Le Moyen Orient entre chute des Mollahs et chaos régional

Alors qu’Israël frappe pour la première fois en profondeur les infrastructures nucléaires iraniennes, le Moyen-Orient vacille entre basculement historique et chaos annoncé. Chute du régime ou guerre régionale ? L’opération de 2025 ouvre un nouveau chapitre explosif dans l’équation stratégique israélo-iranienne.

Vendredi 13 juin 2025. Une date qui risque de s’ajouter à la liste fatidique des années charnières du Moyen-Orient. Comme 1956, 1967 ou 1973, cette journée restera peut-être comme celle où l’équilibre régional a basculé. Pour la première fois, Israël a mené une frappe à grande échelle contre les infrastructures nucléaires iraniennes. Mais au-delà de l’effet militaire immédiat, une question domine tous les débats géostratégiques : cette frappe marquera-t-elle le début de la fin du régime iranien ou, au contraire, le point de départ d’un embrasement régional sans précédent ?

Entre optimisme messianique et réalisme tragique, la lecture du conflit oppose deux pôles : la promesse d’une chute du régime iranien et d’une ère plus consensuelle dans la région, ou le risque d’une guerre régionale prolongée, d’un chaos pétrolier, et d’un engrenage qui pourrait forcer les États-Unis à s’impliquer directement.

Ce qui distingue cette attaque des précédentes tentatives, c’est la volonté affichée par Israël d’aller jusqu’au bout. En quinze ans, l’État hébreu avait souvent pointé ses missiles vers Natanz ou Fordow, avant de renoncer à la dernière minute, dissuadé par Washington ou freiné par ses propres états-majors. Cette fois, la retenue a cédé place à la résolution : détruire la capacité nucléaire de l’Iran, quoi qu’il en coûte.

Puissance de feu et fragilité intérieure

Ce changement d’attitude s’explique par deux facteurs : d’une part, l’accélération sans précédent de l’enrichissement d’uranium par Téhéran, avec un degré de dissimulation tel que l’AIEA, pour la première fois en vingt ans, a publiquement dénoncé le non-respect des engagements iraniens. D’autre part, un contexte géopolitique qui a redistribué les cartes : l’échec du dialogue, l’impatience des faucons israéliens, et le feu vert implicite d’un Donald Trump revenu à la Maison Blanche, plus préoccupé de dissuasion que de diplomatie, mais jusqu’à un certain point.

La précision de la frappe – qui aurait atteint les entrées souterraines des sites de Natanz et potentiellement perturbé les centrifugeuses malgré leurs amortisseurs – révèle une chose : Israël ne veut plus temporiser. Il veut une interruption nette, durable, de la capacité nucléaire iranienne. Et il est prêt à en assumer le coût stratégique.

La réussite de cette opération dépend moins des explosions visibles que de l’effet souterrain qu’elles auront : sur les infrastructures, sur le programme nucléaire, mais surtout sur la perception iranienne de sa propre invulnérabilité. L’Iran a bâti son pouvoir sur une double illusion : l’intouchabilité de ses sites nucléaires, et la loyauté de ses cadres. Or la frappe israélienne remet en cause les deux.

Derrière l’efficacité apparente du Mossad et de l’unité 8200, se cache un fait plus dérangeant pour Téhéran : l’effondrement intérieur de la confiance. De nombreux responsables iraniens, exaspérés par leur propre régime, auraient collaboré avec Israël, facilitant les frappes chirurgicales qui ont tué les chefs des Gardiens de la Révolution et du haut commandement militaire. Le pouvoir iranien, désormais, vit dans la paranoïa. Chaque réunion est suspecte. Chaque général devient potentiellement une taupe.

Cette insécurité intérieure, si elle s’installe, ralentira la prise de décision et pourrait précipiter des erreurs fatales. Elle constitue le véritable gain stratégique israélien, au-delà des dégâts techniques.

