La Côte d’Ivoire à la croisée des chemins

À un mois de l’élection présidentielle prévue le 25 octobre 2025, la Côte d’Ivoire se trouve dans une situation politique tendue. Le Conseil constitutionnel a validé cinq candidatures, en excluant deux figures majeures de l’opposition, Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam. Le président sortant Alassane Ouattara, déjà au pouvoir depuis 2011, brigue un quatrième mandat.

Pour Michel Gbagbo, député et  fils de l’ex-président Gbagbo, s’exprime dans une libre opinion ci dessous que nous publions au nom du pluralisme. D’après lui, le contexte soulève des interrogations profondes sur la légitimité et la souveraineté de l’État ivoirien.

1. Une société fermée : l’effacement de la société civile

Selon John Locke (1690), l’État moderne naît pour garantir la protection des biens et des personnes, et permettre aux citoyens de vivre en sécurité sous des lois communes. Or, en Côte d’Ivoire : 1. lliberté d’expression est restreinte. 2. Les PME/PMI locales sont marginalisées et ne bénéficient pas du ruissellement de la croissance. 3. Les syndicats sont affaiblis, voire muselés. 4. La justice et la police servent le régime, non les citoyens. Ce modèle s’apparente à une « société fermée », où l’État ne protège plus mais contrôle, trahissant les fondements de la société civile. Comme le souligne Georges Burdeau (1970), l’État devient un Janus : « siège d’un pouvoir désincarné, mais pourvoyeur de la puissance des hommes qui gouvernent en son nom » — un visage serein du droit, mais un autre, grimaçant, marqué par les passions politiques.

2. Un système proche de l’état de nature

Locke décrit l’état de nature comme un monde sans lois, où chacun agit et se fait justice de manière naturelle, selon sa propre force. En Côte d’Ivoire : 1. Les dirigeants issus de la rébellion peinent à intérioriser les principes républicains. 2. Le pouvoir est exercé par la force, non par le droit. Des escadron encagoulés arrêtent nuitamment des citoyens. Les mènent dans des lieux inconnus. Ces derniers sont « interrogés » sans avocat. Certains sont torturés, ne serait-ce que psychologiquement. D’autres lisent des confessions télévisées sur des supposés crimes contre l’Etat qu’ils auraient commis. 3. Les lois sont bafouées ou imposées sans débat démocratique. Au fond, l’État ivoirien glisse vers une forme primitive de pouvoir, où la loi du plus fort domine, et où la vengeance supplante la justice. Face à l’incapacité des dirigeants à être légitimes, ils instrumentalisent les moyens de l’Etat au bénéfice d’un clan.

3. Une légitimité démocratique contestée

Karl Popper défend la société ouverte comme celle où le pouvoir est critiquable et révisable. Or : 1. Les élections ne sont pas libres : les opposants sont disqualifiés et les cyber-activsites sont emprisonnés pour leurs déclarations publiques. 2. Les maisons de ces derniers sont saccagés et leurs biens  emportés. 3. Les structures électorales paraissent instrumentalisées. 4. Le pouvoir est confisqué, non disputé. Il en ressort qu’il s’agit d’un déni de légitimité structurelle. L’État ne repose plus sur le consentement des gouvernés, mais sur la manipulation institutionnelle.

4. Une nation fragmentée : le repli communautaire

La nation devrait incarner une communauté de destin. Mais : 1. Lrattrapage ethnique semble revendiqué comme politique d’État. 2. Ldécoupage électoral favorisent certains regroupements. 3. L’égalité entre citoyens est niée dans les faits. Ainsi, la nation devient un outil de division, non d’unification. L’État-nation ivoirien échoue à incarner une identité commune. Il devient dangereux pour tous.

5. l’État au service du régime

La souveraineté de l’État devrait garantir la sécurité collective et l’autodétermination du peuple. Or : 1. La sécurité vise à protéger le régime, non les citoyens – comme on l’aurait vu lors de l’épisode dit du « gbaka vert ». 2. La souveraineté est fragilisée par la dépendance extérieure, notamment vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. Au fond, l’État ivoirien ne défend plus l’intérêt général, mais l’intérêt d’un régimed’un clan, soutenu par des alliances extérieures. Comme le montre pourtant Adam Smith (1776), la richesse des nations devrait être celle de tous les citoyens, dans leur diversité. Mais est-ce le cas en Côte d’Ivoire ?

La Côte d’Ivoire contemporaine présente les symptômes d’un État en crise de légitimité. Elle ne répond plus aux critères philosophiques de l’État moderne : protection, souveraineté, représentativité, égalité. Loin d’être une société ouverte, elle s’apparente à une forme autoritaire, où la nation est instrumentalisée, et où le pouvoir échappe à la critique. Il ne s’agit pas seulement d’un dysfonctionnement, mais d’une crise profonde de sens et de structure, qui appelle à une refondation démocratique, inclusive et souveraine.