Chef de guerre redouté, le général Mohamed Hamdan Dagolo, dit « Hemedti », est un personnage central du conflit qui ravage le Soudan depuis 2023. Parti de rien, ce militaire sans foi ni loi a réussi à s’imposer politiquement et à devenir un des hommes les plus riches du pays. Une ascension qu’il doit avant tout à sa brutalité et à son alliance avec les puissances régionales.
Leslie Varenne
Né en 1974 dans une famille de la tribu arabe Mahariya des Rizeigat, originaire du Darfour et du Tchad, Mohamed Hamdan Dagolo est le fils d’une famille de bergers nomades. Il a grandi dans un contexte de conflits communautaires où son clan a connu l’exclusion. Cette enfance lui a permis de se construire une image de défenseur des pauvres et des laissés-pour-compte face aux élites de Khartoum. En réalité, tout son parcours s’inscrira dans la violence ethnique.
En 2003, lors de la première guerre du Darfour, il rejoint les Janjawid, un groupe pro-gouvernemental chargé d’attaquer les populations non-arabes de la région. Cette milice se rend tristement célèbre par ses massacres, viols déplacements forcés. Hemedti s’y distingue par sa brutalité, une efficacité sans pitié, gravissant les rangs jusqu’à devenir commandant, puis chef. Devant ses « excellents » résultats, il est dans la foulée promu général d’armée. En 2013, pour tenter de blanchir l’image des Janjawid, le régime d’Omar el-Béchir les rebaptise Forces de soutien rapide (FSR). À la tête de ces troupes, Hemedti contrôle non seulement les territoires du Darfour, mais aussi ses richesses : mines d’or, gomme arabique, bétail.
L’ascension par la terreur
Lorsqu’en 2015 la coalition menée par l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis déclare la guerre aux Houthis du Yémen, il engage des milliers de combattants soudanais, principalement issus des FSR, pour combattre aux côtés des monarchies du Golfe. Cette intervention lui apporte un soutien politique et financier massif, tout en consolidant ses alliances avec Riyad et Abu Dhabi, l’or noir des pétromonarchies coule abondamment dans ses caisses.
Ce rôle de patron d’une entreprise de mercenaires lui donne en outre une stature internationale. Il parade dans les capitales africaines et arabes, négocie les questions migratoires et le contrôle des frontières avec les diplomates occidentaux. Ainsi, il se construit une légitimité de chef d’Etat en puissance. Malgré les milliers de combattants et les moyens colossaux mis à la disposition des FSR par la coalition, les Houthis finiront par gagner la guerre après avoir subi des pertes, des destructions et enduré la famine pendant huit ans. Mais le mal est fait, Hemedti est aux portes du pouvoir à Khartoum.
Frankenstein à Khartoum
Après un grand mouvement populaire qui a déstabilisé le régime soudanais, l’armée renverse Omar el-Béchir en avril 2019. Le général al-Burhan à la tête de l’armée régulière prend la direction du Conseil de transition, Hemedti patron d’une armée privée en devient le numéro 2. Le ver est dans le fruit. En juin 2019, la population manifeste pacifiquement afin que le pouvoir soit rendu aux civils. Les FSR passent à l’action, ils font ce qu’ils ont toujours fait. Ils sèment la terreur et la désolation en dispersant le sit-in à coups de gaz lacrymogène et de balles réelles.
Les rapports d’ONG qui suivront feront état également de viols, de corps jetés dans le fleuve, a minima 130 personnes sont décédées ce jour-là. Quelques jours plutôt devant les exigences des militants pro-démocratie, le patron des mercenaires, qui s’exprime très rarement, avait lancé cette phrase prémonitoire : « Ma patience avec la politique a des limites. »
Après ce massacre, la politiste Sarra Majdoub écrit un article publié dans Orient XXI intitulé « Frankenstein à Khartoum ». En conclusion, l’analyste imaginait la suite : « Dans tous les cas ,Hemetti est une menace, même si les militaires se maintiennent au pouvoir. Il pourrait se transformer en Frankenstein qui non seulement anéantirait les espoirs d’un Soudan nouveau, mais se retournerait contre ceux qui l’ont créé et accaparerait le pouvoir. »
L’appui décisif des Émiratis
Et c’est précisément ce qu’il advint. Le 15 avril 2023, les deux généraux au pouvoir se déclarent la guerre. Si l’armée régulière dirigée par al-Burhan n’est pas exempte de reproches, les combattants d’Hemedti se lancent dans une entreprise de destruction à grande échelle. Khartoum est ravagée par les flammes et les destructions volontaires, les populations qui le peuvent fuient principalement en Egypte, les autres subissent les exactions de la milice. Puis la guerre s’étend à l’ensemble du pays avec toujours le même scénario tragique : massacres, viols, déplacements de populations. Bien entendu, l’ancien berger devenu milliardaire ne pourrait combattre les forces régulières soudanaises sans de puissants appuis.
Si l’Arabie saoudite s’est rangée du côté du gouvernement soudanais, les Emirats arabes unis apportent aux FSR un soutien diplomatique, financier, militaire, logistique, de grande ampleur. Mais une nouvelle fois, malgré tous les moyens mis à sa disposition, Hemedti a perdu de nombreuses positions, notamment toute la région de Khartoum. Depuis plusieurs mois, il prépare un repli stratégique sur le Darfour qu’il contrôle encore en grande partie, excepté la capitale régionale El-Fasher. Il mise désormais tout sur son bastion ouest devenu le nouvel épicentre du conflit soudanais avec les attaques massives contre les civils et les camps de déplacés, notamment celui de Zamzam. Cette stratégie n’est pas sans rappeler les logiques de partition qui ont déjà déchiré le pays par le passé, comme lors de la sécession du Soudan du Sud. Le patron des FSR agit-il ainsi pour garantir sa survie politique et militaire ou est-il encore le mercenaire des Emirats arabes unis ? Quelle que soit la réponse, son nom restera associé à l’histoire tragique du Soudan.
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