Conseil National de Sécurité, tout en condamnant fermement ces propos et comportements, qui vont à l’encontre de l’esprit de paix et de responsabilité qui doit prévaloir particulièrement en période électorale, tient à rappeler que, conformément à l’article 138 de la Constitution : « Les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale (…) Par conséquent, toute contestation des décisions du Conseil Constitutionnel, de quelque nature qu’elle soit, est illégale et expose ses auteurs aux sanctions prévues par la loi.

 Et d’ajouter:  » À cet égard, les Ministres en charge de la Justice et de la Sécurité ont été instruits à l’effet de prendre toutes les dispositions nécessaires pour maintenir l’ordre et la sécurité, y compris l’interdiction des meetings et manifestations publiques visant à contester les décisions du Conseil Constitutionnel. »

Or, les membres du Conseil Constitutionnel, arbitre en dernier ressort de la loi fondamentale, sont désignés par l’Exécutif. En vertu de l’article 45 de la Constitution, le Chef de l’Etat dirige le Conseil supérieur de la magistrature. Les juges obéissent à un fidèle de Ouattara, l’inamovible Sansan Kambilé, ministre de la Justice et des droits de l’homme, depuis 2016 et notable du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), le parti de la Majorité. L’ensemble de l’appareil de justice ne bénéficie de la neutralité prétendue.

L’impartialité affichée de cette instance de controle ne fait pas illusion, comme un peu partout en Afrique. Le meneur de la Commission électorale indépendante (Cei), Ibrahime Koulibaly-Kuibier doit sa fonction, à l’aval de la coalition au pouvoir dont les délégués l’ont choisi, en 2019.  la suite des contestations de son autorité et du manque de transparence à l’inscription des nouveaux électeurs, les représentants de l’opposition se sont retirés de l’organe, le privant, dès lors, de sa crédibilité. A cause de la rupture de la confiance entre les animateurs de la compétition, la Côte va aborder le vote le plus périlleux de son histoire. 

L’Eglise catholique se contente d’une posture de magistère moral, mais sur la pointe de pieds.

Le 29 juillet, la Conférence épiscopale de Côte d’Ivoire, dans sa lettre pastorale, dresse un tableau critique des conditions du scrutin à venir et réclame le dialogue. Les prêtres n’osent braver la puissance du moment alors que leurs cœurs penchent vers l’opposition. Inversement, les mosquées et les officiels du culte sunnite ne cachent leur préférence pour Ouattara, l’artisan d’une laïcité égalitaire, après des décennies de marginalisation des musulmans.

Le réveil de la discorde

L’explication se passera entre nationaux, en principe à l’abri d’une immixtion physique de l’extérieur. A la différence de 2010-2011, les protagonistes ne peuvent espérer ou ne sauraient craindre une intervention d’acteurs exogènes. Le 20 février 2025, en présence de Sébastien Lecornu, alors ministre français des armées et de son homologue Téné Birahima Ouattara, frère du Président, les derniers éléments de la base emblématique de Port-Bouët près de l’aéroport international d’Abidjan, ont remis les clés de l’emprise au pays hôte. Une page se tourne, définitivement.

https://www.france24.com/fr/afrique/20250220-la-france-r%C3%A9troc%C3%A8de-sa-base-militaire-de-port-bou%C3%ABt-%C3%A0-la-c%C3%B4te-d-ivoire

En sens inverse et à contrario de 2020, l’année sanglante qui a débuté le 3ème mandat de Ouattara, la contestation gagne au-delà des frontières. Portée par le capitaine Ibrahim Traoré (IB) du Burkina Faso, les putschistes de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), avec le soutien tacite de la Russie et l’apport de milliers de trolls de désinformation, s’en prennent à un régime qui incarne, à leurs yeux, l’un des derniers bastions du néocolonialisme français.

Plus grave encore, la junte du Burkina Faso procède à des enlèvements, sur sa frontière sud, d’Ivoiriens et d’opposants, auxquels elle attribue des menées d’espionnage. IB va même jusqu’à soupçonner, la Côte d’Ivoire, de servir de base-arrière au jihadisme.

Guillaume Soro
Ancien Premier ministre de Côte d'Ivoire
Guillaume Soro Ancien Premier ministre de Côte d’Ivoire

Enfin, la figure de l’ancien chef rebelle et ex-Premier ministre Guillaume Soro, l’ennemi public numéro 1 hante, plus que jamais, le sommeil des pro-Ouattara. Soro séjournerait alternativement, à Ouagadougou, Bamako ou Niamey. Peut-être, au titre d’une tentative d’anticipation de sa nuisance, la Côte d’Ivoire vient de recevoir, le 16 septembre 2025, les lettres de créance de l’ambassadrice du Niger. Il est loin le temps où Ouattara agitait la menace d’une expédition de la Cédéao, en vue de libérer et restaurer le Président élu, Mohamed Bazoum.

Ib Côte d’Ivoire : https://www.youtube.com/watch?v=vbEtob1Vc58

« Tout sauf Ouattara »

La justice a disqualifié quatre symboles vivants de l’opposition, en l’occurrence Laurent Gbagbo du Parti des Peuples Africains (PPA-CI), Guillaume Soro de Génération des Peuples Solidaires (GPS, non -autorisé), Tidjane Thiam du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Charles Blé-Goudé du Congrès panafricain pour la Justice et l’Egalité des Peuples (COJEP) et Pascal Affi Nguessan du Front Populaire Ivoirien (FPI), en sus de candidats indépendants.

