De la mer Rouge à l’Iran, l’opération américaine contre les Houthis

Les Houthis sont un groupe politico-militaire zaïdite, originaire du nord du Yémen, soutenu par l’Iran et ayant mené plusieurs attaques en mer Rouge depuis le 7 octobre 2023, entraînant une baisse de 73 % du trafic de conteneurs et une chute de 87 % des échanges de gaz naturel liquéfié (LNG).

Des dizaines de frappes, imputées aux États-Unis, ont été menées dans la nuit de jeudi à vendredi dans différentes régions du Yémen, notamment la capitale Sanaa, faisant plusieurs blessés, ont affirmé les rebelles houthis, soutenus par l’Iran.

Un panache de fumée s’élève dans le ciel après les frappes israéliennes près de l’aéroport international de Sanaa, au Yémen. (Photo d’archives)

Le 11 mars 2025, Jeffrey Goldberg, rédacteur en chef du média américain The Atlantic, a reçu une invitation via l’application de messagerie privée Signal de la part de Michael Waltz, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis. Dans un premier temps, le journaliste a suspecté une fraude, un individu se faisant passer pour Mike Waltz dans le but d’obtenir des informations.

Cependant, deux jours plus tard, il est ajouté à un groupe intitulé « Houthi PC small group », au sein duquel figurent JD Vance, vice-président des États-Unis, Marc Antonio Rubio, secrétaire d’État, ainsi que Tulsi Gabbard, directeur des renseignements nationaux. Il prend alors conscience qu’il a été intégré à un groupe de discussion où se prépare une offensive contre les Houthis au Yémen. 

Le 14 mars au soir, les soupçons de Jeffrey Goldberg se sont confirmés lorsqu’il apprend, alors qu’il se trouve dans sa voiture sur un parking, via le réseau social X, que la ville de Sanaa, capitale du Yémen et sous contrôle des Houthis, avait été bombardée par les États-Unis. Depuis, les forces américaines et les Houthis s’échangent des tirs de missiles, entraînant la mort de plusieurs dizaines de combattants houthis.

Les doutes de JD Vance 

Le vice président américain

Grâce à son accès aux plans de l’opération, Goldberg a pu suivre en temps réel la formation du « comité principal », une instance réunissant les plus hauts responsables de la sécurité nationale, parmi lesquels les secrétaires à la Défense, à l’État et au Trésor, ainsi que le directeur de la CIA. Ce comité avait pour but de superviser la planification et l’exécution de l’attaque.

Cependant, quelques heures avant son lancement, JD Vance a exprimé des réserves quant à l’opportunité de l’opération, la qualifiant d’« erreur ». Il faisait valoir que seulement 3 % du commerce américain transite par Suez, contre 40 % du commerce européen », et mettait en garde contre le risque d’incompréhension de l’opinion publique quant aux motivations de cette intervention. Dès lors, une question demeure : pourquoi une telle opération est-elle jugée nécessaire par les États-Unis ? Quels intérêts stratégiques justifient la prise de ce risque face aux représailles potentielles du groupe houthi, si ce n’est la reprise du trafic maritime en mer Rouge ?

Un avertissement pour l’Europe

Avec 50 chefs d’État et de gouvernement, quelque 150 ministres ainsi que d’innombrables représentants d’ONG, la Conférence de Munich sur la sécurité est l’une des rencontres les plus importantes pour le dialogue international

Une des principales leçons à tirer de ces échanges est la virulence des propos tenus à l’encontre de l’Europe, pourtant alliée historique des États-Unis. Le vice-président américain a ainsi confié à Pete Hegseth, secrétaire à la Défense, qu’il « déteste simplement payer la caution pour l’Europe », une remarque à laquelle Hegseth a répondu : « Je partage entièrement votre aversion pour le free-loading européen. C’est PATHÉTIQUE », insinuant que l’Europe profite excessivement de la protection militaire et économique américaine.

Ce discours hostile envers l’Europe n’est pas nouveau de la part du vice-président. Un mois plus tôt, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, JD Vance avait critiqué les politiques européennes, dénonçant ce qu’il perçoit comme une restriction croissante de la liberté d’expression sur le continent. Il s’inquiétait en particulier du « recul de l’Europe par rapport à certaines de ses valeurs fondamentales » et condamnait le cordon sanitaire imposé en Allemagne face à l’extrême droite.

Si ces déclarations avaient déjà provoqué un « choc » et une « humiliation » parmi les dirigeants européens – selon les propos du député ukrainien Oleksiy Goncharenko –, leur répétition dans ce groupe de messagerie leur donne une dimension stratégique : les États-Unis ne se préoccupent guère de la protection des Européens en mer Rouge ni de leurs intérêts commerciaux.

Cependant, cette opération militaire, qui sert leurs intérêts, ne saurait rester sans contrepartie de la part de l’Europe et de l’Égypte. En frappant les Houthis dans l’espoir de rétablir le commerce maritime via le canal de Suez, Washington attend donc un soutien explicite de ces deux partenaires.

« Nous devrons bientôt indiquer clairement à l’Égypte et à l’Europe ce que nous attendons en retour. Nous devons également déterminer comment faire respecter cette exigence. Si l’Europe ne rémunère pas, que se passera-t-il ? » Stephen Miller, conseiller à la sécurité nationale

L’Égypte sous pression

Environ 3 millions de Palestiniens vivent en Jordanie, 500’000 au Liban et 500’000 en Syrie. En Egypte où on en compte entre 50’000 à 70’000, il n’y a là pas de camps de réfugiés à proprement parler .

