L’Europe boude la Foire commerciale intra-africaine

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Du 4 au 10 septembre prochain, Alger accueillera la quatrième édition de la Foire commerciale intra-africaine (IATF2025). Pendant que l’Europe débat de ses propres enjeux, l’Afrique bâtit discrètement le plus grand marché commercial du monde. Alger 2025 pourrait bien marquer l’émancipation économique définitive du continent.

Frédéric Labbe-Chapuis, Entrepreneur, administrateur de la Silotec, société luxembourgeoise développant des logiciels de transport utilisés dans une vingtaine de pays africains.

Un événement stratégique sous-estimé

La cérémonie de signature de l’accord d’accueil de la Foire commerciale intra-africaine 2025 (IATF2025) s’est tenue à Alger le 15 avril 2024. Organisée par Afreximbank, en collaboration avec l’Union africaine, le secrétariat de la ZLECAf et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, cette foire représente bien plus qu’un simple salon commercial.

Contrairement aux sommets UE-Afrique où les dirigeants européens dictent l’agenda, l’IATF2025 sera entièrement pilotée par les Africains pour les Africains. Un changement de paradigme que Bruxelles semble ignorer.

Les données qui dérangent

Les chiffres révèlent l’ampleur de cette transformation. L’intelligence artificielle pourrait générer jusqu’à 1,5 trillion $ de croissance pour l’Afrique d’ici 2030, selon l’Africa CEO Forum 2025. Une croissance qui se fera avec ou sans l’Europe.

Plus révélateur encore : 44 pays africains s’apprêtent à dépasser la croissance moyenne mondiale de 3,2 %. Cette performance s’appuie sur des fondamentaux que l’Europe n’a pas anticipés.

La révolution fintech, laboratoire de l’indépendance

Le secteur financier illustre parfaitement cette émancipation. Avec plus de 700 milliards de dollars de transactions mobiles en 2022, l’Afrique est devenue leader mondial du paiement mobile. M-Pesa, Wave, et leurs concurrents africains dominent un marché que les banques européennes croyaient inaccessible.

Cette révolution technologique s’accompagne d’une mutation démographique sans précédent. Plus de 60 % des Africains ont moins de 25 ans, une jeunesse ultra-connectée qui façonne de nouveaux modèles économiques, souvent en court-circuitant les solutions européennes.

L’intelligence artificielle, nouveau terrain de jeu

L’IA redéfinit la donne. L’Afrique, berceau d’une nouvelle révolution technologique, voit l’intelligence artificielle s’épanouir sur le continent, portée par des talents locaux et des projets innovants. Ce développement endogène inquiète à juste titre.

Pendant que l’Europe organise des sommets sur la gouvernance de l’IA, l’Afrique développe ses propres écosystèmes. Google vient d’investir 37 millions de dollars pour soutenir un nouvel écosystème de l’intelligence artificielle sur le continent africain.

La transformation industrielle en marche

Au-delà de la tech, c’est toute l’industrie africaine qui se restructure. L’économie africaine est sur une trajectoire ascendante après les perturbations causées par la pandémie de COVID-19. Plusieurs pays se repositionnent comme leaders économiques.

La Côte d’Ivoire, la Tanzanie et le Sénégal affichent des performances remarquables, portées par une forte consommation privée et des investissements publics soutenus.

L’Europe face à ses contradictions

Paradoxalement, l’Europe maintient des investissements de 150 milliards d’euros via le Global Gateway tout en ignorant les dynamiques intra-africaines. Une stratégie incohérente qui privilégie les relations bilatérales au détriment de l’intégration continentale.

Résultat : les flux d’IDE ont atteint 83 milliards de dollars en 2022, marquant une augmentation de 35 %, mais une part croissante provient désormais d’investisseurs non-européens.

Alger 2025 : le révélateur d’une nouvelle Afrique

L’IATF2025 d’Alger cristallise ces mutations. Contrairement aux forums traditionnels, cette foire privilégie les échanges commerciaux directs entre entreprises africaines. Un modèle « business-to-business » qui court-circuite les intermédiaires européens.

La ZLECAf, avec son marché de 1,2 milliard de consommateurs, offre désormais aux entrepreneurs africains des débouchés continentaux. L’Europe, habituée à être l’interlocuteur privilégié, se retrouve spectatrice d’une révolution qu’elle n’a pas vue venir.

L’urgence stratégique européenne

Face à cette réalité, l’Europe dispose de deux options : s’adapter ou subir. Soutenir l’IATF plutôt que la concurrencer, financer les infrastructures d’intégration africaine plutôt que des projets bilatéraux, accepter des partenariats d’égal à égal plutôt que maintenir une posture paternaliste.

L’Afrique de 2025 n’attend plus les leçons de l’Europe. Elle construit son propre modèle de développement, ses propres réseaux, ses propres champions. L’IATF2025 d’Alger en sera la vitrine. À l’Europe de décider si elle veut en être partenaire ou simple observatrice.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)