Donald Trump, ce chef d’orchestre devenu soliste, a qualifié de « très réussie » l’attaque menée sur Fordo, Natanz et Ispahan, qui rejoint l’offensive israélienne. Ces bombardements « n’arrêteront pas » les activités nucléaires de Téhéran, a assuré l’agence atomique iranienne.
En transformant l’imprévisibilité en puissance, le président américains a gagné une manche. Mais dans ce jeu d’échecs nucléaire, chaque coup rapproche la partie de son dénouement. Et dans l’ombre, le monde retient son souffle.
Longtemps tapi dans l’ombre, Donald Trump a finalement franchi le seuil de l’action militaire directe. Les frappes américaines contre les sites nucléaires iraniens Fordow, Natanz et Ispahan, les 21 et 22 juin 2025, ont mis fin à l’ambiguïté stratégique qu’il entretenait depuis le début du conflit. Ce tournant géopolitique, soigneusement calibré, réaffirme la puissance américaine tout en reléguant les autres acteurs internationaux – Vladimir Poutine en tête – au rôle de spectateurs impuissants.
Le retour du feu américain
Il aura suffi d’une nuit pour dissiper des mois de stratégie floue. Dans une opération éclair, l’aviation américaine a ciblé trois sites nucléaires iraniens d’importance stratégique majeure. Parmi eux, Fordow, sanctuaire nucléaire creusé à 80 mètres sous terre, réputé imprenable, a été touché par des bombes GBU-57 MOP, conçues pour pénétrer les bunkers les plus profonds. Ces frappes, planifiées de longue date, ont été menées depuis des bombardiers B-2 partis de Whiteman Air Force Base et relayés par la base de Guam. Une démonstration technologique autant que symbolique.
Dans la foulée, Donald Trump a revendiqué ces frappes comme un succès militaire éclatant : « Nous avons totalement oblitéré les installations nucléaires de l’Iran. » Cette rhétorique martiale, mêlée de satisfaction provocatrice, tranche avec les mois précédents où l’ancien président entretenait le flou sur son intention réelle de recourir à la force. Sa stratégie était claire : soutenir Israël sans s’enliser, menacer l’Iran sans déclencher d’embrasement. Mais avec cette offensive, Trump assume le passage à une phase active du conflit.
De l’ambiguïté à l’activation
Jusqu’ici, Trump excellait dans ce que les analystes appelaient « l’ambiguïté active ». Il promettait le pire sans le commettre, gelait l’Iran dans un état de tension permanente, et laissait à Israël le rôle de bras armé visible. Tsahal multipliait les frappes chirurgicales, tandis que Washington dictait les lignes rouges depuis les coulisses.
Cette stratégie lui permettait de jouer plusieurs cartes : apparaître comme l’allié indéfectible de Jérusalem auprès de son électorat évangélique et nationaliste, ménager le Pentagone en évitant les longues interventions, et garder un levier de dissuasion intact en menaçant sans agir. Mais à mesure que les frappes iraniennes contre Israël se sont intensifiées, que la posture américaine apparaissait de plus en plus attentiste, Trump a fini par activer son arsenal – pas seulement militaire, mais diplomatique, symbolique, stratégique.
Il ne s’agit pas d’un revirement, mais d’une montée en puissance cohérente avec sa doctrine : ne jamais subir l’escalade, toujours en garder le contrôle. La frappe contre Fordow, inaccessible aux missiles israéliens, confirme une vérité stratégique : seule l’Amérique peut atteindre certains sanctuaires nucléaires. Et Trump vient de rappeler au monde que ce monopole de puissance est intact.
La marginalisation de Poutine
Dans ce contexte, l’intervention du président russe Vladimir Poutine en amont des frappes paraît d’autant plus marginalisée. Moscou avait proposé une médiation entre Israël et l’Iran, mettant en avant la nécessité d’une désescalade. Mais Trump a sèchement rejeté l’offre : « Commence par régler la Russie avant de t’occuper des autres. »
Cette réplique n’était pas simplement une pique diplomatique. Elle affirmait un principe de domination : le conflit Iran–Israël est désormais cadré par l’axe Washington–Jérusalem, sans place pour les puissances rivales. L’exclusion de Poutine n’est pas un effet collatéral ; c’est une stratégie. Trump refuse toute concurrence symbolique, que ce soit de la Russie, de la Chine ou de l’ONU.