Les recalés sonnent l’appel à la revanche. Quasiment sans programme hormis le slogan « tout sauf Ouattara », ils s’apprêtent à la désobéissance civile, sous formes de structures de proximité, en charge de rameuter la foule et d’y exciter la soif du renversement. Leur résolution s’avère inversement proportionnelle au rapport de forces. Le pouvoir aligne 44 000 hommes en uniforme, les coalisés du Front commun n’ont, eux, plus rien à perdre face au dispositif de sécurité dit « Espérance ».

Au-delà des divergences idéologiques – de la gauche nationaliste, à la droite conservatrice – ils rêvent, éveillés, d’un soulèvement du grand soir et appellent à la neutralité des soldats. Certains, non sans malice, soulignent l’imprudence à garder l’armée en situation d’alerte, trente jours durant. D’aucuns, l’eau à la bouche, évoquent un scénario à la gabonaise. Tous s’accordent à le prédire, « il n’y aura pas d’élection », le 26 octobre 2025 !

Le 11 octobre, journée test!

Aussi, conformément aux directives du CNS, la manifestation éclatée des protestataires, initialement prévue le 4 octobre, n’a pas obtenu l’autorisation. De potentiels agitateurs ou commanditaires de troubles ont été arrêtés, assez vite. Les organisateurs se rabattent sur le 11 et espèrent relever le degré de la mobilisation du< 9 août 2025 qui causa de la sidération dans les rangs du RHDP.

Certes, en termes de résultats, la formation de Ouattara dispose d’une nette avance au sein de la totalité des assemblées électives, municipalité, conseil de région et Parlement. Néanmoins, l’initiative de la rue lui fait relativement défaut. Par-delà le clivage de l’ethnicité et des confessions religieuses, la jeunesse des villes, victime du chômage, de l’inflation, des rafles nocturnes, du racket policier et de la propagande sur les réseaux sociaux, aspire au coup de balai, mais se détourne de la politique. Beaucoup d’Ivoiriens de moins de 30 ans n’iront pas voter.

Le désenchantement et le souvenir des atrocités de la guerre fratricide nourrissent la tentation de l’apolitisme. En octobre 2025, les citadins ont peur et s’empressent de faire provision de nourriture. Les écoles et universités tournent au ralenti. L’attente de la grande explication suscite la rumeur, à cause du festival ininterrompu des fake-news. L’angoisse du lendemain rappelle les heures sombres de 2002 à 2012.

Le fil de la concertation paraît rompu. Fort des candidatures de Madame Simone Ehivet Gbagbo en rupture maritale avec son ex-époux, de Jean-Louis Billon transfuge du PDCI, de Ahoua Don Mello dissident du PPA-CI et d’une poignée de figurants d’envergure anecdotique, Alassane Ouattara est assuré de gagner cette élection encadrée.  De surcroît, la notoriété de ses principaux concurrents confère au scrutin, une caution, certes a minima.

https://www.youtube.com/watch?v=OB8zdgqhfZ0

Les bons chiffres de l’économie

Le bilan de la gestion de 15 ans conforte la posture du Président sortant, en dépit d’une avalanche de bémols. Le niveau d’endettement frôle les 55 % du PIB et une corruption vertigineuse prévaut que l’indice mondial 2024 classe au 69ème rang sur 180. Le narcotrafic, le blanchiment et le financement du terrorisme valent, au pays, le statut de « haut risque », comme le précise un constat de l’Union européenne, en date du 10 juin 2025. La croissance reste stable à plus de 6% et devrait augmenter d’un point en 2027. La revalorisation des tarifs du cacao à l’international se répercute sur les paysans, au surlendemain d’une longue phase de vaches maigres. Avec 2 millions de tonnes par an, la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de fèves, en tire 14% de son PIB. Le secteur profite à 1 quart de la population.

Confiant, le RHDP escompte la gratitude des planteurs. La modernisation de l’orpaillage et le démarrage de l’extraction off-shore de pétrole et de gaz naturel, dénommé Baleine, relève le montant des recettes nettes du trésor. La Petroci Holding, entreprise publique et l’italien Eni se félicitent d’un partenariat prompt. Ils privilégient la perspective de la mise en valeur graduelle des gisements, afin d’éviter l’imprudence d’un concours d’investissement aléatoire.

La Côte d’ivoire en plein essor économique face à l’échéance de la Présidentielle

Pourtant, les bons chiffres de l’économie aggravent la convoitise autour de la direction du pays. Ils exacerbent les appétits partisans. Toute proportion gardée, la Côte d’Ivoire est riche, à l’exemple de la Guinée voisine et de la République démocratique du Congo. La détermination des deux camps en conflit pour la diriger résulte d’un choc d’ambitions sans règles du jeu mutuellement acceptées.  Il suffit d’une série de sabotages, d’une répression excessive, d’une bavure…Le discours de la haine est déjà audible, son vacarme envahit l’espace public.

Chacun fourbit ses armes.

Le tourisme en Côte d’Ivoire(4/4): le carnet de route de l’écrivain Venance Konan