Nils Andersson décrypte le malheur du monde capitaliste

Dans son ouvrage, « Les Guerres annoncées : le capitalisme, c’est la guerre », Nils Andersson évoque les deux guerres mondiales et les conflits en Ukraine ou en Palestine, mais bien au delà, l’auteur met en évidence la nécessité d’un nouvel ordre du monde

Une chronique signée Arezki Ighemat, titulaire d’un Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)

Le livre de Nils Andersson est un manifeste pour un nouvel ordre international plus pacifique, plus social et plus juste. Le but de cette « book review » est de couvrir un champ plus vaste que celui des guerres.

C’est ainsi que l’auteur décrypte avec un esprit encyclopédique et une rigueur toute universitaire la catastrophe écologique, la pandémie du Covid-19, la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, la régression, voire la disparition du multilatéralisme, l’Ordre Mondial capitaliste dominé et contrôlé par les grandes puissances occidentales, à leur tête, les Etats-Unis, ses contradictions, le rôle des organisations internationales comme l’ONU, l’OTAN et autres, les inégalités grandissantes entre le « Global North » et le « Global South », le fossé qui se creuse entre les peuples et leurs gouvernants, la propension inquiétante à la militarisation des Etats, avec les risques que cela engendre, les changements du sens des concepts de « civilisation », « démocratie » et « droit international ». n’en jetez plus!

Mais l’essai ne s’arrète pas là. Il s’agira aussi dans c de l’émergence de blocs économiques et politiques au sein du Global South comme de la menace d’une catastrophe nucléaire, des tentatives de dédollarisation de l’économie mondiale, du rôle actuel et futur de l’ONU dans la réalisation de ses missions de paix, ou encore de la politique du « Double Standard » (deux-poids, deux mesures) appliquée par les puissances occidentales.

“Faire la guerre à la guerre est le rôle de chaque peuple dans ses conditions propres. C’est pour nous, c’est pour combattre l’idéologie atlantiste dont la finalité est la guerre, et se libérer de l’hégémonie culturelle occidentale, qui a pour horizon un monde qui n’est plus » (Nils Andersson, Les Guerres annoncées, p.206).

 Pour encourager le lecteur à le découvrir de lui-même, nous nous contenterons de reprendre quelques-uns des problèmes que nous considérons comme stratégiques : la guerre vs la paix, le risque d’une catastrophe écologique, le déséquilibre entre le « Global North » et le « Global South », la question du Nouvel Ordre Mondial, et la question palestinienne.

Guerre et paix

Nils Andersson parle d’abord des motivations multiples et diverses qui peuvent conduire à la guerre : « Le cumul des politiques interventionnistes, du maintien de rapports économiques inégaux, du refus d’un partage plus équitable de la gestion des affaires du monde, de la persistance de l’arrogance dans la conduite des relations internationales, de l’exacerbation des tensions et rapports antagonistes, fait que les probabilités de guerre deviennent une réalité » (p.60). L’auteur parle aussi de la tendance à la militarisation des Etats aussi bien dans le « Global North » que dans le « Global South » : « Jamais les dépenses militaires n’ont été aussi élevés dans le monde et une militarisation des sociétés est en cours sur presque la totalité du globe. Des Etats, antérieurement dits du Tiers-Monde, bouleversent les rapports de force, sont devenus des puissances militaires, mais les principales forces militaires dans le monde demeurent l’OTAN, dont les 31 pays membres représentent 53% des dépenses militaires mondiales » (p.114).

Au vu de ces tendances, l’auteur avertit sur les conséquences d’une conflagration mondiale : « Le constat est là, si le conflit majeur advenait, il serait mondial, mais au contraire des deux guerres mondiales du XXè siècle, la contradiction principale n’est pas en Europe, mais en Asie où vit 53% de la population mondiale » (p.110). Nils Andersson parle du nouveau détonateur de cette conflagration : « Si la guerre majeure advenait, elle n’aurait pas pour origine, comme dans les deux premières, des contradictions entre impérialismes européens, son caractère mondial ne serait pas une extension géographique des contradictions entre puissances européennes, mais…de contradictions impérialistes entre un « Global North » qui n’est plus en mesure d’imposer sa loi sur le monde et un « Global South » qui représente 76,5 % de la population mondiale, 35% de la production mondiale dont 54% de la production industrielle et est la première zone commerciale qui exige des rapports plus équitables » (p. 174).

 Le péril écologique

Nils Andersson considère que les guerres sont un des évènements qui menacent la stabilité et la paix dans le monde. Il considère aussi qu’une autre menace–aussi importante–est constituée par l’état de la planète sur le plan environnemental aujourd’hui et surtout les risques d’une catastrophe écologique dans un avenir proche et qui pourrait, du reste, être provoquée ou exacerbée par les guerres. A ce propos, l’auteur écrit : « La plus gave des crises à laquelle le monde est confronté est la crise écologique qui menace l’humanité, mais une guerre mondiale constitue également une menace concrète aux conséquences imprévisibles » (p.202). Nils Andersson souligne bien que les responsables de cette crise–qui est latente mais qui risque de devenir réelle dans un avenir pas très lointain–sont les hommes : « Les deux menaces sont le fait des hommes, les deux menaces relèvent donc de la capacité et de la volonté des hommes à s’y opposer » (p.202). Il insiste aussi sur la nécessité d’agir avant qu’il ne soit trop tard : « Inverser l’inexorabilité de la guerre, comme celle de la crise climatique, sont des questions concrètes posées et à résoudre, l’utopie à inscrire dans le réel. Il termine en disant qu’il faut tirer les leçons de la situation actuelle pour éviter une catastrophe qui pointe à l’horizon, un horizon qui peut être plus proche que l’on peut imaginer : « C’est dans les situations les plus graves et menaçantes (nous y sommes) que peuvent surgir les forces et les évènements permettant de rendre possible l’impossible » (p.202).

