Est-ce un cliché de penser que la traite des Noirs a joué un rôle important dans l’essor du capitalisme ? C’est le point de vue défendu par l’historien américain David Eltis et que nos excellents congrères de la revue « Books » ont analysé avec brio et sans préjugés . Nous reproduisons leur texte avec leur autoristaion, ce dont nous les remercions.
S’appuyant sur l’exceptionnelle base de données Slave Voyages, qu’il a contribué à constituer, l’historien américain commence par s’attaquer à un mythe, celui d’après lequel la traite des Noirs opérée par les « Anglo-Américains » ait joué le rôle principal. Le gros de la traite s’est fait à partir du Brésil. Trois des plus gros centres du commerce des esclaves étaient au Brésil. Les bateaux portugais et brésiliens allaient chercher les Noirs par la voie la plus courte, qui était la partie de l’Afrique située dans l’hémisphère Sud.
Au total, les esclaves qui ont survécu à la traversée ont été dix-sept fois plus nombreux au Brésil qu’aux États-Unis et cinq fois plus nombreux qu’à la Jamaïque. Portugais et Brésiliens ne construisaient pas des navires spécialement conçus pour ce trafic ; n’importe quel bateau pouvait être aménagé en ce sens.
L’émergence du capitalisme
Jusque-là, la démonstration d’Eltis est impeccable, estime le Canadien Padraic X. Scanlan dans le Times Literary Supplement. Mais Eltis va plus loin. Il pense que la traite des Noirs a joué un rôle négligeable dans l’émergence du capitalisme. Pour lui, les interventions des Britanniques, des Français et d’autres puissances du nord de l’Europe n’ont constitué que des « incursions » dans le commerce transatlantique lusophone, qui était de nature précapitaliste. Il juge en outre que la traite des Noirs, que ce soit en Atlantique Nord ou en Atlantique Sud, n’a pas exercé d’effet significatif sur la croissance économique.
Pour étayer ce point de vue, l’auteur fait valoir que l’or, l’argent et les marchandises convoyés du Brésil vers le Portugal ont rapporté bien plus que le sucre des Caraïbes. Ce faisant, il s’oppose de manière souvent contestable au consensus établi par la plupart des historiens, estime Scanlan.