Quand Papi Gbagbo fait de la résistance en Côte d’Ivoire

« Je m’appelle Laurent Gbagbo. Est-ce qu’ils le savent ? Dites-leur que je m’appelle Laurent Gbagbo. S’ils cherchent la bagarre, ils l’ont trouvée. » A quatre-vingts ans bien sonnés cette année 2025, Laurent Gbagbo n’entend pas se laisser écarter de la course à la présidence qui aura lieu au mois d’octobre prochain.

Venence Konan à Abidjan

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L’ancien président ivoirien n’a pas du tout digéré de ne pas voir son nom sur la liste électorale, ce qui de facto l’empêche de se porter candidat, et il se dit prêt à guerroyer jusqu’à ce qu’il soit réintégré sur cette liste. Aussi, au lendemain de la publication de la liste, il a organisé une conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé sa volonté de se battre à tout prix, tout en rappelant qu’il avait toujours été un combattant. Et dans la foulée, il a lancé un mouvement baptisé « trop c’est trop » dont l’ambition est de rassembler tous les opposants au président Alassane Ouattara, au-delà de tous les clivages politiques ou régionaux.

Laurent Gbagbo avait été condamné en novembre 2019 à 20 ans de réclusion, et privé de ses droits civiques dans l’affaire dite du « braquage de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) » pendant la crise post-électorale de 2010-2011. Gracié par le président Alassane Ouattara, il n’a cependant pas été amnistié afin de pouvoir recouvrer ses droits civiques.

Il a par la suite annoncé son alliance avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) dont le président, Tidjane Thiam, est lui aussi empêché de participer à la prochaine élection présidentielle en raison d’une décision de justice qui l’a rayé de la liste électorale. Il lui est reproché de s’être inscrit sur cette liste alors qu’il portait encore la nationalité française qu’il avait acquise en 1987.

Gbagbo, l’éternel combattant.

C’est ainsi que l’ancien président de la république de Côte d’Ivoire s’est toujours présenté. Et c’est peut-être l’image qu’il aimerait laisser à la postérité. Né dans une famille très modeste de l’ouest de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo a effectivement dû se battre pour vivre et faire des études qui l’ont conduit à un doctorat en histoire soutenu à l’université Paris-Diderot. Devenu enseignant dans un lycée de son pays, il milite au sein du syndicat des enseignants et se retrouve emprisonné à Séguéla et Bouaké de mars 1971 à janvier 1973. A cette époque Houphouët-Boigny qui dirigeait le pays n’aimait pas beaucoup que l’on conteste son pouvoir. Même par la voie syndicale. En 1982 Gbagbo est poursuivi à la suite des manifestations des étudiants qui avaient provoqué la fermeture de l’université, et il s’enfuit vers la France où il crée clandestinement son parti, le Front populaire ivoirien (FPI), avec entre autres celle qui deviendra son épouse, Simone Ehivet.

En 1990 le multipartisme est de nouveau autorisé en Côte d’Ivoire et Laurent Gbagbo peut présenter officiellement son parti. Il participe à l’élection présidentielle du 28 octobre de la même année face au vieux président Houphouët-Boigny et obtient 18,3% des voix, ce qui fait de lui le chef de file de l’opposition. Le 18 février 1992, Laurent Gbagbo et sa femme sont arrêtés sur ordre du Premier ministre Alassane Ouattara, à la suite d’une manifestation qui a dégénéré. Ils sont condamnés à deux ans de prison, mais sont libérés après six mois de détention.

L’alliance avec Ouattara

En 1995, il s’allie à Alassane Ouattara qui avait créé le Rassemblement des républicains (RDR) contre Henri Konan Bédié qui avait succédé à Houphouët-Boigny à la tête de l’Etat, et ensemble ils boycottent l’élection présidentielle.

En 1999 Laurent Gbagbo soutient le Général Guéï qui a renversé le président Bédié à la suite d’un coup d’Etat. En 2000 il accède à la présidence de la Côte d’Ivoire après une élection qu’il avait lui-même qualifiée de calamiteuses et qui avaient coûté la vie à plusieurs centaines de personnes. Mais deux ans après son accession au pouvoir, une rébellion dirigée par Guillaume Soro coupe le pays en deux. Laurent Gbagbo doit se battre pied à pied pour conserver son pouvoir.

En 2010, après plusieurs accords politiques, le pays est réunifié et l’élection présidentielle est enfin organisée. Laurent Gbagbo perd, mais il refuse de reconnaître sa défaite et se fait investir président. Une guerre éclate entre l’armée de Laurent Gbagbo et celle de Guillaume Soro appuyée par les forces internationales. Gbagbo est arrêté le 11 avril 2011 et après avoir été interné quelques mois à Korhogo, il est transféré à la Haye où il est jugé par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité. Mais au bout de huit ans de procès, il est acquitté et rentre dans son pays.

« Le woudi » persiste et signe

Mais Laurent Gbagbo n’aspire point au repos. Il divorce de son épouse Simone, se sépare de ses compagnons de longue date que sont Affi Nguessan, et Blé Goudé, épouse sa compagne Nady Bamba et crée un nouveau parti politique, le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) avec lequel il entend reconquérir le pouvoir qu’il estime avoir injustement perdu.

Gbagbo veut se battre de toutes ses forces pour participer à la prochaine élection présidentielle. En a-t-il encore la force ? Physiquement, son âge et les années de prison semblent avoir imprimé leur marque sur son corps qu’il déplace désormais avec quelques difficultés. Mais même si sa diction est beaucoup plus lente qu’auparavant, son esprit est toujours aussi vif et combattif.

La sagesse ne recommanderait-elle pas que Laurent Gbagbo se mette désormais au-dessus de la mêlée après tous ces combats qu’il a menés, qu’il se retire dans son village de Mama ? C’est certainement mal connaître celui que ses partisans ont surnommé le « Woudy », ce qui signifie dans sa langue « le garçon », ou l’homme dans toute sa plénitude, à savoir beau, fort, courageux et qui ne recule jamais.