L’heure n’est plus au Bénin à l’union nationale, mais à la mainmise par le président sur les principaux rouages de l’Etat et de l’économie.
On avait pu croire à la suite des élections présidentielles de mars 2016 qu’un accord politique interviendrait entre le président béninois nouvellement élu, Patrice Talon, et son principal adversaire, Sébastien Ajavon, homme d’affaires comme lui. L’industrie du coton pour le chef de l’Etat, l’empire de la volaille pour l’autre, tout le monde devait trouver son compte. Mais en écartant du gouvernement, le 28 octobre dernier, les trois ministres proches d’Ajavon, le chef de l’Etat enfonce un peu plus celui qu’il voit comme son rival.
De la coke dans les placards
Entre les deux patrons, les tirs de barrage n’ont jamais cessé. Alors que l’Etat du Bénin s’était engagé à rembourser l’une des sociétés d’Ajavon à l’issue d’un litige scellé sous la présidence de l’ex chef de l’Etat Thomas Boni Yayi, il compte sur l’arrivée de Talon à la tête du pays pour récupérer 6 milliards de F CFA qui lui sont encore dus. Seule la moitié de la somme lui sera finalement versée.
Plus tard, lorsque 18 kilos de cocaïne sont découverts dans le conteneur d’une de ses sociétés dans des circonstances douteuses, Ajavon dénonce une cabale politique. Depuis, le feuilleton s’est étoffé.
Mi-août 2017, le roi du poulet congelé est visé par un redressement fiscal d’un montant de 167 milliards de F CFA, soit près de 255 millions d’euros. Enfin, le 20 octobre, Ajavon est inculpé par le tribunal de première instance de Cotonou pour faux, usage de faux et escroquerie dans une affaire d’exportation de produits alimentaires vers le Nigéria. Une cascade de déconvenues qui alimente les interrogations. « Ajavon, comme beaucoup d’autres, s’est longtemps arrangé avec les douanes. Mais l’enchainement de ces affaires est le signe d’une campagne contre lui », affirme un homme d’affaire de la sous-région.
L’acharnement du pouvoir
Ajavon n’est pas le seul à subir les foudres du pouvoir. Révoqué de ses fonctions sur décision du Conseil des ministres le 2 août – une procédure inédite dans un pays fortement décentralisé –, le maire de Cotonou, Léhady Soglo, visé par une procédure judiciaire pour des faits de mauvaise gestion, pointe également du doigt le palais de la Marina.
Le chef de l’Etat qui a promis de n’effectuer qu’un seul mandat de cinq ans chercherait-il à faire le vide? Du côté de ses détracteurs, c’est une certitude. « Il peut vouloir laisser toute la place à un successeur de son choix », souligne un opposant. Reste qu’ajoutées aux réformes libérales lancées par l’exécutif, ces dernières affaires entretiennent la grogne sociale en renvoyant l’image de l’accaparement du pouvoir par un clan.
Mélange des genres
Outre la multiplication des marchés de gré à gré, le chef de l’Etat a manoeuvré pour réhabiliter certaines de ses anciennes sociétés dans le secteur du coton d’où il tire sa fortune. Le magazine « Jeune Afrique » avait évoqué « la levée des réquisitions sur six usines de la Société de développement du Coton (…) » ayant appartenu au chef de l’Etat qui a confié ses parts à ses deux enfants, Lionel et Karen. Et ce n’est pas la seule initiative. Eustache Kotingan, l’un des ses proches collaborateurs dirige la société Atral qui gère le port sec d’Allada tandis qu’un autre, Mathieu Adjovi, a repris en main l’Association interprofessionnelle du coton. Quant à Olivier Boko, le très nfluent bras droit du chef de l’Etat, il est aujourd’hui l’actionnaire majoritaire de Bénin Control, la société qui a récupéré le Programme de vérification des importations (PVI) dans le port de Cotonou.
La part belle faite aux très proches du président se reflète également au niveau des instances de l’Etat où Patrice Talon s’appuie notamment sur son cousin maternel Johannes Dagnon, directeur du Bureau d’analyse et d’investigation en charge d’établir le programme d’action du gouvernement. La communication de la présidence a été confiée à René Talon, un autre cousin du président.
Les hommes d’affaires qui parviennent au pouvoir en Afrique semblent, eux aussi, se servir plus que servir l’intérêt de leur pays. Triste fatalité….