Le Liban pris en otage par ses seigneurs de guerre

Montagne du Mont Liban au-dessus de la Vallée de la Qadisha, Hadshit, Liban-Nord, Liban

La guerre civile sans fin du Liban n’est pas une relique du passé — c’est un spectacle vivant et gangrené, incarnant « le narcissisme des petites différences » au sein d’un peuple profondément fracturé et tragiquement superstitieux. Loin d’être un conflit révolu, cette guerre ne fut jamais vraiment résolue ; elle fut simplement figée, sa pourriture préservée sous le vernis fragile de cessez-le-feu politiques et de compromis confessionnels. Le mal sous-jacent — le sectarisme, la cupidité et l’impunité — a continué à prospérer, ignoré et non réformé.

L’Accord de Taëf, loin d’être un échec, demeure la tentative la plus sérieuse et la plus intelligente de restructurer la gouvernance du Liban vers le pluralisme, la décentralisation, l’État de droit, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et un partage équitable du pouvoir. Pourtant, le potentiel de Taëf a été trahi dès le départ : la réconciliation a été tentée sans vérité, la justice sacrifiée sur l’autel de l’opportunisme, et les seigneurs de guerre, jamais jugés pour leurs crimes, ont pu se réinventer en politiciens, échappant à toute reddition de comptes. Les parrains régionaux, un temps contenus par la pression internationale, sont vite revenus à leurs habitudes de soutien aux milices par procuration, garantissant ainsi que les forces du pillage et de la division survivent aux accords censés les neutraliser.

Cet enchevêtrement de milices et de groupes confessionnels, chacun abrité par des institutions religieuses — églises, mosquées et conseils religieux — a créé un équilibre pervers d’une corruption mutuellement assurée. Les barrages armés de Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest pendant la guerre civile en furent l’illustration criante : des milices rivales échangeaient des informations détaillées sur les cargaisons commerciales avec la désinvolture de fonctionnaires collectant des impôts. Cette coopération grotesque devint une anecdote politique absurde, révélant la superficialité des divisions confessionnelles. Trois décennies plus tard, peu de choses ont changé dans ce système de « je gratte ton dos, tu grattes le mien ».

Cet équilibre monstrueux de la corruption s’est poursuivi avec le partage des ministères, du secteur public et des impôts des citoyens durant les quatre décennies de la « pause » imposée par Taëf. Il ne s’est même pas interrompu avec le scandale plus récent du pillage des dépôts bancaires par les banques, chacune représentant une milice et une faction religieuse. Aujourd’hui, les vautours tournent autour du dernier trésor national du Liban : ses réserves d’or, qu’ils se préparent à dérober comme des braqueurs orchestrant leur ultime coup.

L’assurance des milices, une fois que tout le reste échouera, lorsque le dernier sou aura été volé, la dernière goutte aspirée et le dernier fragment de patrimoine public confisqué, est de partitionner le pays. Elles préparent déjà ce moment où, n’ayant plus rien à piller, elles découperont le Liban en cantons, chacun dirigé par un duo de seigneurs de guerre et de leurs milices, parachevant ainsi la cannibalisation d’un pays jadis unifié.

La politique libanaise, dominée par les élites, illustre un cycle perpétuel d’envie, de suprématie éphémère et de chute inévitable. De la longue ère de monopole maronite des décennies post-indépendance — perturbée par des interférences régionales, des flirts passagers avec le panarabisme et le nassérisme, jusqu’à l’intervention catastrophique de l’OLP — à l’époque sunnite de Rafic Hariri, dont les promesses fallacieuses de prospérité masquaient une corruption endémique orchestrée avec la Syrie et d’autres protecteurs, chaque « âge d’or » n’a fait que redistribuer les privilèges entre un cercle restreint. Les acteurs sont les mêmes, sous d’autres noms ou déguisements, prospérant toujours sous l’ombrelle inébranlable d’un « système féodal » arriéré et superstitieux.

L’actuelle ascendance chiite, menée par le Hezbollah et son partenaire subalterne Amal, incarne un chapitre particulièrement dévastateur, marqué par la violence, l’impunité et un chauvinisme chiite ostentatoire. Dédaignant les tribunaux internationaux et la justice, ils poursuivent des intérêts communautaires étroits. Pourtant, la gangrène transcende les clivages confessionnels. Des Arméniens aux Kurdes, des Alaouites aux Druzes, chaque groupe participe avec zèle au pillage d’un Liban désormais vidé de sa vitalité, devenu un État zombie.

