Présidentielle ivoirienne, l’opposant Pascal Affi Nguessan tire la sonnette d’alarme

Dans le cadre de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025 en Côte d’Ivoire, Mondafrique propose une série d’entretiens avec les principaux candidats et leaders politiques. Ce deuxième volet est consacré à Pascal Affi Nguessan, président du Front populaire ivoirien (FPI)

Correspondance Abidjan

Depuis plus de trois décennies, Pascal Affi Nguessan est l’une des figures majeures de la vie politique ivoirienne. Ingénieur de formation, il milite très tôt au sein du Front populaire ivoirien (FPI), le parti fondé par Laurent Gbagbo. Lorsque celui-ci accède à la présidence en 2000, Pascal Affi Nguessan devient Premier ministre, fonction qu’il occupera jusqu’en mars 2003. Il s’impose alors comme un technocrate fidèle du président Gbagbo. Après la chute de Gbagbo en 2011, il conserve les rênes d’un Front populaire ivoirien (FPI), profondément affaibli par la crise postélectorale. Son choix de participer au jeu électoral provoque une fracture durable : il s’aliène l’aile restée fidèle à l’ancien président alors emprisonné à la Haye. Pour en terminer avec ce contentieux, en 2021, Laurent Gbagbo  décide de créer sa propre formation, le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPACI).

Dans l’intervalle, au nom du FPI, Pascal Affi Nguessan s’est présenté à la présidentielle de 2015, où il a recueilli 9,3 % des voix face à Alassane Ouattara, puis a boycotté celle de 2020 au nom de l’opposition.

À 72 ans, celui qui se définit comme un « combattant de la démocratie » refuse de se résigner. S’il revendique un ancrage social et républicain, il continue surtout de se poser en gardien d’un principe : sans élections inclusives et transparentes, il n’y a pas d’avenir démocratique pour la Côte d’Ivoire.

Mondafrique : Votre candidature à l’élection présidentielle du 25 octobre a été invalidée par le Conseil constitutionnel. Comment avez-vous accueilli cette décision ?

Pascal Affi Nguessan : J’ai été à la fois surpris et choqué. Mon dossier respectait toutes les conditions prévues par la loi. J’avais déposé 44.382 parrainages citoyens, provenant de 20 régions du pays, alors que la loi exige 1% du corps électoral répartis sur la moitié des régions et districts, soit 17.

Or, dans son arrêt, le Conseil constitutionnel m’attribue 46.546 parrainages … Il me crédite d’un nombre supérieur à celui que j’avais effectivement déposé, puis conclut que ces parrainages ne sont pas conformes. C’est une aberration juridique, une incohérence flagrante. On voit bien qu’il ne s’agit pas de droit, mais d’arbitraire.

Face à cela, j’ai déposé une plainte contre X. Non pas parce que je chercherais une revanche personnelle, mais parce qu’il en va de la crédibilité même de nos institutions. Il est nécessaire de comprendre l’origine de ce décalage. Ce qui est certain, c’est que le dossier sur lequel le Conseil constitutionnel s’est prononcé n’est pas le nôtre. Ce n’est pas celui que j’ai déposé devant la Commission électorale indépendante. La démocratie ne peut pas être confisquée par des décisions aussi injustifiables.

 

Qu’attendez-vous de cette procédure ?

P.A.N : Nous voulons que les responsabilités soient établies et que je sois rétabli dans mes droits. L’opinion publique ivoirienne, mais aussi la communauté internationale, doivent comprendre ce qui est en jeu : le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la base de chiffres falsifiés et a rendu une décision qui me prive de mes droits élémentaires d’être candidat. Un tel précédent est extrêmement dangereux. Aujourd’hui, il s’agit d’une candidature présidentielle. Mais demain, ce pourrait être l’Assemblée nationale, les municipales, n’importe quelle élection. C’est la crédibilité de tout le processus démocratique qui est en cause.

Pourquoi, selon vous, le Conseil constitutionnel a-t-il agi ainsi ?

P.A.N : La justice tranchera sur l’origine de la substitution de dossiers de parrainages. Ce que je sais, c’est que le pouvoir voulait verrouiller le jeu politique. Le RHDP est obsédé par l’idée d’une réélection sans risque, sans débat, sans véritable concurrence. Pour atteindre cet objectif, il fallait écarter toutes les candidatures jugées gênantes. Ils ont donc choisi de m’éliminer en trafiquant les chiffres, en prétendant que mes parrainages n’étaient pas conformes, alors même qu’ils m’en attribuaient plus que ce que j’avais déposé. Tout cela montre que nous ne sommes plus dans un État de droit, mais dans un système où l’institution chargée de garantir la transparence devient un instrument de confiscation démocratique. Ce combat dépasse ma personne. Aujourd’hui, c’est Affi Nguessan, demain ce sera un autre. Tant que les institutions resteront instrumentalisées, aucun candidat d’opposition ne sera à l’abri. Ce que je défends, c’est le droit de chaque citoyen à choisir librement ses dirigeants et celui de chaque candidat éligible à se présenter.

 

Vous avez récemment rencontré l’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et du Sahel (UNOWAS). Qu’attendez-vous de l’ONU ?

