Moyen Orient, la stratégie israélienne d’une fragmentation planifiée

La Syrie est la mèche, le Liban la flamme, l’Irak la forêt Vers un Pacte de Prévention des Dominos Le Moyen-Orient est au bord d’un nouvel effondrement majeur — et cette fois, la mèche est déjà allumée.
 
Ce qui se joue aujourd’hui au Levant n’est pas une série de crises isolées, mais une stratégie délibérée de fragmentation organisée. Le projet israélien d’invasion terrestre du sud du Liban, ses frappes répétées sur la Syrie, et son soutien à des enclaves sectaires dans les deux pays ne visent pas seulement le Hezbollah, ni la sécurité des frontières. Ils font partie d’une campagne plus large visant à briser la région en fragments faibles, divisés et malléables — incapables de résister, et trop fracturés pour refuser l’implantation permanente des Palestiniens.

Le projet de fragmentation

 
Ce n’est pas de la spéculation. C’est une vieille recette — le plan Yinon, la doctrine Clean Break — remise au goût du jour avec une énergie nouvelle après le 7 octobre. Israël ne se contente plus de défendre ses frontières ; il les redéfinit, en affaiblissant celles des autres.
 
La Syrie est la mèche. Le Liban est la flamme. L’Irak — et tout ce qui s’étend à l’est — est la forêt sèche prête à s’embraser.
 
Dans le sud du Liban, l’objectif n’est pas seulement de repousser le Hezbollah au nord du Litani, mais de déplacer un demi-million de civils chiites. Une telle manœuvre bouleverserait l’équilibre démographique déjà fragile du Liban et pourrait déclencher un retour à la guerre civile. Et c’est précisément le but recherché. Par les attaques au phosphore blanc, la destruction des infrastructures et la réactivation d’anciennes alliances de guerre civile — incluant certains éléments des Forces libanaises et de factions druzes, apparemment soutenus par le Mossad — Israël ne mène pas simplement une guerre. Il prépare le terrain à un effondrement interne.
 
En Syrie, le schéma est le même : maintenir le pays morcelé, empêcher son armée de se reconstruire, le diviser en zones d’influence étrangères, encourager la cantonalisation — à commencer par une enclave druze dans le sud — et maintenir un vide dans lequel le désordre prolifère et se propage. Ce n’est pas une affaire iranienne. C’est l’affaire de tous. L’Iran est la destination finale. Mais le chemin y mène via le Liban, la Syrie, l’Irak — et, bientôt, le reste du monde arabe. Le Liban et l’Irak en première ligne Alors que la Syrie reste le théâtre immédiat de la fragmentation, le Liban est déjà assiégé — et l’Irak est le dernier rempart.
 
Si le Liban s’effondre, le feu ne s’arrêtera pas à ses frontières. Il atteindra l’Irak, un pays qui lutte encore pour retrouver sa cohésion après des années de guerre et d’occupation. L’Irak est souvent perçu comme distant des troubles du Levant. Mais dans ce moment critique, c’est peut-être l’acteur le plus central. Il borde la Syrie, il a réussi à faciliter un rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, et il reste — de justesse — un État unifié. Si l’Irak se fragmente, la région perdra son dernier tampon. Nous ne devons pas attendre que le feu atteigne Bagdad. Et il ne s’y arrêtera pas.
 

Vers un consensus régional

 
Il ne nous faut pas une alliance de plus. Il nous faut de la lucidité — et de l’action. Le temps est venu pour les États arabes de se coordonner, non pour satisfaire des puissances extérieures, mais pour se protéger eux-mêmes. Premièrement, les frontières syro-libanaises et syro-irakiennes doivent être sécurisées — non seulement sur le plan militaire, mais aussi politique. Elles ne doivent plus servir de corridors aux guerres par procuration et aux manipulations sectaires.
 
Deuxièmement, les acteurs internes au Liban et en Irak doivent être avertis : toute participation à des projets de partition ou de sédition — même sous couvert de bénéfices à court terme — entraînera un isolement diplomatique et économique régional. Jouer avec la fragmentation, c’est jouer avec le feu.
 
Troisièmement, l’Irak et le Liban doivent initier un consensus régional. Cela commence par une coordination stratégique entre leurs gouvernements et leurs institutions de sécurité, et doit s’étendre à l’Arabie saoudite, l’Iran, la Turquie, l’Égypte et la Jordanie. Ces pays ont leurs différends, mais ils partagent un intérêt vital : empêcher l’effondrement de l’État dans le monde arabe.
 
Quatrièmement, les médias doivent dénoncer ce qui se passe — non comme un simple ensemble de conflits frontaliers, mais comme une campagne systématique de démantèlement de la souveraineté arabe. Il ne s’agit pas des roquettes du Hezbollah. Il s’agit de savoir si nos États survivront à la décennie.

Le dilemme du prisonnier

 
Trop de capitales arabes croient que le feu consumera les autres en premier. Le Liban croit la Syrie déjà perdue. L’Irak pense que le Liban est déjà condamné. L’Arabie saoudite et l’Égypte supposent pouvoir contenir les retombées. Mais si la Syrie reste brisée, le Liban tombera. Si le Liban s’effondre, l’Irak se fragmentera. Et si l’Irak brûle, le déluge atteindra Amman, Riyad et Le Caire. S’ils ne s’unissent pas, ils tomberont seuls. C’est ce dilemme du prisonnier qu’il faut briser. Aucun pays ne sera épargné si chacun attend que l’autre agisse. Avant que la forêt ne brûle Ce n’est pas le moment de débattre du Hezbollah ou de savoir si Ahmad al-Sharaa prévaudra en Syrie. Ce sont des distractions. La vraie question est la suivante : l’ordre étatique arabe moderne survivra-t-il — ou deviendra-t-il une carte de cantons fracturés, livrés aux manipulations étrangères et à la déportation démographique ? La mèche est la Syrie. La flamme est le Liban. L’Irak — et le monde arabe plus large — est la forêt.