La montée des pays du Sud

Le Nord qui ne finit pas de se développer et de s’enrichir aux dépens d’un Sud qui ne finit pas de s’appauvrir. Si la responsabilité est partagée dans une certaine mesure entre le Sud qui n’arrive pas à s’unir pour renforcer son « bargaining power » (sa capacité de négociation), Nils pense que la responsabilité majeure est celle du Nord qui ne tient pas à avoir, en face de lui, un Sud fort et résilient. C’est ce déséquilibre que l’auteur souligne dans son livre et considère comme la source primordiale des guerres : « Mais s’il y a des clivages civilisationnels entre le Nord et le Sud, la contradiction à résoudre est celle entre un Nord jusqu’ici hégémonique et un Sud dominé et exploité, qui doit être résolue au risque d’un monde en ruine » (p.27).

L’auteur considère que ce déséquilibre est inhérent au système capitaliste lui-même : « Le capitalisme du réel est constitué par de profondes inégalités politiques, économiques, sociales, technologiques et scientifiques entre les Etats et les peuples ». Il explique les raisons qui motivent les puissances du Nord à travers le système capitaliste qu’ils font tout pour défendre : « La volonté des puissances atlantistes (Etats-Unis/Europe) d’être le centre décisionnel, de refuser toute co-gouvernance avec les puissances hors Nord occidental, a trois raisons : une raison proclamée (le communisme et le totalitarisme) ; une raison réelle (les intérêts économiques, commerciaux et financiers à défendre) et une raison inavouable (le racisme, la non-appartenance et la civilisation blanche) » (pp.33-34).

Le devenir du monde

A propos du Nouvel Ordre International, Nils Andersson écrit (p.16) : « Le nouvel ordre mondial ne fut pas, au sortir de la guerre froide, l’ère de paix annoncée par George Bush père, ni la fin de l’histoire proclamée par Francis Fukuyama, mais un temps de guerres menées par les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux, pour affirmer leur hégémonie, imposer la mondialisation néolibérale et le modèle de la société occidentale, sous couvert des mandats de l’ONU et avec l’OTAN comme fer de lance ». Selon l’auteur, le monde actuel est dominé et contrôlé d’une main de fer par les puissances occidentales, avec à leur tête les Etats-Unis.

Le devenir du monde? « Le monde qui se profile peut-il être sage, égalitaire, et démocratique, débarrassé des rêves de puissance, des mentalités de domination, des comportements d’arrogance, un monde où un Etat ou des Etats ne décideraient pas des droits et de la souveraineté d’autres peuples ? ». Nils Andersson répond à cette question en disant : « La réponse est non » (pp.23-24). L’auteur considère aussi que le multilatéralisme—qui était le système commercial inter-Etats qui était la règle dans les décennies après les guerres mondiales a été remplacé par le bilatéralisme qui favorise les nations occidentales du Nord et pénalisent celles du Sud. L’auteur appelle, par conséquent, à établir un Nouvel Ordre International plus juste, plus social et plus respectueux de l’autre.

La Palestine au coeur

Une des questions-clés discutées par Nils Andersson dans son livre est le conflit israélo-palestinien et la question du devenir du peuple palestinien. Sur ce dernier sujet, l’auteur est catégorique : « Aucun droit international ne légitime le droit d’un peuple à avoir une terre par l’exclusion d’un autre peuple, et le peuple palestinien n’a pas à assumer, par la spoliation, la Shoa dans laquelle il n’a aucune responsabilité » Et d’ajouter: : « C’est sur une tragédie humaine qu’est fondé le 14 mai 1948 l’Etat d’Israel » (p.146). L’auteur rappelle que le Sionisme est l’idéologie politique qui a justifié cette spoliation et que c’est la Déclaration de Balfour de 1917 qui a entériné cette création : « L’idéologie de « Ertz-Israel » (Grand Israel) est appliquée par des politiques d’extension de la colonisation, par l’annexion de Jérusalem-Est, par la guerre dans le Golan Syrien, dans le Sinaï et au Liban et par une extermination des Palestiniens en 1982 lors du siège de Beyrouth » (p.147).

« Le massacre actuel du peuple palestinien [est]ancré dans une idéologieethno-nationaliste […] Dans tout le pays, l’apartheid règne ; il s’agit d’un cas typique de génocide » (Nils Andersson, op. cit., pp. 149-150).

Sur la légitimité de l’OLP, Nils Andersson écrira « Sur les 365 km de Gaza, il n’y a pas un mouvement terroriste combattu par un Etat « démocratique », mais un mouvement de libération qui s’oppose à une colonisation » (p.151). S’’appuyant sur le Droit International et la décision de la Cour Internationale de Justice, l’auteur qualifie ce qui se passe depuis le 7 octobre 2023 à Gaza de génocide. Il cite, pour appuyer sa thèse, la déclaration du 9 octobre 2023 de Yoav Gallant, ministre israélien de la défense : « Nous imposons un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. Tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agirons en conséquence » (p.191). A la suite de cela, Nils pose la question : « Ne définissent-elles pas un génocide ? » (p.191).