Avant le 24 décembre 2007 et l’assassinat de quatre Français, la Mauritanie accueillait plus de 12 000 touristes par an. Alors que la sécurité règne aujourd’hui dans le pays, Nouakchott ne reçoit que quelques centaines de visiteurs. L’une des raisons ? Le manque total de professionnalisme de certaines agences locales de voyages. Récit.
Ian Hamel, envoyé spécial en Mauritanie
Chinguetti, dans la région de l’Adora, classée au patrimoine mondial
Imaginez une touriste étranger qui viendrait visiter Paris et qui se verrait répondre par son guide qu’il n’est pas possible d’apercevoir la Seine. C’est pourtant ce qui est arrivé à l’auteur de l’article à Rosso, à l’extrême sud de la Mauritanie, ville séparée de la Mauritanie par le fleuve Sénégal. Notre accompagnateur, salarié d’une agence de voyages agréée par le ministère du tourisme, s’est engagé dans l’artère principale de Rosso. Puis, il a fait demi-tour. Il a ensuite repris la même rue, avant, une nouvelle fois, de refaire demi-tour. Devant notre insistance pour simplement voir le fleuve Sénégal, le “guide“ a alors pris une petite route pendant une dizaine de minutes avant de s’arrêter devant un ruisseau…
Devant notre mécontentement, notre “guide“ nous a alors expliqué que le fleuve Sénégal était distant d’une centaine de kilomètres et que de toute façon, il s’avérait interdit de l’apercevoir… Sidéré par les propos fumeux de l’employé de l’agence de voyages, la réceptionniste de l’hôtel s’est proposée de nous conduire jusqu’au fleuve, situé à quelques minutes de son établissement. En fait, tout avait fort mal commencé. Alors que la journée nous était facturée 200 euros par jour et par personne, à notre arrivée dans la capitale, à Nouakchott, l’auberge retenue, déglinguée et assidument fréquentée par des hordes de moustiques, ne coûtait en fait que… 17 euros.
Du thon sur un quignon de pain
Tout le problème venait d’avoir payé à l’avance une agence de voyages locale qui comptabilisait sur son site une cinquantaine d’avis dithyrambiques. Ce n’était pas « bien », ni même « très bien », mais « exceptionnel », « merveilleux », « fantastique ». L’armée de touristes qui nous avait précédé aurait unanimement attribué à ce tour-opérateur la note de 10 sur 10. L’un d’entre eux vantait notamment la « cuisine goûteuse » du “chauffeur-cuisinier“. En fait, à midi, après s’être arrêté devant une terrain vague couvert d’immondices, nous avons eu droit à du thon en boîte sur un quignon de pain. Le soir, en arrivant à Rosso, le “guide“ a tourné une bonne heure avant de dénicher un hôtel convenable. Le premier ne possédait pas la wifi. Le deuxième était fermé. Le troisième n’avait même pas balayé les détritus devant sa porte, le suivant empestait.
Pourquoi cette agence « connue et reconnue » n’avait-elle pas réservé à l’avance un établissement seulement propre et climatisé ? Réponse absurde : les réservations n’existeraient pas en Mauritanie, répondait le fameux “guide“. Racontant cette mésaventure à Ahmed Ould Cheikh, le directeur de publication du journal Le Calame nous répondait : « Il ne fallait pas vous jeter dans la gueule du loup avant de demander l’avis de quelqu’un qui connaît le secteur. Si vous me l’aviez dit avant votre arrivée, je vous aurais orienté vers une agence sérieuse ». Effectivement, pour la fin du séjour, nous avons pu nous appuyer sur un guide professionnel. Quant à la fameuse agence de voyages, son directeur n’a pas souhaité nous recevoir, nous répondant par écrit qu’il n’était pas dans notre contrat « de voir le fleuve Sénégal »…
Objectif : 100 000 visiteurs en 2030
Les statistiques manquent concernant le nombre de visiteurs en Mauritanie. Au début des années 2000, ils étaient autour de 8 000 touristes à atterrir à l’aéroport d’Atar. La région de l’Adrar, avec notamment la ville de Chinguetti, classée au patrimoine de l’UNESCO, étant la plus fréquentée du pays. Maurice Freund, le fondateur du Point Afrique, baptisé « le missionnaire du voyage mauritanien », raconte dans la presse locale que durant la saison 2006-2007, avant l’attentat du 24 décembre 2007, qui a coûté la vie à quatre Français, « plus de 12 000 personnes ont découvert l’une des plus belles régions du Sahara. La saison suivante s’annonçait encore plus prometteuse ».
Mais après les es attentats et l’annulation du Paris-Dakar en 2008, Point Afrique a été contraint d’arrêter les frais, faute de clients (1). Toutefois, la situation s’est rapidement améliorée. Depuis 2011, la Mauritanie tient en échec les groupes terroristes qui prolifèrent dans le reste du Sahel, Mali, Burkina Faso, Niger. Mais, malgré toute l’énergie de Maurice Freund, le pays peine à faire revenir des visiteurs attirés par les paysages désertiques. Cela tient notamment au fait que le ministère des Affaires étrangères déconseille toujours la destination, dessinant en orange et en rouge la plus grande partie du territoire. Pour l’année 2024, il n’existe toujours pas de statistique officielle et globale (comprenant l’Adrar, mais aussi Nouakchott, Nouadhibou, Rosso, Kiffa). Mais officieusement, les professionnels reconnaissent une fréquentation très limitée, « se comptant en quelques centaines ou milliers de visiteurs tout au plus ».
Officiellement, la Mauritanie a pour ambition d’atteindre 1000 000 visiteurs par an à l’horizon 2030. A condition qu’ils ne soient pas découragés par des agences de voyages locales aussi peu professionnelles, et pourtant agréées par le ministère du tourisme.
- Le Calame, 21 janvier 2014.