Confronté à la baisse des prix du baril, le Nigéria, premier pays africain producteur de pétrole, envisage de dévaluer sa monnaie, le naira, une troisième fois en un an
Le 15 juillet dernier, Standard and Poor’s annonçait dans un communiqué une dévaluation « inévitable » de la monnaie nigériane. Pour l’agence, le Naira devrait bientôt baisser en valeur du fait de la conjoncture économique du Nigeria et de la pression des investisseurs étrangers. Le pays, premier producteur africain de pétrole, accuse encore le coup suite à la baisse du prix du baril. Le Naira nigérian avait déjà été dévalué deux fois en l’espace de quelques mois : en novembre 2014 puis en février 2015. La Banque Centrale nigériane s’oppose à une nouvelle dépréciation, craignant les impacts négatifs sur l’économie du pays.
Dans un scénario où le Naira perdrait de la valeur, quelles seraient les perspectives pour la première puissance économique de l’Afrique ? La structure actuelle de l’économie nigériane résisterait-elle a un tel choc ?
« Pas une option »
Il a 37 ans, et un sourire aussi éclatant que le blanc de sa chemise de marque. Cet homme est une star de cinéma qui a joué dans plus de cent cinquante films et a des milliers de fans. Son nom, ce n’est pas Matt Damon, mais James Ikechukwu Esomugha, dit Jim Iyke, une vedette nollywoodienne. Il est issu de la deuxième plus grande industrie cinématographique au monde : le Nollywood. L’industrie nigériane du cinéma, plus grande source d’emplois après l’agriculture, fait travailler plus d’un million de personnes, selon une estimation des Nations Unies en mai 2013, et pèse aujourd’hui 5,6 milliards de dollars (853,9 milliards de Nairas), soit 1,2% du PIB. C’est d’ailleurs la prise en compte de l’impact économique de ce secteur qui a boosté le PIB nigérian, propulsant le pays de Fela au premier rang des puissances économiques africaines.
Aujourd’hui, après deux dévaluations successives (novembre 2014 et février 2015) dues à la baisse du prix du pétrole (qui de juin 2014 à début 2015 a chuté de 50%), le Naira nigérian devra à nouveau passer par la case dépréciation, selon une annonce de Standard and Poor’s le 15 juillet dernier. Pour le Directeur des notations souveraines de l’agence, Ravi Bhatia, « une autre dévaluation est inévitable » au vu de la conjoncture actuelle de récession économique. La monnaie nigériane, déjà en difficulté, s’échange à 242 nairas pour 1 dollar sur le marché parallèle, contre les 196,95 nairas par dollar officiellement annoncés par la Banque Centrale nigériane. Les investisseurs étrangers attendent un réajustement du taux de change avec une dépréciation d’au moins 15% selon S&P.
« La dévaluation n’est pas une option », rétorque la Banque centrale nigériane. Moses Tule, son Directeur, s’est récemment inquiété des impacts négatifs d’une telle situation sur l’économie du pays et se refuse à prendre des « mesures désespérées ». « L’économie nigériane est fortement dépendante des importations et le risque d’inflation serait trop élevé » en cas de dévaluation. « La valeur actuelle du taux de change est à son niveau optimal » défend Tule. Pour soutenir la monnaie nationale, les autorités nigérianes ont imposé des restrictions sur les opérations de change et limité les importations de certains produits. Mesures qui « ne font que retarder l’inévitable » selon Bhatia.
Dévaluation compétitive
Selon l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), les revenus du pétrole représentent 77% des recettes totales du gouvernement fédéral. Le fraîchement élu Buhari, président du Nigeria, a donc décidé d’adopter des mesures d’austérité visant à diminuer le coût élevé de la gestion du pays.
Il s’est également engagé à récupérer les 20 milliards de dollars de revenus pétroliers détournés que dénonçait Sanusi Lamido, ex Gouverneur de la Banque Centrale nigériane, limogé par Goodluck Jonathan.
Pour l’économiste congolais Noël M. Ndoba, le scénario d’une nouvelle dévaluation du Naira n’est pas une fatalité si les leaders économiques et politiques du Nigeria parviennent à faire jouer à l’Etat un rôle d' »État démocratique stratège » face au marché intérieur et au marché mondial. Et ceci est possible en « mobilisant la population mais aussi et surtout les principaux acteurs des institutions économiques et des entreprises sur la base de leur intérêt bien compris et efficacement négocié afin de promouvoir une dévaluation compétitive », conseille l’économiste. La structure économique du Nigeria est caractérisée par la prédominance de la rente pétrolière, mais elle connaît aussi des mutations rapides qui se traduisent par une part croissante du secteur privé, hors pétrole, suivant la logique interne d’une libéralisation que l’Etat nigérian devrait maintenant réguler stratégiquement. « Il conviendrait d’inciter davantage les acteurs économiques à créer et à développer les activités industrielles d’import-substitution ».
