Tiny Blair, proconsul d’un « bureau de rétablissement de la paix » à Gaza

On connaît la phrase maintes fois citée de Marx prédisant sombrement que « l’histoire se répète en deux temps, la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. Rien ne semble plus approprié pour qualifier l’hypothèse d’une nomination de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair comme  « proconsul » d’un « bureau de rétablissement de la paix » dans le cadre du ’plan Trump’ pour Gaza.

Bruno Philip

Rappeler « Sir Tony  » , dont l’Histoire retiendra surtout le soutien à l’invasion irakienne en 2003 -une tragédie-, pourrait bien culminer en farce si Blair, que d’aucuns de ses anciens alliés du « labour » accusent d’avoir trahi les idéaux du Parti travailliste en le faisant glisser à droite, se retrouve chargé de la destinée d’un Gaza enfin en paix.

Deux grands journaux de la presse anglo saxonne, notamment un quotidien britannique de premier plan, ne se privent pas d’épingler un ex « prime minister » qui s’est enrichi par le passé grâce à son cabinet de conseil au terme de contrats passés avec des démocrates aussi accomplis que le satrape du Kazakhstan, le très autoritaire Noursoultan Nazarbaïev…

Après l’annonce du plan Trump, « certains membres du Parti travailliste n’en croyaient pas leurs oreilles » en apprenant  que le nom de Blair circulait comme leader du « board of peace » chargé d’administrer Gaza après un cessez-le-feu conclu entre Israël et le Hamas, vient ainsi de remarquer le grand quotidien de la city de Londres, le Financial Times. « Ceux-là n’ont pas pardonné le soutien décidé de Blair à l’invasion américaine de l’Iraq ».

Un ministre de l’actuel gouvernement travailliste de Keir Starmer, – qui n’est pas nommément cité- manie l’ironie féroce à l’égard de l’ancien boss du « Labour » : « C’est comme une mini série dont les scénaristes ont perdu le fil du récit : le scénario a dépassé les bornes du vraisemblable et la série ferait mieux d’être retirée des écrans ». Un membre du parlement, également travailliste et également cité anonymement, renchérit : « Je pense que [la nomination de Blair] est une idée terrible et je ne suis pas le seul !»

Sans compter, ajoute l’article du « ’FT » que « dans le monde arabe,  l’ex premier ministre est qualifié de criminel de guerre », une réputation ayant peu de chance de renforcer une crédibilité déjà amplement entachée par son bilan personnel en Irak. L’article cite Nabeel Rajab, un défenseur des droits de l’Homme bahreïni accusant Blair d’avoir été « complice de la tragédie irakienne et d’avoir  du sang sur les mains après s’être rendu responsable de tant de morts et de destruction en Irak ».

« Blair appelé à la rescousse pour sauver les Palestiniens ? Mais c’est une parodie écoeurante“, s’étrangle de son côté Amjad Salehi, un Palestinien réfugié à Bagdad ; ” il ferait mieux de nous laisser tranquille, on ne le veut pas ici, cet homme est nocif pour le monde arabe ! »

Le New York Times n’est pas en reste au chapitre de l’habillage de Tony Blair pour quelques hivers : « Ses chances de succès sont périlleusement minces », écrit le grand quotidien new yorkais  : l’article relève d’abord que la « persévérance » de Trump en tant que faiseur de paix est « imprévisible » et ajoute ensuite que l’hypothèse d’un « débarquement dans l’arène de Gaza » d’un M Blair au front ceint de la couronne d’une sorte de « vice-roi postcolonial » fait déjà prédire que « son arrivée ne fera que raviver des tensions ». Et le NYT d’anticiper le pire en évoquant la possibilité que la nomination de Blair pourrait non seulement « ne pas mettre fin à la guerre mais au contraire le prendre lui-même au piège d’un nouveau conflit insoluble ».

Le journal rappelle également qu’au temps où Blair avait été nommé émissaire du « Quartet » pour la paix en Palestine – Un cénacle qui regroupait les Etats-Unis, l’Union Européenne, la Russie et l’ONU-, son rôle s’était soldé par un cuisant échec : « Après avoir loué des chambres dans le [très chic] hôtel American colony à Jérusalem, M Blair s’était efforcé de s’attaquer à la questions des barrages israéliens en Cisjordanie et de trouver des solutions pour dynamiser l’économie palestinienne. Mais Tony Blair , lesté de son  ’héritage’ irakien, n’ aura jamais réussi à convaincre les Palestiniens qu’il penchait toujours du côté israélien.  » Nommé en 2007 par le secrétaire général de l’ONU, il avait jeté l’éponge en 2015.

L’article du New York Times se conclut par une prédiction définitive que Marx et sa sombre vision de l’Histoire n’aurait peut-être pas renié, celle de Khaled Elgindy, un expert du moyen orient basé aux Etats-Unis : « Parachuter Blair comme vice-roi d’un nouveau projet colonial à Gaza?,  ça n’a aucune chance de marcher ! ». Une farce, en somme.





 

 
 
 
 
 
 
 
 
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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)