La capitale du Togo, coincée entre le Bénin et le Ghana, fait sa toilette, et se rêve un avenir de place forte financière régionale. Encore un effort…
Il est frappant de constater, en venant du Ghana par la route, que le contraste entre les postes frontières demeure – il s’est même accru. Côté Ghana, les bâtiments sont propres et les parkings aérés. La police et les douanes travaillent avec des outils informatiques modernes, presque comme dans les aéroports. Les voyageurs sont pris en photo, leurs empreintes digitales prélevées. Les uniformes sont comme amidonnés, les fonctionnaires ne perdent pas leur agaçante rigidité y compris quand on leur glisse discrètement quelques cedis [la monnaie locale, ndlr] pour les amadouer.
Côté Togo, l’anarchie prédomine. Les agents de service valident passeports et visas sous un hangar sommaire dans un mélange de bonne humeur et de tracasseries intéressées. Des liasses de billets – l’argent des bakchichs ! – se laissent deviner alors qu’un policier dont la discrétion n’est pas la qualité première se lève de sa chaise. Bien que situé quasiment au cœur de la capitale togolaise, le poste frontière d’Aflao ne paie pas de mine, et n’encourage pas le visiteur à considérer qu’il entre dans un pays désireux de mettre en avant son « dynamisme économique ».
Réformes (de façade ?)
Et pourtant, quelque chose est en train de se passer. Pour en prendre la mesure, il faut se remémorer le contexte de blocage politique et de quarantaine diplomatique dans lesquels le Togo a longtemps survécu, à la faveur d’une ouverture démocratique à laquelle rechignait le défunt président Gnassingbé Eyadéma. Pendant une bonne quinzaine d’années, le pays a été « blacklisté » par une Union européenne exaspérée par les fraudes électorales et les épisodes de répression à répétition. Ce qui a eu pour conséquence un tarissement significatif de l’aide et des financements internationaux. Mais en dix ans de pouvoir, Faure Gnassingbé a réussi à nouer des alliances internationales et à engager des réformes (de façade, selon un grand nombre d’observateurs) qui lui ont permis de briser l’isolement de son pays. Et la principale bénéficiaire du retour d’un certain nombre d’opportunités est la ville de Lomé.
Longtemps défraîchie et à l’abandon, Lomé a fait sa toilette ces dernières années. Le boulevard du Mono, sa vitrine de prestige en bord de mer est, par la force des choses, partie intégrante de la route transafricaine qui doit, à terme, longer tout le continent du Caire au Cap. Il a du coup bénéficié d’un financement de la Banque africaine de développement (BAD) qui, en sortant son carnet de chèques dès 2010, a permis sa réhabilitation.
D’autres chantiers sont en cours, qui pourraient faire évoluer l’image de Lomé, encore considérée comme une grosse bourgade quasi « provinciale » en comparaison à ses voisines, la moderne Accra (Ghana) et à l’hyperactive Cotonou (Bénin). Notamment le « grand contournement », route qui permettra de désengorger les principaux axes de la ville, qui seront de plus en plus pris d’assaut par les gros camions sortant du port autonome de Lomé. D’un point de vue économique, Lomé est d’abord et avant tout une ville portuaire. Tout naturellement, les grands chantiers d’infrastructures qui se déploient visent d’abord et avant tout à améliorer la compétitivité du port, et sa capacité à assurer la continuité de la chaîne logistique – les camions qui viennent ici récupérer des marchandises doivent pouvoir desservir rapidement les villes de l’intérieur et les pays voisins. C’est ainsi que l’axe reliant Lomé à Cinkassé, à la frontière avec le Burkina Faso, pays sahélien enclavé, est en cours de réhabilitation depuis octobre dernier. A terme, la boucle ferroviaire qui reliera Abidjan, Ouagadougou, Lomé, Niamey et Cotonou accroîtra certes la concurrence entre les différents ports de la côte ouest-africaine, mais démultipliera les opportunités pour chacun d’entre eux, dès lors qu’ils pourront être efficaces dans le cadre de stratégies dites « multimodales » mettant à contribution le rail, la route et le maritime.
Une ville où on s’ennuie
Alors que la légende des nanas benz togolaises, prestigieuses négociantes en pagnes venus de Hollande, s’épuise sous les coups de la contrefaçon asiatique et des cotonnades africaines meilleur marché, et que le gigantesque marché de Dantokpa au Bénin, temple du commerce informel de masse, renforce naturellement le port de Cotonou, par ailleurs situé à 200 kilomètres du Nigeria et de ses opportunités, Lomé peut-elle se contenter d’être une ville portuaire d’importance moyenne ?
Il y a quelques décennies, alors qu’il apparaissait encore comme un pays stable, sécurisé, hospitalier et surtout minuscule, le Togo fut surnommé, certes un peu complaisamment, « la petite Suisse de l’Afrique ». C’est sans doute fort de cette image que le pays a choisi d’attirer de grandes institutions financières régionales, notamment en leur proposant des accords de siège plus qu’avantageux. Lomé abrite aujourd’hui les sièges d’Ecobank, d’Orabank, de Coris Bank International, de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et de la Banque d’investissement de la CEDEAO (BIDC). Le fait que la capitale togolaise soit le hub de la compagnie régionale Asky, filiale d’Ethiopian Airlines, qui dessert quotidiennement un grand nombre de grandes villes d’Afrique centrale et de l’Ouest, est un atout certain.
C’est dans le cadre de cette stratégie d’ensemble que les autorités ont lancé la construction de Lomé II, un quartier d’affaires se voulant futuriste. « Certes, c’est un bon début. Mais il faut aller plus loin. Les capacités de Lomé en termes de logements de standing par exemple sont insuffisantes et cela peut décourager de nombreux groupes qui songeraient à y installer leur siège », note un cadre de haut niveau d’une institution financière internationale.
Pour s’imposer comme la « place forte » financière de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), Lomé doit aussi travailler à être attirante pour les cadres africains « mondialisés ». Plus « sexy » et plus « urbaine », donc. « Certes, il y a des choses qui se passent, les plages en pleine ville, c’est un vrai plus, mais on s’ennuie ici.
Rien de comparable à Abidjan, la ville qui ne dort jamais », confie un jeune entrepreneur. De fait, il y a peu de gros événements, de concerts et de festivals à Lomé. Et, en dehors d’un certain nombre de lieux de « résistance », notamment des night-clubs comme le Free Time, la Villa et le Privilège –, la principale ville togolaise s’endort un peu trop tôt pour la grande tribu des noctambules.