A coups de témoignages, analyses et quelques bribes de son vécu, la lauréate du Goncourt 2016 signe l’un des essais les plus riches sur la sexualité des Marocains.
Vu de l’extérieur, le Maroc est un pays dont la religion officielle est l’islam — brandi comme une “constante de la nation” à chaque fois qu’il est question de faire avancer les droits humains, comme ce qu’a fait Mustapha Ramid, notre ministre d’État chargé des droits de l’Homme, à Genève — et dont le Code pénal est truffé de lois liberticides. L’homosexualité, les relations hétérosexuelles hors mariage et l’adultère sont punis de quelques mois à quelques années d’emprisonnement, sans compter les amendes. C’est écrit noir sur blanc dans la section des “attentats aux mœurs” du Code pénal marocain. Mais dans les faits, la réalité est beaucoup plus complexe.
Le sexe, une pratique de privilégiés
Au Maroc, la liberté sexuelle d’un individu est proportionnelle à son revenu. Le couple d’homosexuels sauvagement agressés à Beni Mellal l’année dernière, alors qu’ils vivaient leur relation à l’abris des regards dans un appartement, n’aurait jamais été dérangé si les deux personnes étaient des cadres supérieurs installés dans le chic quartier Racine de Casablanca. La police ne se déplace jamais dans ces endroits-là pour arrêter les concubins, indépendamment de leur orientation sexuelle, même si le Code pénal lui donne raison. Dans les hôtels, même si on demande aux couples marocains de présenter un acte de mariage au check-in, personne ne les empêchera de réserver deux chambres en pleine conscience qu’ils se rejoindront plus tard dans le même lit. Dans les plages publiques, les amoureux auxquels on gâche toute une journée dans le poste de police sont ceux qui n’ont pas les 100 dirhams nécessaires pour calmer l’agent des forces auxiliaires.
Comprenez, au Maroc, le sexe est un privilège. Ce n’est ni blanc ou noir comme le laisserait croire les textes de lois. La liberté de le pratiquer est diluée dans plusieurs nuances de gris. Et c’est cette complexité que Leila Slimani a saisie dans “Sexe et mensonges, son enquête sur la sexualité des Marocains parue récemment aux éditions Les Arènes. Au fil des pages, on comprend que les premières victimes de cette situation à mi-chemin entre le tabou et l’obsession sont les femmes, “censés représenter l’identité musulmane” comme l’explique l’écrivaine et chercheuse Asmae Lamrabet dans un chapitre.
Casser le miroir
“La vérité, c’est que tout dépend plutôt de l’argent. Ceux qui ont les moyens, ils font ce qu’ils veulent. C’est malheureux mais quand on nous oblige à rafler des prostituées, c’est sur celles qui se font payer en légumes qu’on tombe, pas les autres”, témoigne, Mustapha, un policier que l’auteure a interviewé. La rétribution en légumes fait écho à une scène de Much loved, le film polémique de Naby Ayouch, dans laquelle une prostituée, découvrant tardivement que son client est fauché, lui demande si elle peut au moins se faire payer en légumes. Le long métrage avait été interdit à sa sortie par le ministre de la Communication Mustapha El Khalfi sans même prendre la peine de le visionner. “Son but : protéger l’image vertueuse et totalement irréaliste de la femme marocaine, à laquelle le film de Nabil Ayouch porterait atteinte. Au Maroc, quand on vous montre votre reflet, vous cassez le miroir”, écrit Leila Slimani.
Entre catastrophes et humiliations
Les témoignages que Leila Slimani a recueillis nous révèlent que l’opprobre sur la sexualité a des conséquences humiliantes et désastreuses. Malika, médecin, raconte son choc quand le lendemain d’une nuit de noces, les parents lui ramènent la jeune mariée pour voir si la défloration est récente ou ancienne. Zhor, aujourd’hui trentenaire, confie que 15 ans plus tard, elle n’arrive toujours pas à raconter à sa famille que sa première fois était un viol subi par trois hommes. Faty Bady, qui animait l’émission “On t’écoute” sur Hit Radio, n’arrive toujours pas à oublier l’appel d’une fillette mariée à l’âge de 13 ans et qui se force à regarder des vidéos pornographique pour satisfaire son mari.
Et pourtant, malgré l’interdiction, tout le monde couche et le nie. “J’ai fait des entretiens dans tout le Maroc et je peux vous assurer que je n’ai pas rencontré une seule personne qui m’ait dit : “Je n’ai rien fait.” Les garçons, pour la plupart, disent qu’ils veulent une femme vierge. S’ils tombent amoureux d’une fille qui ne l’est pas, certains affirment: “Je pourrais lui pardonner. Je pourrais même changer de ville pour elle”, affirme la journaliste et chercheuse Sanaa El Aji.
Bien qu’il décrive sans filtre rose la sexualité au Maorc, “Sexe et mensonges” n’est pas une enquête alarmiste. C’est surtout un essai objectif et honnête à mettre entre les mains curieuses qui veulent se pencher sur la question de la sexualité du pays loin des clichés.