Le drame libanais n’est pas une simple stagnation : c’est une dévastation cyclique. Tous les dix ou vingt ans, le pays est ravagé — par des invasions, des conflits internes ou des désastres imposés de l’extérieur — anéantissant les maigres acquis durement obtenus. Comme si ces chapitres sanglants ne suffisaient pas, le Liban affronte désormais des cycles d’extrémisme de type Daech. Ces guerres interminables et absurdes n’ont d’autre but stratégique que de paupériser et déstabiliser le pays, laissant à chaque fois des cicatrices plus profondes. Le Liban n’est pas défini par sa résilience, mais par une ruine perpétuelle cyniquement présentée comme telle.

Même les rares tentatives de ses citoyens conscients pour avancer vers un État civique ont été écrasées. Lorsque le Centre civique pour l’initiative nationale, un groupe d’activistes laïques, a obtenu par la justice le droit de légaliser le mariage civil et de supprimer la mention confessionnelle des registres d’état civil, aucun Premier ministre ni ministre de l’Intérieur ne s’est conformé au jugement. Malgré leurs différences politiques, les chefs communautaires se sont unis ; les autorités religieuses chrétiennes et musulmanes les ont poussés à la désobéissance collective. Aujourd’hui encore, la loi est ouvertement violée, révélant la soumission totale de l’État supposé à la volonté des milices et des hiérarchies religieuses.

Pendant ce temps, la population libanaise, désillusionnée, marginalisée et largement superstitieuse dans un sens sectaire et sectarien, demeure otage des récits confessionnels entretenus par les élites cléricales et les magnats de la finance, dont les rôles sont désormais indistincts. La participation électorale, malgré les fraudes massives, reste désespérément basse, révélant le désenchantement d’une majorité silencieuse, trop fracturée et apeurée pour s’unir de manière significative. Le système éducatif, volontairement saboté dans l’enseignement de la citoyenneté et de la tolérance — même dans les écoles les plus élitistes ou celles en ruine — produit des individus techniquement compétents mais dépourvus de conscience civique. Des générations entières sont élevées pour réussir matériellement, parfois même pour s’enrichir, mais trop sectaires, inciviques et atomisées pour réformer leur patrie.

Les conversations de dîner illustrent cette pauvreté intellectuelle, où le sectarisme s’exprime par des questions absurdes : « Quel pourcentage des chiites soutient le Hezbollah ? » ou « Pourquoi les chiites n’abandonnent-ils pas le Hezbollah pour rejoindre l’État ? ». Ces interrogations, qui passent sous silence l’absence d’un véritable État au service de tous, traduisent l’incapacité d’une société à saisir sa propre réalité. Les réponses sur la complicité mutuelle des communautés tombent dans l’oreille de publics conditionnés à penser en binaires confessionnels — comme si seule la communauté chiite était prise en otage par ses seigneurs de guerre et milices brutales, armées ou non.

Les doléances sunnites résonnent souvent par cette formule : « Qui nous protégera sans notre propre milice ? » — un aveu qui capture l’ignorance enracinée, la paranoïa et la dépendance que les chefs communautaires cultivent délibérément. Armés ou non, ces chefs n’ont pas besoin d’armes pour enfreindre la loi, violer la constitution ou piller le pays ; ils prospèrent confortablement aux côtés de leurs homologues militarisés.

La vérité amère est que le Liban reste enlisé dans un conflit civil qui, en réalité, n’a jamais cessé. Il a simplement muté d’une guerre ouverte à une guerre sournoise et persistante, entretenue par des seigneurs de guerre qui ont détourné l’État, la constitution et toutes les institutions publiques. Tant que le Liban ne regardera pas en face cette réalité — en tenant ces seigneurs de guerre et leurs héritiers responsables, en rejetant l’exceptionnalisme confessionnel et en exigeant une véritable éducation civique et une gouvernance intègre — cette guerre sans fin, alimentée par des futilités narcissiques travesties en menaces existentielles, continuera d’épuiser l’âme même du Liban. En attendant, nous sommes toujours en guerre.

La reprise — ou le retour — aux principes fondamentaux du Pacte national consacré par l’Accord de Taëf ne pourra se faire sans une nouvelle loi d’amnistie fondée sur la vérité avant la réconciliation. Seul un tel processus, qui exposera les crimes et mettra fin aux cycles d’impunité, pourra garantir l’éviction définitive des seigneurs de guerre et de leurs héritiers, et purifier enfin le système de leur venin.