D’un empire d’influence à un risque de vide régional

L’un des paris implicites de cette opération est que la chute ou l’affaiblissement de la République islamique aura un effet domino sur ses relais régionaux. Depuis des décennies, l’Iran contrôle ou influence des territoires entiers par milices interposées : le Hezbollah au Liban, les milices chiites en Irak, les Houthis au Yémen, et les restes d’alliés en Syrie.

En ciblant le centre nerveux de cette stratégie, le régime iranien lui-même, Israël espère briser l’épine dorsale d’un empire d’influence délétère. Or, les premiers frémissements semblent aller dans ce sens : affaiblissement visible du Hezbollah, recompositions politiques embryonnaires au Liban et en Syrie, retour d’un espoir timide dans des sociétés longtemps étouffées.

Mais ce frémissement ne garantit pas une stabilisation. Faire tomber un empire d’influence ne suffit pas à bâtir des démocraties. Le vide politique qui suivrait une chute rapide du régime iranien pourrait aussi engendrer un désordre prolongé, comme on l’a vu en Irak ou en Libye. Entre libération et chaos, la ligne est mince.

Paradoxalement, celui qui orchestre cette reconfiguration régionale est incapable de gérer sa propre maison. Benjamin Netanyahu, maître d’échecs au Moyen-Orient, est un joueur brouillon sur l’échiquier intérieur. À Gaza, ses choix sont dictés par des impératifs de survie politique, son refus dogmatique de tout État palestinien, et sa dépendance à une extrême droite messianique. Résultat : l’armée israélienne est engluée dans un bourbier moral et stratégique, sans plan de sortie.

Cette dissociation entre son habileté externe et son aveuglement interne pose une question cruciale : jusqu’où Israël peut-il aller sans s’effondrer moralement de l’intérieur ? Si les succès extérieurs servent à détourner l’attention des impasses locales, l’équation devient instable.

Au-delà de l’axe géopolitique, ce conflit a des implications globales : notamment sur le prix de l’énergie. L’Iran, acculé, pourrait chercher à punir l’Occident en provoquant une flambée du pétrole. Il lui suffirait de miner le détroit d’Ormuz ou de saborder quelques tankers pour bloquer les exportations. Le seul spectre de cette manœuvre suffit déjà à faire grimper les prix.

C’est peut-être ici que le lien avec Washington devient crucial : Trump, président en campagne permanente, pourrait être tenté de laisser Israël faire le sale travail… jusqu’au moment où une crise énergétique menacerait l’économie américaine. À ce moment-là, l’engrenage militaire deviendrait quasi inévitable.

Il faut reconnaître à Israël, cette fois, une relative retenue. Contrairement à Gaza, aucune frappe massive contre des civils. L’intention est claire : faire la distinction entre le peuple iranien et son régime. Netanyahu l’a dit dans une vidéo adressée aux Iraniens : « Vous n’êtes pas nos ennemis. Votre régime est notre ennemi commun. »

S’il ne convaincra pas les foules persanes, il plante néanmoins un message stratégique : Israël ne cherche pas la guerre contre un peuple, mais la fin d’un régime qu’il juge irresponsable. Ce discours, s’il trouve des relais au sein d’une jeunesse iranienne déjà frustrée et en colère, pourrait favoriser une dynamique interne de renversement.

Mais là encore, le renversement d’une dictature ne signifie pas l’avènement d’une démocratie. Le vide post-autoritaire est souvent rempli par l’instabilité, les luttes de pouvoir, voire la guerre civile. La vraie question est donc : que se passe-t-il après ?

Deux leçons majeures se dégagent de ce tournant :

1- Les régimes autoritaires semblent éternels… jusqu’à ce qu’ils s’effondrent d’un coup.

2- Mais au Moyen-Orient, la chute d’un tyran ne garantit ni la paix ni la démocratie, parfois seulement un désordre infini.

Le pari d’Israël est à double tranchant. Il peut précipiter la fin d’un régime néfaste et libérer des sociétés entières… ou plonger la région dans une guerre d’attrition sans issue. Il reste à voir si le coup de maître de Netanyahu au niveau stratégique n’ouvrira pas une boîte de Pandore plus vaste qu’il ne l’imaginait.