Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, le quartier historique d’Al-Balad à Jeddah dévoile une architecture singulière née des échanges commerciaux et culturels. Ses façades ornées de moucharabiehs témoignent d’un héritage que l’Arabie saoudite s’attache aujourd’hui à préserver.
Perché sur les rives de la mer Rouge, le quartier historique d’Al-Balad à Jeddah représente l’un des plus précieux héritages architecturaux de l’Arabie saoudite. Fondé au VIIe siècle, ce quartier ancien s’est imposé au fil des siècles comme un témoignage vivant de l’histoire commerciale et culturelle du royaume. Ses maisons-tours aux élégantes façades sculptées incarnent un patrimoine unique, fruit de multiples influences, qui s’intègre dans la riche mosaïque architecturale du pays, aux côtés d’autres expressions régionales comme l’Al-Qatt Al-Asiri au sud ou le style najdi au centre.
Un creuset architectural façonné par les échanges
Principale porte d’entrée vers La Mecque, Jeddah a vu défiler pendant des siècles pèlerins et marchands venus du monde entier. Cette position stratégique entre l’Afrique de l’Est et l’Inde a transformé la ville en un carrefour commercial essentiel pour la péninsule arabique. Plaque tournante des échanges de marchandises précieuses – épices, or, textiles et perles – la cité portuaire est devenue un lieu de convergence où se sont rencontrées diverses cultures.
Le quartier d’Al-Balad, cœur historique de Jeddah, porte l’empreinte de cette histoire cosmopolite. Inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2014, il se distingue par son architecture singulière qui reflète la prospérité de l’ancienne cité marchande. L’élément le plus emblématique de ce paysage urbain reste sans conteste les maisons-tours, dont les façades singulières sont habillées d’oriels et entourées de treillis en bois finement sculptés.
Ces éléments architecturaux caractéristiques, appelés rūshān en arabe ou moucharabiehs en français, définissent l’identité visuelle d’Al-Balad. Bien plus que de simples ornements, ces structures en saillie remplissaient plusieurs fonctions essentielles : elles permettaient la circulation de l’air dans un climat chaud et humide, offraient de l’ombre, préservaient l’intimité des habitants tout en leur permettant d’observer l’extérieur, et affichaient le statut social et la prospérité de la famille.
Aujourd’hui, ces trésors architecturaux font l’objet d’un programme ambitieux de conservation et de restauration qui respecte scrupuleusement les techniques artisanales traditionnelles. Ce travail ne se limite pas à la préservation physique des bâtiments, mais engendre également un renouveau de la vie sociale et économique du quartier historique, en attirant de nouveaux entrepreneurs et artisans, tout en accueillant des événements culturels et artistiques.
Diversité régionale et identité culturelle
Pour mieux comprendre la place d’Al-Balad dans le paysage architectural saoudien, il faut l’inscrire dans la diversité des expressions régionales qui caractérisent ce vaste territoire. Chaque région du royaume a développé un style architectural distinct, influencé par son environnement naturel et son histoire.
Dans les montagnes de l’Asir, au sud du pays, les femmes perpétuent depuis des siècles l’art du Al-Qatt Al-Asiri, reconnu par l’UNESCO en 2017 comme patrimoine culturel immatériel. Cet art pictural mural traditionnel consiste à décorer les intérieurs des maisons avec des motifs géométriques colorés qui représentent symboliquement des éléments de la nature et de la spiritualité. Sur des murs enduits de gypse blanc, les artisanes appliquent des pigments minéraux et végétaux pour créer des fresques qui ornent principalement les espaces de réception.
Au centre du pays, dans la région du Najd, s’est développé dès le XVe siècle un style architectural distinct, né à Ad-Dir’iyah, la première capitale fondée par la dynastie saoudienne. L’architecture najdi se distingue par sa sobriété, mais intègre des éléments colorés, notamment les portes décorées de sculptures et motifs géométriques rehaussés de pigments naturels bleus, rouges et jaunes. Dans cette tradition, la porte d’entrée, appelée Al-bab, jouait un rôle social important en reflétant le statut des habitants, à travers sa décoration plus ou moins élaborée.
Cette diversité architecturale, dont Al-Balad constitue l’une des expressions les plus remarquables, témoigne de la richesse culturelle de l’Arabie saoudite et de la variété de ses traditions régionales.
Un symbole de la vision saoudienne
La préservation d’Al-Balad s’inscrit aujourd’hui dans une démarche plus large initiée par les autorités saoudiennes pour valoriser leur patrimoine architectural. La charte du roi Salman pour l’architecture et l’urbanisme, lancée en décembre 2021, illustre cette volonté de s’appuyer sur l’héritage architectural pour définir une identité nationale contemporaine et authentique.
Cette initiative établit des règles d’urbanisme qui respectent l’environnement et le patrimoine historique tout en favorisant l’innovation. Elle reflète la vision du roi Salman qui, en tant que gouverneur de la province de Riyad pendant plus de 50 ans, a développé une approche architecturale et urbanistique distinctive, adaptée notamment aux contraintes climatiques de la région.
Le Prix de la charte du roi Salman pour l’architecture et l’urbanisme, dont la première édition s’est tenue en août 2024, met en lumière cette démarche en récompensant des projets qui incarnent cette vision. Parmi les lauréats figure une agence d’architecture française, distinguée pour la conception du Banyan Tree Al Ula, un complexe hôtelier qui s’intègre harmonieusement dans son environnement désertique.
Comme l’a souligné l’architecte Reda Amalou : « Ce que je trouve intéressant dans la démarche de cette charte, c’est qu’elle dit très clairement que l’Arabie saoudite assume sa propre culture, qu’elle n’essaie pas d’en copier une autre et qu’elle veut au contraire la développer. »
Cette philosophie guide également les efforts de préservation d’Al-Balad, considéré comme un joyau du patrimoine national. En sauvegardant ce quartier historique, l’Arabie saoudite préserve un témoignage vivant de son histoire d’ouverture et d’échanges, tout en affirmant son identité culturelle unique.