Manifestations anti-Hamas à Gaza, tensions autour du gouverneur de la Banque centrale au Liban, réforme électorale controversée : au printemps 2025, le Proche-Orient s’enfonce dans l’impasse politique, entre répression, blocages institutionnels et lassitude des populations civiles.
Alors que la guerre se prolonge à Gaza et que les tensions internes s’aggravent au Liban, le printemps 2025 s’annonce particulièrement instable au Proche-Orient. Des mobilisations inédites secouent les territoires palestiniens, tandis que le Liban reste enliser dans une crise institutionnelle et économique, aggravée par des affrontements politiques autour de la Banque centrale. Ce climat de révolte et de paralysie politique reflète le désarroi grandissant des populations civiles face à des élites déconnectées et des conflits sans fin.
À Gaza, la colère éclate contre le Hamas
Le 25 mars 2025, des manifestations inhabituelles ont secoué le nord de la bande de Gaza, notamment dans la ville de Beit Lahia et dans le camp de réfugiés de Jabalia. Des centaines de Palestiniens ont bravé la peur et la répression pour protester contre la gouvernance du Hamas et réclamer un cessez-le-feu immédiat avec Israël. Les slogans scandés par les manifestants — « Hamas dehors », « Arrêtez la guerre » — traduisent un rejet frontal du mouvement islamiste au pouvoir depuis 2007.
Ces manifestations sont d’autant plus remarquables qu’elles ont eu lieu dans un territoire où la liberté d’expression est extrêmement restreinte. Selon un reportage publié par The Guardian le 26 mars 2025, les forces de sécurité du Hamas ont rapidement et violemment dispersé les rassemblements, procédant à des arrestations arbitraires et usant de matraques et de balles en caoutchouc contre les manifestants. Des vidéos relayées par des comptes Telegram palestiniens et reprises par Middle East Eye montrent des scènes de panique et de brutalités policières.
Ces événements témoignent d’un mécontentement profond dans une population meurtrie par des mois de bombardements, de pénuries alimentaires, de coupures d’électricité et d’enfermement. Le blocus israélo-égyptien, combiné aux politiques autoritaires du Hamas, laisse peu d’espoir aux habitants, dont une majorité vit sous le seuil de pauvreté, selon les chiffres de l’UNRWA.
Un cinéaste palestinien lynché et arrêté
Dans ce contexte de répression accrue, la figure du cinéaste palestinien Mohammed Bakri a cristallisé les tensions. Lauréat de plusieurs prix internationaux pour ses documentaires engagés, notamment Jenin, Jenin, Bakri a été violemment pris à partie par des partisans du Hamas à Gaza, selon des informations recoupées par Al-Araby Al-Jadeed, France 24, et Al-Quds Al-Arabi. Il a ensuite été arrêté par les forces du Hamas, accusé d’avoir « encouragé les troubles » et « affaibli le front intérieur ».
Le réalisateur s’était publiquement opposé à la poursuite de la guerre et avait exprimé son soutien aux manifestants. Son arrestation a suscité un tollé dans les milieux artistiques palestiniens et au sein de la diaspora. Dans une tribune publiée dans Haaretz, plusieurs intellectuels palestiniens ont dénoncé « l’inacceptable silence imposé par le Hamas » et exigé sa libération immédiate. Des organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International et Human Rights Watch, ont également exprimé leur inquiétude quant à l’intimidation des voix critiques dans l’enclave.
Israël : pression croissante pour un cessez-le-feu
De l’autre côté de la frontière, la société israélienne semble également montrer des signes de lassitude. Depuis début mars, des manifestations quotidiennes réunissent les familles d’otages israéliens retenus à Gaza, notamment à Jérusalem et à Tel Aviv. Des sit-ins ont été organisés devant les bureaux du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour exiger la reprise des négociations avec le Hamas.
Selon The Guardian et The New York Post, ces manifestations ont pris de l’ampleur après que le gouvernement israélien a rejeté une proposition de trêve formulée par le Hamas par l’intermédiaire de médiateurs qatarien et égyptien. Cette proposition incluait la libération progressive du reste des otages israéliens contre des prisonniers palestiniens, ainsi qu’une suspension temporaire des opérations militaires.
L’intransigeance du cabinet de guerre israélien, dominé par des figures de la droite radicale, alimente un climat d’inquiétude croissant dans l’opinion publique. Selon un sondage publié par Israel Hayom le 24 mars 2025, plus de 60 % des Israéliens souhaitent une pause humanitaire ou un cessez-le-feu conditionnel, principalement en raison de la situation des otages et de la pression économique interne.
Liban : bataille pour la Banque centrale et réforme électorale explosive
Pendant ce temps, au Liban, la scène politique est secouée par une autre forme de crise : la désignation du successeur de Riad Salamé, ancien gouverneur de la Banque du Liban. Dans un pays miné par l’hyperinflation, la dépréciation de la livre libanaise et l’effondrement du système bancaire, la nomination du nouveau gouverneur est perçue comme cruciale pour tenter de restaurer la confiance des bailleurs de fonds et relancer les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI). Mais, comme souvent au Liban, les considérations politiques et communautaires compliquent la tâche.
Parmi les noms pressentis pour prendre la relève, celui de Karim Souaid, avocat et consultant juridique, revient fréquemment. Il est aussi le frère de l’ancien député libanais Fares Souaid. Selon une enquête publiée par Libnanews le 22 mars 2025, Karim Souaid bénéficie du soutien de plusieurs poids lourds du système, dont Fouad Siniora, ancien Premier ministre libanais, et de proches du Président de la république libanaise, le général Joseph Aoun.
Cependant, cette proximité avec certains cercles de pouvoir soulève la méfiance de plusieurs courants réformateurs. Des membres de la société civile, appuyés par des experts économiques indépendants, redoutent une reproduction du modèle Salamé, basé sur le clientélisme et les compromis politiques. Un éditorial publié par L’Orient-Le Jour alerte ainsi sur les risques de « fausse réforme » si la nomination ne s’accompagne pas d’un changement de paradigme.
Selon la chaîne Al Jadeed, Nawaf Salam, Premier ministre libanais et ancien juge à la Cour internationale de justice, aurait exprimé son opposition à la candidature de Souaid.
Comme si ce climat d’incertitude ne suffisait pas, une nouvelle polémique a éclaté le 24 mars 2025 au Parlement libanais. À la surprise générale, Nabih Berri, président du Parlement libanais et chef du mouvement chiite Amal, a proposé d’instaurer une circonscription électorale unique pour l’ensemble du pays — une réforme qui bouleverserait en profondeur le système électoral actuel basé sur la répartition confessionnelle.
Cette proposition, selon LBCI News, n’était pas prévue à l’ordre du jour de la session parlementaire. Elle a immédiatement provoqué une levée de boucliers parmi les députés chétiens, druzes et sunnites, qui y voient une tentative de renforcer le poids démographique de la communauté chiite. Samy Gemayel, président du parti Kataëb, a dénoncé « une manœuvre dangereuse » visant à déstabiliser les équilibres établis depuis les accords de Taïf de 1989.
Nabih Berri a, de son côté, défendu une vision « moderne et non confessionnelle » de la représentation politique. Mais pour ses détracteurs, cette sortie n’est qu’un ballon d’essai destiné à tester les rapports de force.