Les pressions de l’armée algérienne expliqeraient le départ de Wagner du Mali

Pour comprendre pourquoi la société militaire russe Wagner décidé de jeter l’éponge et quitter le Mali à un moment critique pour Bamako il faut revenir sur ses cinq ans de présence sur le sol malien et comprendre sa relation symbiotique avec la junte malienne. Telle est la brillante analyse présentée par un site algérien d’excellente qualité ( MENADEFENSE ) consacré aux questions de défense, sous la plume d’Akmed Kharief.

Akram Kharief MENADEFENSE

Des combattants touaregs se reposent dans le désert malien. Les tensions croissantes entre l’Algérie et le Mali sont engendrées par un désaccord sur la façon de faire face à la rébellion touarègue qui remonte à douze ans, centrée sur la région frontalière entre les deux pays.
Des combattants touaregs se reposent dans le désert malien. Les tensions croissantes entre l’Algérie et le Mali sont engendrées par un désaccord sur la façon de faire face à la rébellion touarègue qui remonte à douze ans, centrée sur la région frontalière entre les deux pays.

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Dans le lent processus de sortie du Mali dela SMP russe, le poids de l’Algérie a pesé lourdement, et ce depuis plusieurs années. Des voix avaient pourtant accusé Alger de faciliter le transfert du groupe au Mali en lui ouvrant ses ports et son espace aérien. En réalité, et dès l’apparition de Wagner en 2000, l’Algérie avait dénoncé la présence de mercenaires dans le Sahel et en Libye et n’avait jamais établi de contact direct avec la SMP russe.

Le processus inéluctable de la fin de la société militaire privée russe Wagner a commencé le 31 mars 2022, au lendemain de l’horrible massacre commis contre les habitants de Moura, petite ville du centre du Mali, et qui avait fait plus de 500 morts parmi les civils.

Cette action avait ouvert le bal de l’opération de « reconquête à tout prix » des territoires contrôlés par les groupes terroristes et par les groupes rebelles. Deux années plus tard, Wagner et les FAMA (Armée malienne) prennent quelques villes du Nord, bastions historiques de la rébellion, comme Gao, Tombouctou et surtout Kidal.

La prise de la forteresse touareg en novembre 2023 a été le climax de l’action de Wagner et la limite de son expansion. Une fois Kidal tombée, les combattants de ce qui deviendra le Front de libération de l’Azawad (FLA), et qui était appelé à l’époque le CSP-DPA (Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad), iront pour la plupart se réfugier au sud de la Mauritanie, et de façon moins prononcée en Algérie. Pour quelle raison les combattants du CSP-DPA choisissent-ils la lointaine Mauritanie plutôt que l’Algérie ? Alger ouvre ses portes aux civils uniquement et refuse l’entrée des hommes en armes sur son territoire. Le reste des troupes azawadiennes se cantonnent à Boughessa, In Afarak et surtout à Tinzawaten, dernière bourgade avant l’Algérie, dont la séparation géographique de sa sœur jumelle algérienne Tinzawatine consiste en un lit d’oued asséché.

Le tournant de Tinzawatène

Ce positionnement du CSP-DPA a été interprété par Bamako comme une opportunité unique de frapper un grand coup : prendre définitivement la bande frontalière avec l’Algérie, avec l’espoir, en sus, de tendre une embuscade aux renforts venant de Mauritanie. Une grande opération sera déclenchée dans ce sens en juillet 2024 ; elle signera le début de la fin de Wagner au Mali.

Le 25 juillet 2024, un convoi russo-malien de 24 véhicules et environ 80 à 150 hommes a atteint la localité de Tinzawatène, près de la frontière algérienne. Les forces du CSP-DPA, dirigées par Alghabass Ag Intalla, ont opposé une résistance farouche, déclenchant des combats intenses. Le 26 juillet, une tempête de sable a perturbé les opérations, permettant aux rebelles de se regrouper et de lancer une contre-attaque efficace.

Le 27 juillet, alors que les forces russo-maliennes tentaient de se replier, elles ont été prises en embuscade par des combattants terroristes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM ou JNIM), dirigés par Sedane Ag Hita et Abdorrahmane Zaza. Cette attaque coordonnée a infligé de lourdes pertes à la coalition russo-malienne.

Le CSP-DPA a revendiqué la mort de 84 mercenaires de Wagner et de 47 soldats maliens, ainsi que la capture de plusieurs prisonniers. Ils ont également saisi ou détruit de nombreux véhicules et équipements militaires, dont un hélicoptère Mi-24. Le CSP-DPA a reconnu la perte de 9 à 12 combattants et plusieurs blessés.

