En quelques années, le jeune prince héritier a concentré l’ensemble des leviers de pouvoir, neutralisé ses rivaux internes et verrouillé tout espace de débat au service d’une modernisation aux forceps, sans relais dans la population

Le royaume saoudien incarne à lui seul les paradoxes du monde sunnite contemporain. Sous l’impulsion de Mohammed ben Salmane (MBS), l’Arabie saoudite a opéré une transformation rapide et spectaculaire, à la croisée du capitalisme autoritaire, du culte de la personnalité et d’un techno-futurisme débridé. repose sur un postulat simple : un peuple obéissant, une élite réduite au silence, un État ultra-centralisé, et une vitrine internationale fondée sur l’événementiel grandiose et l’innovation hors-sol.
Le projet Neom, mégapole futuriste censée incarner la « nouvelle Arabie », incarne cette dérive. Conçue comme une ville intelligente, écologique et robotisée, elle est aussi un territoire arraché aux tribus, un désert transformé en laboratoire déshumanisé. Son ambition — créer ex nihilo un espace de vie de 500 milliards de dollars — en dit long sur la déconnexion entre la gouvernance saoudienne et les réalités sociales du royaume, où le chômage des jeunes, les inégalités de genre et la dépendance aux hydrocarbures restent endémiques.
L’équilibrisme diplomatique

Sur le plan diplomatique, MBS adopte une posture d’équilibriste. Proche des États-Unis mais en froid avec l’administration Biden, il multiplie les gestes vers la Chine et la Russie. La réconciliation surprise avec l’Iran — scellée à Pékin — a stupéfié les observateurs : comment un prince ayant comparé l’Iran à Hitler peut-il désormais dialoguer avec ses dirigeants en invoquant la stabilité régionale ? La réponse tient dans une logique purement stratégique : sécuriser ses frontières, protéger ses infrastructures énergétiques des attaques houthies, et surtout garantir la stabilité de son propre pouvoir dans un Golfe en recomposition.
Les dépenses militaires saoudiennes, colossales, traduisent cette obsession sécuritaire. En moins de deux ans, Riyad a commandé plus de 350 avions, dont une majorité d’Airbus, tout en investissant dans des programmes de drones, de cybersécurité et de satellites. Ce réarmement massif est salué par les capitales occidentales, qui y voient une manne financière, quitte à sacrifier la question des droits humains sur l’autel de la Realpolitik.
Un « néo-wahhabisme » d’apparat
Mais ce modèle d’État-mirage pose une question essentielle : que restera-t-il de cette modernisation si elle n’est pas accompagnée d’un processus de participation politique, d’institutionnalisation durable, d’appropriation populaire ? Le « néo-wahhabisme » d’apparat promu par MBS — tolérance culturelle mais zéro liberté politique — est un pari risqué. Le Prince peut séduire à court terme, jen évitant à l’avenir d’envoyer des commandos découper en morceaux dans un consulat séoudein à Istambul un intellectuel opposant, jouer des coups à dix bandes entre Palestiniens et Israéliens; mais il pourrait bien, à moyen terme, provoquer des crises de légitimité interne qui se sont manifestées voici quelques années lors de la longue absence du Prince héritier probablement victime d’une tentative violente de coup d’état..
D’autant plus que la société saoudienne, sous ses dehors soumis et craintifs, est traversée par des tensions silencieuses, venues notamment d’un Islam salafiste dogmatique et intolérant, que la brutalité du régime ne pourra éternellement contenir.