Noël Magloire Ndoba, qui prépare un ouvrage intitulé « Guerre et paix des monnaies dans l’économie mondiale », note l’intérêt de produire davantage localement des produits qui étaient auparavant importés. Le développement spectaculaire de l’industrie automobile « made in Nigeria » en est une parfaite illustration. Les autorités nigérianes ont mis en place des mesures protectionnistes relevant à 70% la taxe sur les voitures importées. C’est ainsi que Nissan signe, dès 2013, un accord avec Stallion Group pour le montage de 45 000 Patrol près de Lagos. Quant à Peugeot c’est avec PAN Nigeria Limited qu’il signe en juillet 2014 un contrat d’assemblage de véhicules avec pour objectif la production, sur place, de plus de 15 000 berlines 301 par an. Le délégué général PSA Peugeot Citroën au Nigeria, Éric Maydieu, parle d’une « réflexion de qualité en termes d’emploi » efficacement menée par le Nigeria. Et que dire de ces constructeurs nigérians comme IVM (Innoson Vehicle Manufacturing) qui commercialisent des véhicules entièrement fabriqués sur le territoire national à partir de matériaux locaux ? La marque de l’homme d’affaires Innocent Chukwuma fournit même la police nationale et le réseau de transport local.
Exporter le made in Nigeria
Il convient, dans ce contexte, d’inciter les acteurs économiques qui ont des avantages comparatifs à promouvoir des activités industrielles de substitution d’exportations hors pétrole. Autrement dit, exporter d’autres produits industriels « Made in Nigeria ». Et en cela, le Nigeria sait faire comme en atteste l’attraction, sur le marché international, exercée par des produits des industries culturelles tels que ceux de Nollywood.
En outre, le gouvernement nigérian mène de nombreuses actions d’incitation aux IDE (Investissements directs étrangers) notamment dans l’agriculture. Des facilités fiscales sont octroyées aux industries pionnières jugées bénéfiques pour le développement économique du pays et demandeuses de main d’œuvre locale. Et avec près de 170 millions d’habitants, il y a de quoi faire.
Nouvel ordre monétaire
Puissance agricole, puissance pétrolière, puissance démographique et puissance culturelle, le Nigeria joue indubitablement un rôle d’importance en Afrique. « Que la dévaluation du Naira ait lieu ou non, le débat actuel devrait amener les tenants d’un « Etat démocratique stratège », s’il en existe au Nigeria, à saisir une grande opportunité historique.
Le moment est venu pour la première fois puissance économique de l’Afrique de devenir une véritable locomotive pour la création d’une monnaie africaine ». Pour M. Ndoba, un géant africain comme le Nigeria doit servir de chef de file dans le processus d’union monétaire, un projet, faut-il le répéter, suffisamment bien avancé au sein des pays de la CEDEAO, la communauté économique régionale à laquelle appartient le Nigeria. Reste à savoir si le pays dispose des ressources politiques nécessaires pour s’engager à mettre à l’ordre du jour une telle préoccupation. Une vision pas si utopiste si l’on prend en compte les têtes pensantes qu’a déjà fournit le Nigeria aux plus grandes institutions internationales. Son ancien ministre de l’agriculture, Akinwumi Adesina, vient d’être nommé à la tête de la BAD tandis que sa ministre des finances détient un CV tout aussi impressionnant. Mme Ngozi Okonjo-Iweala a fait ses armes à la Banque Mondiale en tant que Directrice Générale en 2007. Diezani Alison-Madueke, une autre nigériane a récemment été nommée présidente de l’OPEP. Le Nigeria pourra lier une telle réflexion sur le plan monétaire à certaines autres préoccupations similaires qui se font urgentes sur la scène économique internationale notamment depuis la crise grecque. Dans le contexte actuel de l’économie mondiale, la création de monnaie unique africaine ne doit plus rester un serpent de mer, quand on voit comment les leaders de la zone Euro se battent pour sauver cette monnaie commune qu’est l’euro, pour 20 pays.
Après l’accord signé le 13 juillet à Bruxelles, un économiste comme Joseph Stiglitz (dans une interview publiée dans le journal Libération du 16 juillet 2015) soutient que l’opportunité est ainsi offerte pour relancer le débat et prendre la décision de mettre en place un nouvel ordre financier international lequel présuppose un nouvel ordre monétaire international. En fait, comme il est inévitable qu’un débat officiel se fasse, à court terme, sur la fin de la Zone Franc, du point de vue de l’arrimage du franc CFA à l’euro, notamment si la crise grecque persiste et dans l’éventualité d’une sortie de la Grèce de la zone Euro (le fameux « Grexit »), il est plus qu’urgent d’anticiper un « ordre monétaire africain ». Et celui-ci ne devra être qu’un aspect d’un nécessaire nouvel ordre monétaire et financier international, comme le prédit Stiglitz.