Cette défaite a été la plus lourde pour le groupe Wagner en Afrique depuis son déploiement sur le continent. Elle a mis en lumière les vulnérabilités de la coalition russo-malienne face à des forces rebelles bien organisées et connaissant parfaitement le terrain.

La bataille a exacerbé les tensions entre le Mali et l’Algérie, cette dernière s’opposant à la présence de forces étrangères à proximité de sa frontière. À Alger, on ricane : la bataille d’Achibrich (nom utilisé par les services algériens) est une victoire sans efforts de l’Algérie. Elle sera consolidée plus tard pour en faire le début du processus de liquidation de Wagner au Mali.

Pressions diplomatiques et riposte discrète

En octobre 2024, les FAMA-Wagner tentent un second assaut, mieux préparé, avec plus de moyens et d’hommes, mais l’Algérie veille au grain. L’ordre est donné d’empêcher coûte que coûte le massacre à venir. Moscou est informée de la détermination d’Alger. La colonne d’une soixantaine de véhicules est épiée, traquée dans le ciel, sur terre, et même depuis l’espace par les services et l’armée algérienne. Sur le terrain, les combattants du CSP-DPA sont prêts à en finir avec les Russes. À quelques kilomètres de Tinzawaten, la colonne rebrousse chemin : il n’y aura pas de bataille. Cette fois, la SMP russe perd sans tirer un coup de feu.

Ces deux événements seront un marqueur important dans la relation entre l’Algérie et la Russie. Alger signe la fin de la récréation et transmet un message fort à Moscou en accueillant le patron de l’Africom et en signant un protocole d’accord militaire avec l’armée américaine.

Les choses s’accélèrent : les Russes comprennent que soixante ans d’amitié sont en jeu. Ils désignent Mikhaïl Bogdanov, vice-ministre des Affaires étrangères, comme interlocuteur avec le ministre Ahmed Attaf. Ensemble, ils travaillent à désescalader la situation. En janvier 2025, les Russes décident de remplacer Wagner par l’Afrika Korpus, composé de combattants ayant signé un contrat avec le ministère de la Défense, et qui sont plus contrôlables par Moscou. Un premier contingent arrive mi-janvier, mais il fait face au refus des autorités maliennes de cesser sa relation avec Wagner, devenu le véritable moteur de son armée. Afrika Korpus est cantonné à la mission de former la première brigade blindée malienne et à protéger la capitale et le quartier général des FAMA, véritable épicentre du pouvoir malien à Kati, au nord de Bamako.

L’Algérie face à l’effondrement du Nord-Mali

Les FAMA et Wagner continuent leurs atrocités dans le nord du Mali. Animés d’un esprit de vengeance, les Maliens multiplient les bombardements à la frontière avec l’Algérie, ce qui finira par la destruction, fin mars, d’un drone lourd malien Akinçi.

L’« affaire du drone » montre la détermination de l’Algérie d’en finir avec cette situation, y compris par des moyens non diplomatiques et plus directs. D’ailleurs, Alger se retrouve face à une situation compliquée au Mali, où la tentative d’union entre groupes séparatistes et groupes djihadistes commence à se matérialiser, comme ce fut le cas le 30 mars, via la célébration commune de la fête de l’Aïd par les représentants du FLA, le chef de JNIM Iyadh Ag Ghaly, et le tout-puissant Amadou Koufa, chef de la Katiba Macina. Pis encore, on attribue aussi à Bamako des initiatives secrètes de rapprochement avec le JNIM et la possibilité, donc, de finir avec la transformation du Nord-Mali en un Émirat islamique dirigé de manière autonome par des djihadistes.

L’Algérie se retrouve donc avec deux choix : revêtir l’habit turc et agir sur les groupes djihadistes du Nord-Mali, comme l’a fait Ankara en Syrie, en diluant leur caractère djihadiste et en les contrôlant via ses services ; ou faire un travail de sape en cassant la possibilité d’alliance djihadistes et rebelles azawadiens, en éliminant au même moment la menace de Bamako, en mettant la pression sur la Russie pour retirer Wagner. D’autant qu’avec l’irruption de l’Ukraine, du Maroc, des Émirats arabes unis dans le jeu, la situation pouvait devenir incontrôlable.

Alger choisira la seconde option, y compris en installant un spécialiste de la question à la Direction générale de la sécurité intérieure, le général Hassan, connu pour ne pas transiger avec les djihadistes et pour sa connaissance du terrain sahélien.

Le travail de coordination diplomatique entre l’Algérie et la Russie, et un durcissement de l’attitude de l’Algérie sur le terrain, ont fini par venir à bout de Wagner aujourd’hui, 6 juin. La PMC indique qu’elle a accompli sa mission sur sa chaîne Telegram. Elle devra dire adieu à son juteux contrat avec la junte de Bamako et au juteux business d’extraction d’or dans la mine d’Intahaka.