Que pourraient exiger les États-Unis en échange de la reprise du commerce maritime en mer Rouge ? Plusieurs hypothèses émergent. D’une part, l’Europe pourrait être contrainte d’apporter un soutien accru aux États-Unis et à Israël dans leurs opérations au Moyen-Orient, en particulier la guerre contre le Hamas à Gaza, dont les actions pourraient engendrer un génocide selon l’Organisation des Nations Unies. D’autre part, l’Égypte, sous pression, pourrait être amenée à accepter l’accueil d’une partie de la population palestinienne déplacée, conformément au projet du président Trump visant à transformer la bande de Gaza en une « Riviera ».

En effet, l’impact économique des attaques houthis sur le canal de Suez coûte à l’Égypte plus de 800 millions de dollars par mois. Une normalisation de la situation placerait ainsi Le Caire dans une position de dépendance encore plus accrue vis-à-vis de Washington, lui laissant peu de marge de manœuvre face aux exigences américaines.

Les tensions extrèmes entre Washigton et Téhéran

Les motifs réels de cette opération militaire restent incertains. JD Vance lui-même souligne : « Il existe un risque réel que le public ne comprenne pas cela ou pourquoi c’est nécessaire. » Pourquoi, en effet, cette intervention est-elle jugée indispensable ? Si les frappes américaines semblent viser à renverser les Houthis au Yémen – le président américain ayant déclaré vouloir « annihiler complètement » ce groupe et lui faire subir « le feu de l’enfer » –, elles pourraient en réalité s’inscrire dans une stratégie plus large visant à préparer une offensive contre l’Iran.

Malgré le rapport annuel d’évaluation de la menace, publié le 25 mars par les services de renseignement américains, qui conclut que l’Iran ne développe pas actuellement d’arme nucléaire malgré l’accumulation d’uranium enrichi à 60 %, les tensions entre Washington et Téhéran restent considérables. Le 8 mars, le guide suprême iranien, Ali Khamenei, a rejeté l’appel du président américain à reprendre les négociations sur le nucléaire, affirmant que « certains gouvernements tyranniques » ne cherchent pas à « résoudre les problèmes », mais à « imposer » des exigences inacceptables pour l’Iran.

La santé du Guide suprème en question

 Le décès possible d’Ali Khamenei pourrait déstabiliser la région

Si aucun accord nucléaire n’est trouvé dans les mois à venir, une frappe américaine sur l’Iran ne saurait être exclue. Bien que Khamenei ait prononcé en 2003 une fatwa interdisant le développement de la bombe atomique, son état de santé préoccupant – il approche les 86 ans et est atteint d’un cancer – pourrait fragiliser la situation actuelle. En cas de décès du guide suprême, son successeur pourrait relancer le programme nucléaire militaire iranien, ce qui inciterait les États-Unis à adopter une posture plus agressive. Washington pourrait alors soutenir Israël ou participer activement à une attaque préventive contre les infrastructures nucléaires iraniennes, une option déjà envisagée par le Premier ministre israélien en octobre dernier.

Les États-Unis semblent donc se préparer à une éventuelle confrontation avec l’Iran en réduisant progressivement les capacités militaires de ses alliés régionaux. L’objectif serait d’éliminer, un à un, les forces armées soutenues par Téhéran afin de s’assurer une liberté d’action totale en cas d’intervention directe contre la République islamique. Le Hezbollah, pilier de l’Axe de la Résistance, a déjà subi de lourdes pertes dans sa guerre contre Israël. De son côté, Washington exerce des pressions sur le gouvernement irakien pour démilitariser les PMF et les intégrer aux forces gouvernementales, ce qui affaiblirait considérablement leur autonomie et leur capacité de nuisance en cas de conflit. Les Houthis constituent aujourd’hui le dernier obstacle. Possédant l’arsenal militaire le plus important parmi les alliés régionaux de l’Iran – en grande partie grâce aux livraisons d’armes en provenance de Moscou –, ils représentent une menace non négligeable pour les intérêts américains et israéliens. En les neutralisant, Washington s’assurerait un corridor militaire dégagé et limiterait la capacité de riposte de l’Iran en cas d’escalade.

Faille sécuritaire ou manoeuvre délibérée

Toutefois, une interrogation subsiste : l’ajout de Jeffrey Goldberg au groupe de discussion Signal était-il une véritable erreur ou une stratégie pour délivrer un message à l’Europe et à l’Égypte ? Le 26 mars, Michael Waltz a assumé sa responsabilité, qualifiant l’ajout de Goldberg au groupe Signal d’« erreur ».

Toutefois, le soutien affiché de Donald Trump à Michael Waltz, malgré cette faille sécuritaire majeure, renforce l’hypothèse selon laquelle l’incident était une manœuvre délibérée. En effet, la création d’un groupe de discussion sur Signal pour traiter d’une opération militaire imminente constitue une violation grave des protocoles de sécurité. Par ailleurs, le fait qu’un journaliste ait eu accès à des documents et des plans confidentiels sans que des mesures strictes ne soient prises contre les responsables suggère une mise en scène plutôt qu’un accident.

En exposant cette conversation, Washington signifierait à ses alliés européens qu’ils ne peuvent plus compter sur la protection américaine et qu’ils devront assumer leurs responsabilités face aux défis sécuritaires régionaux. Cette révélation devrait donc alerter l’Europe, l’Égypte et l’Iran. Chaque jour, le vieux continent prend davantage conscience que les États-Unis ne sont plus un partenaire fiable et qu’en cas de crise majeure, il pourrait se retrouver seul face aux menaces qui pèsent sur lui.