Moscou, pourtant partenaire stratégique de l’Iran depuis la signature d’un traité global en janvier 2025 (coopération économique, défense, nucléaire civil), s’est retrouvé relégué à un rôle de commentateur. Le Kremlin a dénoncé une « escalade dangereuse » et prévenu que le monde se trouve « à quelques millimètres d’une catastrophe nucléaire », selon les propos de Maria Zakharova et du vice-ministre Ryabkov. Mais aucune riposte concrète n’est envisagée. La Russie, empêtrée dans son propre conflit en Ukraine et soucieuse de ne pas affronter frontalement les États-Unis, reste dans une prudence stratégique feutrée.
La guerre change de nature
Cette frappe marque la fin du paradigme de la guerre par procuration. Depuis avril, l’armée américaine n’avait tiré aucun missile ; Israël portait seul le poids opérationnel. Avec cette offensive directe, Washington entre officiellement dans le théâtre militaire. Ce n’est plus seulement un conflit d’alliés, c’est une co-intervention. Les États-Unis n’agissent pas en soutien, mais en leader opérationnel.
La riposte iranienne ne s’est pas fait attendre. Des missiles ont été tirés sur des cibles israéliennes, blessant une centaine de personnes. L’Iran a affirmé que « toutes les options sont sur la table » pour défendre sa souveraineté. La République islamique a toutefois nié que des matières radioactives aient été touchées à Fordow, et affirmé que les installations étaient vides – une manière de minimiser l’impact et de contenir la panique.
Mais la pression psychologique est réelle. L’idée que les États-Unis puissent frapper à tout moment n’est plus une abstraction. Elle est désormais ancrée dans les faits. Et le signal envoyé à Téhéran est limpide : la prochaine frappe pourrait viser non pas une installation, mais le régime lui-même.
L’équilibre instable
Cette montée en puissance pose une question vertigineuse : jusqu’où Trump est-il prêt à aller ? Car l’équilibre actuel, bien que redoutablement efficace en termes de dissuasion, est d’une fragilité extrême.
Trois scénarios pourraient précipiter une nouvelle escalade :
– Si une cible américaine est directement visée par l’Iran.
– Si un allié occidental (par exemple un militaire français ou britannique) est tué dans une frappe.
– Ou si Israël subit une attaque massive, obligeant les États-Unis à répondre de manière symétrique.
Dans tous ces cas, la ligne de flottaison serait franchie. Trump ne pourrait plus se contenter d’une frappe symbolique ou ponctuelle. Ildevrait engager l’armée dans une guerre classique, longue et risquée, tout ce qu’il cherche à éviter.
Pour l’heure, chaque jour gagné sans intervention prolongée est une victoire pour lui. Mais ce fil est mince. Un seul incident grave pourrait suffire à le rompre.
La bombe qui dicte la paix
Le site de Fordow incarne une autre vérité de ce conflit : la puissance militaire américaine n’est pas seulement une arme, c’est un levier diplomatique. La GBU-57, bombe pénétrante de plus de 13 tonnes, n’est pas conçue pour les guerres d’occupation, mais pour l’intimidation ciblée. Elle existe autant pour frapper que pour faire peur.
En frappant Fordow, Trump a utilisé l’arme non pas comme une fin, mais comme un message. Un message adressé à l’Iran, mais aussi à Israël, à la Russie, à l’Europe : l’Amérique détient la clé ultime du conflit. Elle peut faire basculer la guerre, ou l’arrêter. Elle reste, malgré tout, le cœur de la dissuasion mondiale.
Jusqu’à présent, Donald Trump était un chef d’orchestre invisible, maître du tempo sans jamais apparaître sur scène. Depuis le 21 juin, il est aussi le soliste, celui qui donne le ton, frappe le premier, et oblige les autres à suivre sa cadence.
Cette frappe sur l’Iran est une démonstration de force, mais aussi un pari dangereux. Elle redéfinit les rapports de puissance, marginalise les médiations, impose une polarisation brutale. Trump a mis fin au flou stratégique pour projeter une image de toute-puissance. Mais cette clarté nouvelle peut aussi précipiter l’irréparable.