L’Arcola Théatre de Londres: une mosaïque africaine vibrante et poétique

Jusqu’au 12 juillet, le Arcola Theatre de Londres présente 54.60 Africa, une pièce chorale qui propose un voyage express à travers les 54 pays du continent. Une performance ludique, politique et musicale qui défie les clichés avec énergie.

Comment raconter l’Afrique, tout entière, sur une scène londonienne, en moins de 90 minutes ? C’est le pari audacieux de 54.60 Africa, spectacle actuellement à l’affiche du Arcola Theatre, dans l’Est de Londres, jusqu’au 12 juillet. Le titre, aussi cryptique qu’éloquent, renvoie à un chiffre double : 54, comme le nombre d’États reconnus sur le continent africain, et 60, comme le temps imparti – une heure vingt – pour les traverser dans une forme théâtrale libre et inclassable.

Conçu comme une odyssée fragmentée, 54.60 Africa n’est ni un cours de géographie ni un manifeste idéologique. C’est une mosaïque vivante, portée par une troupe d’interprètes issus de différentes origines africaines et caribéennes, qui jouent, dansent, chantent, dénoncent, rient, interrogent. Le spectacle passe d’un pays à l’autre avec des changements de ton, de langue, de rythme, allant du chant populaire à la scène absurde, de la satire politique à la récitation poétique. Chaque tableau dure à peine quelques minutes, mais en laisse souvent une empreinte forte.

Sur scène, le dispositif est minimal mais efficace. Quelques accessoires, des panneaux amovibles, des costumes colorés, des instruments traditionnels. L’énergie vient des corps, du texte, de la musique. Les interprètes incarnent tour à tour des figures historiques, des archétypes, des voix anonymes : un vendeur de rue à Dakar, une manifestante au Caire, un président fictif en roue libre, une mère en exil. Le rythme est soutenu, presque frénétique, mais jamais mécanique. Il y a une générosité dans le jeu, une attention constante au public, qui devient témoin complice.

Le spectacle ne cherche pas l’exhaustivité, bien sûr. Il assume les ellipses, les raccourcis, les partis pris. Mais ce qu’il réussit, c’est à faire sentir la multiplicité d’un continent trop souvent réduit à une identité unique. Ici, l’Afrique est plurielle, contrastée, urbaine, rurale, traversée par l’humour, la douleur, le désir, la révolte. Les clichés sont convoqués pour être dynamités. Un roi caricatural du pétrole est ridiculisé en quelques répliques. Un stéréotype de safari est retourné comme une farce. Un chant de guerre se mue en ballade amoureuse.

L’intelligence de 54.60 Africa, c’est aussi de ne jamais verser dans le didactisme. Il n’y a pas de message asséné, mais des fragments qui s’additionnent, se contredisent, s’échappent. Certaines scènes frôlent le burlesque, d’autres saisissent par leur gravité. On passe du rire au silence avec une souplesse rare. La musique, omniprésente, fait office de liant : percussions, guitares, chants a cappella. Elle rythme les transitions, prolonge les émotions, ancre le spectacle dans une matérialité sensible.

Le metteur en scène, d’origine ghanéenne, a voulu créer une forme « populaire et sérieuse », qui puisse toucher un large public sans renoncer à la complexité. Il revendique une influence du cabaret politique aussi bien que du théâtre forum. La scénographie, en mouvement perpétuel, évoque le passage, la traversée, la frontière. Et si tous les pays n’ont pas droit à la même attention, chacun est nommé, évoqué, inclus dans cette cartographie subjective.

Le choix du Arcola Theatre, connu pour sa programmation cosmopolite et engagée, n’est pas anodin. Ce théâtre de quartier, situé à Dalston, s’inscrit dans un tissu multiculturel où vivent de nombreuses communautés afro-caribéennes. 54.60 Africa y trouve un écho particulier, et la salle, souvent pleine, réagit avec enthousiasme. Les applaudissements éclatent à la fin de certains tableaux, les rires fusent, les silences s’installent. Le public, mêlé, jeune, souvent racisé, se reconnaît dans ce théâtre en mouvement.

Ce spectacle est aussi un geste de reconnaissance. À l’heure où les grandes scènes britanniques s’ouvrent encore timidement aux voix africaines contemporaines, 54.60 Africa affirme la légitimité d’un théâtre diasporique, inventif, indocile. Il montre que l’Afrique n’est pas un décor ni une urgence humanitaire, mais un continent d’histoires, de langues, de corps en lutte, en fête, en devenir.

Informations pratiques

Spectacle : 54.60 Africa
Dates : jusqu’au 12 juillet 2025
Lieu : Arcola Theatre, 24 Ashwin Street, Dalston, Londres E8 3DL
Accès : Overground Dalston Junction / Dalston Kingsland, ou bus 30, 38, 56
Horaires : tous les soirs à 19 h 30, relâche le dimanche
Durée : 1 h 20 sans entracte
Langue : anglais, avec quelques passages multilingues
Billets : à partir de 14 £, réservations sur www.arcolatheatre.com