Du bon usage des fétiches de la démocratie

Dépouillement, Niger, 27 décembre.

Sur un ton à la fois provocateur et détaché, Venance Konan, journaliste et écrivain, lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique noire 2012, revient dans cette nouvelle chronique pour Mondafrique sur les croisades, parfois meurtrières, qui ont été nécessaires pour imposer des religions dans le monde. Avec finesse et parti pris assumé, le journalisme et écrivain tente le parallèle entre les stratégies d’imposition de la religion et celles de la démocratie. Sous couvert d’être une démocratie, soutient-il, aujourd’hui on peut se permettre certains graves abus et même couvrir les turpitudes d’autres Etats amis, pour peu qu’ils soient riches et généreux.

Par Venance Konan

Il y a environ cinq siècles, le fétiche de l’Europe s’appelait le christianisme. Ce continent, qui avait dompté la poudre et les mers, était à la conquête du monde entier, et le christianisme était le fétiche qu’il utilisait. Avec des fusils aussi. Dès lors que l’Europe, qui se considérait comme le centre du monde, la référence absolue, la civilisation par excellence, était chrétienne, tout le reste du monde qu’il arrivait à conquérir devait aussi être chrétien.

Comme la Chine et la Corée du Nord

Qui n’était pas chrétien était un sauvage. Et c’est ainsi que toute l’Amérique, et de grandes parties de l’Afrique, de l’Asie et de l’Océanie devinrent chrétiennes. Et dès lors que l’Europe était chrétienne et civilisée, elle pouvait se permettre tout.

Tuer les autres, les sauvages, pour leur voler leurs terres et tout ce qu’ils ont comme richesse, ou les réduire en esclavage par exemple. C’est donc ainsi que les premiers habitants des continents américains et australiens furent massacrés par les très chrétiens et civilisés Anglais, Français, Espagnols, Portugais, Néerlandais, que les Noirs d’Afrique furent déportés en masse en Amérique et dans les Caraïbes par les mêmes, pour servir comme esclaves. Plus tard, ils vinrent très chrétiennement coloniser les terres africaines et dominer leurs populations.

Puis de nouveaux fétiches se mirent à concurrencer le christianisme qui commença à faiblir. Ces fétiches avaient pour nom, islam, bouddhisme, communisme, capitalisme. Alors les Européens se cherchèrent un autre fétiche. Et le trouvèrent.

Ainsi, aujourd’hui, l’Europe et ses excroissances que sont les Etats Unis, l’Australie, la Nouvelle Zélande et Israël, ceux-là qu’on a appelé le monde occidental, ont trouvé un nouveau fétiche qui s’appelle la démocratie. Et comme avec le christianisme, puisqu’il vient de l’occident, il faut l’imposer au monde entier. Qui n’est pas démocrate ne mérite donc pas d’exister. Sauf s’il a assez de force pour résister. Comme la Chine ou la Corée du nord par exemple.

Même l’Inde et Israël sont des démocraties

Depuis la seconde guerre mondiale, le monde occidental est en croisade pour répandre la démocratie partout sur la terre. Comme au temps du christianisme, on a fait des guerres à des peuples pour leur imposer la démocratie.

En utilisant le mensonge au besoin, comme ce fut le cas de l’Irak par exemple. Ou en imposant de lourdes sanctions, comme c’est le cas avec l’Iran, Cuba et la Corée du nord. Etre démocrate, surtout lorsque l’on est très fort, donne le droit de faire tout ce qu’on veut. Ainsi, les Etats Unis, la plus puissante démocratie au monde, veulent piétiner le droit international, piquer les Groenland au Danemark, chasser les Palestiniens de leurs terres ?

Chut ! Le président américain a été élu démocratiquement. Israël a massacré près de 50000 Palestiniens à Gaza, tue chaque jour les Palestiniens de Cisjordanie, a bombardé le Liban, la Syrie, l’Iran, pratique l’apartheid entre ses citoyens juifs et arabes ? Taisez-vous bon Dieu ! Israël est la seule démocratie au Moyen-Orient.  En Inde, les extrémistes hindous de Narendra Modi font la chasse aux musulmans ? Attention ! Vous parlez de la plus grande démocratie du monde, Monsieur !

Et lorsque l’on est démocrate, l’on peut donner des leçons au reste du monde et choisir ses amis. Même s’ils ne sont pas tout à fait démocrates. Par exemple, un de vos amis peut ne jamais organiser d’élection, couper régulièrement des têtes, interdire aux femmes (qui doivent être toutes voilées) de conduire des voitures, mais s’il a beaucoup de pétrole et à la bonne idée de dépenser tout son argent chez vous, on peut le considérer comme un démocrate et il peut faire tout ce qu’il veut. Comme découper un journaliste en petits morceaux par exemple.