Ces stars ont fait danser l’Afrique des années 70-80. Elles ont été des icônes, des précurseurs, parfois des activistes, souvent des prophètes. Elles sont devenues des légendes. La série d’été 2025 de Mondafrique propose aux plus jeunes de les découvrir, et aux autres de se souvenir. Une série musicale en forme d’hommage vibrant à leur mémoire et à leur talent, qui ne pet commencer que par l’immense et inoubliable Fela.
Leslie Varenne
Il était évident de commencer cette série par cette rock star, ce mythe, emblème d’une époque : l’immense Fela, révolutionnaire et inventeur de l’afrobeat. Ses sons résonnent encore, bien au-delà du continent. Mais il n’était pas seulement un saxophoniste, trompettiste et pianiste de génie, ni un chanteur hors pair : il était aussi un combattant panafricain, un leader politique, frappant le rythme en clamant : « Je suis le Black Président et la musique est ma révolution ».
Fela Anikulapo Kuti naît le 15 octobre 1938 à Abeokuta, au Nigeria, dans une famille influente de la communauté yoruba. Sa musique s’enracine dans cette culture et intègre de nombreux éléments des traditions musicales de son peuple. Fils d’un père pasteur et d’une mère institutrice, militante panafricaine, il grandit dans un univers où la musique se mêle aux luttes pour l’émancipation et la décolonisation. Identité artistique et combat politique formeront le noyau incandescent de son ADN.
« La musique est l’arme du futur »
Initié au piano par son père, le jeune Fela se passionne très tôt pour la musique. Mais c’est à Londres, lors de ses études, qu’il découvre le jazz, le funk, et croise la route de musiciens venus d’Afrique et des Caraïbes. Il fonde son premier groupe, Koola Lobitos, qui fusionne jazz et highlife ghanéen, alors en vogue. Pourtant, c’est sa rencontre avec le mouvement Black Power, lors d’un séjour aux États-Unis en 1969, qui marque un tournant décisif dans sa vie. De retour au Nigeria, il porte une conscience panafricaine aiguisée et une volonté farouche de dénoncer les injustices. Il rebaptise son groupe Africa 70 et invente l’afrobeat : une fusion puissante de funk, jazz, highlife, salsa, calypso, relevée par les rythmes traditionnels yoruba.
À partir de 1972, pour toucher le plus grand nombre, il chante en pidgin, ce dialecte populaire basé sur l’anglais, mais nourri des tournures, de l’humour et des expressions du quotidien nigérian. Ce langage direct et sans détour fait de lui le porte-voix des opprimés et un symbole de résistance à la dictature militaire du général Yakubu Gowon. Cette année-là, il sort l’album Shakara, porté par le tube « Lady », écoutée de Bamako à Cape Town la chanson devient l’emblème d’une génération. Convaincu que l’Afrobeat est un outil de lutte contre la dictature militaire, contre le néocolonialisme et pour la transformation sociale, il scande à chacun de ses concerts : « la musique est l’arme du futur. »
Zombie, le plus grand tube
En 1977, Fela sort Zombie, qui, sans conteste, est le plus grand tube de sa discographie. Dans ce morceau, devenu un hymne emblématique de la lutte contre la dictature militaire nigériane, il compare les soldats à des zombies qui obéissent aveuglément aux ordres, dénonçant ainsi la brutalité et la soumission aveugle des militaires.
En 1970, Fela avait créé la République de Kalakuta, une petite ville alternative dans Lagos, proclamée indépendante, dans laquelle se croisaient musiciens, danseuses, marginaux, militants politiques venus du monde entier. Dans ce bastion de résistance qui défiait le régime nigérian se trouvaient à la fois un studio d’enregistrement, une boîte de nuit, le mythique Shrine, et une clinique pour les pauvres gérée par son frère.
Après la sortie de Zombie qui a provoqué la colère d’Olusegun Obasanjo, le président de l’époque, plus de 1000 soldats attaquent Kalakuta. Ils incendient la maison de Fela et la clinique de son frère et défenestrent sa mère qui mourra quelques jours plus tard de ses blessures. Malgré ces drames, ses multiples arrestations, près de 200 qui duraient de quelques jours à quelques mois, Fela n’a jamais plié. Un an plus tard, il crée son parti, le MOP (Mouvement Of People.) Sa ténacité a renforcé son image de combattant et accru sa popularité comme symbole de résistance. Les panafricanistes d’aujourd’hui pensent souvent avoir tout inventé, ils oublient que leurs prédécesseurs se sont montrés plus virulents, plus résistants et surtout politiquement plus structurés.
Le VIP XXL
Dans l’Afrique bouillonnante des années post-indépendance, Fela, la star incontestée, se permet toutes les folies. Je suis un VIP plaisantait-il lors de ses concerts, un « vagabond in power » ! Il est vrai que lui seul pouvait se permettre toutes les extravagances, comme poser en slip kangourou sur les photographies, sans avoir l’air ridicule. Jean-Jacques Mandel, anthropologue et photographe qui a côtoyé Fela dans sa grande époque dira des années plus tard : « Ce n’est pas tous les jours qu’on photographie un génie en slip, un homme qui, entre deux joints aussi démesurés que son pays, le Nigeria, révolutionne la musique. » Lui seul a pu se marier le même jour avec 27 femmes sans être taxé de misogyne. Pour lui, il s’agissait de renouer avec la tradition polygame de son pays et surtout de donner un statut aux femmes qui vivaient à ses côtés dans la République de Kalakuta. Difficile de dire si ce génie a été le reflet d’une époque ou s’il a participé à façonner l’époque, les deux se confondent. L’afro-optimisme du milieu des années 80 a laissé la place à l’afro-pessimisme des années 90. Fela Kuti se renferme, en 93, il publie son dernier album « Underground System ». Affaibli par le sida et les séquelles de ses nombreux séjours en prison, il passe la main à son fils Femi et ne trouve plus la force de contester la nouvelle dictature du général Sani Abacha. Il meurt le 2 août 97 laissant derrière lui une trace indélébile.
Discographie, les dix plus grands titres de Fela :
Zombie
Lady
Water No Get Enemy
Expensive Shit
Sorrow, Tears and Blood
Gentleman
Shakara
Coffin for Head of State
No Agreement
Roforofo Night