P.A.N : L’ONU a été très présente dans les crises en Côte d’Ivoire, notamment pendant la crise de 2010-2011, j’ai tenu à lui rappeler la gravité de la situation. La Côte d’Ivoire s’apprête à vivre une élection cruciale, mais le processus est déjà faussé par l’exclusion arbitraire de candidats. J’ai insisté sur le fait que si les Ivoiriens ne peuvent pas s’exprimer librement dans les urnes, nous allons droit vers des tensions, voire des violences. L’envoyé spécial m’a écouté attentivement. Je crois qu’il a bien perçu le danger. Mais il faut que cela se traduise en actes : la communauté internationale doit exercer de véritables pressions pour que l’élection soit ouverte et transparente. Sinon, on va vers une crise qui aurait parfaitement pu être évitée. Nous nous sommes déjà entrés, selon moi, dans la crise préélectorale.

Vos relations avec Laurent Gbagbo ont été marquées par des divisions et des tensions, quels sont vos rapports aujourd’hui ?  Vous l’avez rencontré récemment. Comment s’est déroulé l’échange ? 

P.A.N : C’est vrai, la scission a profondément marqué l’opposition. Mais aujourd’hui, l’heure n’est plus aux querelles internes. Je continue d’assumer la légitimité de mon engagement au FPI, mais je considère que l’essentiel est ailleurs : sauver la démocratie ivoirienne. Nos divergences de parcours ne doivent pas faire oublier que nous partageons le même objectif : empêcher la confiscation du pouvoir par un seul camp. Ce fut d’ailleurs une rencontre cordiale. Nous avons évoqué la situation politique et la nécessité d’une opposition unie pour défendre la démocratie. Malgré nos différends passés, notamment sur la direction du FPI, il y a une reconnaissance mutuelle de l’urgence : face à un pouvoir qui instrumentalise les institutions, nous devons trouver des terrains d’entente. J’ai senti chez lui la même inquiétude que moi quant à l’avenir du pays.

Vous avez rejoint la Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP-CI). Quel rôle y jouez-vous ?

P.A.N – J’ai adhéré à la CAP-CI parce que je crois à la force de l’unité. Aucun parti d’opposition, isolément, ne peut faire face au RHDP. Ensemble, nous pouvons peser, construire une alternative crédible et surtout redonner confiance aux électeurs. La CAP-CI est un espace de dialogue et d’action collective, où chaque leader apporte sa légitimité et son expérience. C’est un outil pour porter la voix de tous ceux qui refusent l’exclusion et l’arbitraire.

Certains estiment que l’opposition reste trop éclatée pour constituer une véritable menace pour un pouvoir qui a réussi à stabiliser et à développer la Côte d’Ivoire pendant 15 ans. Que leur répondez-vous ?

P.A.N – C’est un constat que je ne nie pas. Mais la dynamique de l’opposition est en cours. Les Ivoiriens attendent que nous nous élevions au-dessus de nos égos et de nos rancunes. L’invalidation de plusieurs candidatures, dont la mienne, a créé une prise de conscience : seule une opposition rassemblée peut défendre le suffrage universel. Je suis convaincu que la CAP-CI peut être le catalyseur de cette union.

Le pouvoir présente le pays comme une « success story africaine », il se targue d’une croissance forte, mais c’est image est une illusion. Les chiffres macroéconomiques ne reflètent pas la réalité vécue par les Ivoiriens. La pauvreté reste endémique, les inégalités s’aggravent, le chômage des jeunes atteint des niveaux inquiétants. L’économie est concentrée entre les mains d’une minorité proche du régime, tandis que les classes moyennes s’effritent et que les plus pauvres survivent à peine.

Au-delà des chiffres, il y a une question de justice sociale. Comment comprendre que l’accès aux soins, à l’éducation, à l’emploi reste si limité pour la majorité ? Ce décalage alimente frustrations et tensions.

Vous semblez craindre que la crise politique actuelle ne débouche sur des violences…

P.A.N : Malheureusement, le risque est réel. L’histoire de notre pays le montre : chaque fois que le jeu démocratique est verrouillé, la frustration s’exprime dans la rue. Je ne souhaite pas que la Côte d’Ivoire revive les traumatismes de 2000 ou 2010. Mais si le pouvoir persiste à exclure arbitrairement des candidats, il portera la responsabilité d’une éventuelle déflagration.

Ma démarche, c’est précisément de prévenir ce scénario. En dénonçant ces abus, je veux alerter, tirer la sonnette d’alarme, pour que les Ivoiriens et la communauté internationale comprennent l’urgence d’agir.

Quel est votre message aux Ivoiriens à quelques semaines de l’élection ?

P.A.N : Je leur dis de ne pas céder au découragement. Notre pays vaut mieux que la confiscation démocratique. Chaque citoyen a un rôle à jouer : par sa vigilance, par son engagement, par son refus de l’injustice.

L’histoire montre que les peuples finissent toujours par obtenir la liberté et la justice. Ce combat n’est pas seulement celui d’Affi Nguessan, c’est celui de tous les Ivoiriens. Ensemble, nous devons défendre notre droit à choisir librement nos dirigeants et à construire une Côte d’Ivoire réconciliée, juste et prospère.