Elections en Côte d’Ivoire : le compte à rebours a commencé

Le 8 septembre, le Conseil constitutionnel a validé ou rejeté les candidatures des prétendants à l’élection présidentielle du 25 octobre. Sans surprise, les deux poids lourds, Tidjane Thiam et Laurent Gbagbo, ont été recalés. Dès lors, la Côte d’Ivoire entre de plain-pied dans une zone d’incertitude…

La rédaction de Mondafrique (correspondance)

Le 8 septembre, avec deux jours d’avance sur la date initialement prévue, le Conseil constitutionnel ivoirien a donc rendu son verdict. Sur les 60 candidatures déposées seules cinq ont obtenu la bénédiction de ce Conseil :

  • Henriette Lagou, présidente d’un micro-parti qui avait obtenu 0,89% à l’élection présidentielle de 2015 ;
  • Jean-Louis Billon, un homme d’affaire, qui n’ayant pas pu être investit par son parti, le PDCI, s’est présenté sous la bannière d’une nouvelle plateforme politique (CODE) créée par ses soins ;
  • Ahoua Don Mello dissident du PPACI le parti de Laurent Gbagbo ;
  • Simone Ehivet, ex-épouse de l’ancien président Laurent Gbagbo et présidente du parti MGC
  • Alassane Ouattara, actuel chef de l’Etat qui espère se succéder à lui-même pour réaliser un quatrième mandat.

Tous les autres ont été recalés. Si le rejet des candidatures des dirigeants des deux plus grands partis politiques de Côte d’Ivoire — Laurent Gbagbo pour le PPACI et Tidjane Thiam pour le PDCI — paraissait inéluctable, l’éviction d’Affi Nguessan a, elle, représentée une surprise. Selon le Conseil constitutionnel, les parrainages nécessaires à la validation de sa candidature comportaient « des numéros de cartes d’identité et de cartes d’électeurs faux ou en double ». Il en a été de même pour Laurent Gbagbo, qui lui bénéficie d’une double peine. Non seulement il n’aurait pas atteint le seuil requis de parrainages mais sa candidature est invalidée en raison d’une condamnation passée.

Dans la foulée de la décision du Conseil constitutionnel, Tidjane Thiam a publié un communiqué dénonçant un « vandalisme démocratique ». Habiba Touré, l’avocate de Laurent Gbagbo, a donné une conférence de presse dans laquelle elle a détaillé méticuleusement les atteintes au droit faites par le Conseil constitutionnel : violations des droits fondamentaux et constitutionnels, dénis des obligations internationales. Concernant les parrainages elle a accusé l’institution d’avoir « travesti les textes pour écarté volontairement son candidat. »

Cette affaire de parrainages prend de l’ampleur en Côte d’Ivoire, chacun y va de son analyse. Cependant, dans un pays où la liste électorale est truffée d’irrégularités –   comme celle d’une mère qui aurait accouchée de plus de 700 enfants, ou des centaines d’électeurs de plus de 100 ans (Voir ITW Mondafrique Danielle Boni) – ce débat n’a que peu d’intérêt. A quoi bon, en effet, s’attarder sur quelques doublons de cartes d’électeurs ?  Il apparaît assez clairement que  la décision du Conseil n’est pas technique mais politique ce qui n’est pas de nature à calmer les esprits à la veille d’un vote d’une telle importance.

Une longue période d’incertitude s’annonce…

Une élection présidentielle est toujours une séquence redoutée par les Ivoiriens. Depuis la fin du parti unique dans les années 1990, seuls deux scrutins se sont déroulés sans trouble grave. En 1995, face au PDCI d’Henri Konan Bédié, le parti de Laurent Gbagbo et celui d’Alassane Ouattara avaient seulement appelé au boycott. En 2015, les électeurs, encore sous le choc de la crise postélectorale de 2010-2011, avaient majoritairement fait le choix de s’abstenir dans le calme.

A 45 jours du scrutin, tout le monde s’interroge donc sur ce qui pourrait advenir avant le jour fatidique. Quelle pourrait être la stratégie des deux leaders de l’opposition ? Tidjane Thiam et Laurent Gbagbo sont réunis au sein d’une alliance appelée le Front commun. Depuis le début de la campagne, ils ont pris une position ferme : pas de plan B. Il est hors de question de reporter leurs voix sur une des personnalités validées par le Conseil constitutionnel. On voit mal comment, en effet, ils pourraient appeler à voter pour des dissidents de leur parti respectif. Que leur reste-t-il comme option ? Le boycott n’a pas prouvé son efficacité ni en 1995, ni en 2020. Lors de ce dernier scrutin, l’opposition avait opté pour ce choix dans le but de dénoncer à la fois le troisième mandat d’Alassane Ouattara  et un  Conseil constitutionnel considéré comme partial. Si cette stratégie a eu pour résultat une participation très faible dans certaines régions, elle n’a pas changé le cours des événements. Alassane Ouattara a été réélu au premier tour. Elle n’a surtout pas évité les fortes tensions et la violence. Pendant les crises pré- et postélectorales de 2020, le Conseil national des droits de l’homme avait dénombré 55 morts et 282 blessés. Que reste-t-il comme moyens de contestation à l’opposition ?  Appeler à la désobéissance civile, à manifester pacifiquement, comporte aussi des risques…

Un pouvoir confiant

Du côté du parti présidentiel, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), les cadres affichent sérénité et confiance. Ils récitent les éléments de langage qui se résument en deux phrases : «  Y’aura rien, tout va bien se passer » déclarent-ils à l’envi. En coulisses, en revanche, les autorités se préparent à traverser une période de gros temps. Le ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, surnommé « Photocopie » pour sa ressemblance avec son frère Alassane Ouattara, a annoncé la couleur le 9 septembre : « L’Etat de Côte d’Ivoire ne reculera devant aucune tentative de déstabilisation. Nous serons là pour mettre fin à toute tentative de désordre. » Entre affichage de certitude et préparation en coulisses, la situation reste imprévisible. L’histoire est en cours d’écriture, et personne ne peut prédire la suite.