Douze militants abolitionnistes américains, sur invitation de SOS Esclave Mauritanie, devaient séjourner en Mauritanie, du 08 au 15 septembre 2017. A leur arrivée à l’aéroport international Oumtounsi de Nouakchott, ils n’ont pas été autorisés à entrer en territoire mauritanien.
La délégation comprenant, entre autres, Jesse Jackson et Sean Tenner, a été ré-embarquée dans un avion, le 08 septembre, vers 23 heures, à destination de Paris. Entre autres raisons de ce refoulement, les autorités mauritaniennes ont fait état d’un « programme de visite non concerté. »
Ce refoulement aura-t-il des conséquences sur les rapports entre la Mauritanie et les Etats-Unis ? Quels étaient les vrais objectifs de cette visite ?
Quotidien de Nouakchott : Le ministre mauritanien de la culture, porte-parole du gouvernement, a déclaré que les autorités mauritaniennes ont signifié à la délégation des abolitionnistes, par l’entremise de l’ambassade des Etats-Unis à Nouakchott, qu’ils n’auront pas accès au territoire mauritanien. Que répondez-vous ?
Larry André : Je connais ce groupe depuis longtemps. Il est composé de militants pour la paix, pour l’entente entre les communautés, il est très impliqué, aux Etats-Unis, dans la lutte pour une meilleure compréhension entre les composantes de notre pays. L’esprit qui anime ce groupe est celui du révérend Jesse Jackson. Un homme avec qui j’ai travaillé ailleurs en Afrique. Jesse Jackson insiste toujours sur la souveraineté absolue de tous les pays. Il a toujours refusé de s’inscrire dans une démarche de reproche à l’encontre des dirigeants africains. Il est très respectueux de la souveraineté du continent. La délégation empêchée d’entrer en Mauritanie est inspirée par Jesse Jackson qui était le bras droit de Martin Luther KING ;
Sur demande de cette délégation, nous avons travaillé pour faciliter sa visite en Mauritanie. Ce travail a commencé en juillet par des contacts avec le gouvernement mauritanien. Les deux principaux dirigeants de ce groupe, monsieur Sean Tenner et Monsieur Jonathan L. Jackson, fils de Jesse Jackson ont expliqué qu’ils étaient déjà en contact avec la société civile mauritanienne.
Ils ont reçu à Chicago de grands leaders de cette société civile, notamment Boubacar Ould Messoud, président de SOS Esclaves et Biram Dah Abeid,président de l’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA). Ils ont donc expliqué qu’ils connaissent le point de vue de cette société civile mauritanienne et que par conséquent, ils voulaient venir en Mauritanie pour entendre le point de vue du gouvernement.
Ils ont affirmé avoir constaté que ce gouvernement a fait d’importantes réalisations dans la lutte contre l’esclavage à travers les tribunaux spéciaux chargés de la répression de cette pratique, l’agence Tadamoun pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage et la pauvreté…. Cette visite était d’abord une réponse à une invitation de Boubacar Ould Messoud qui avait été reçu aux Etats-Unis par ces abolitionnistes, ensuite pour avoir une meilleure compréhension du point de vue et des progrès du gouvernement mauritanien en matière de lutte contre l’esclavage.
QDN : Les autorités mauritaniennes ont parlé d’un programme non-concerté…
LA : Pour le programme de cette visite, la plus part des rencontres étaient donc prévues avec des représentants du gouvernement mauritanien. C’est au dernier moment, quand cette délégation était en route, que le gouvernement a décidé d’interdire son entrée en Mauritanie. C’est difficile à comprendre pour des gens qui voulaient venir pour prendre connaissance des progrès réalisés par ce gouvernement.
QDN : Quand vous dites «au dernier moment, » ça veut dire la dernière ligne droite ?
LA : Leur trajet, c’est Chicago-Paris et Paris-Nouakchott. Nous avons reçu l’information sur cette interdiction la nuit du jeudi, sept septembre. Les membres de la délégation ont cherché un compromis en proposant au gouvernement d’apporter d’autres modifications au programme de la visite. Je précise que le gouvernement a reçu les documents de cette visite transmis par « Abolution Institute », des documents comportant le programme. Il (le gouvernement) avait suggéré des modifications qui ont été acceptées.
Les abolitionnistes ont été surpris car il n’y avait aucun problème, en recevant, subitement, pendant qu’ils étaient en route, la nouvelle de l’interdiction. Après avoirs reçu cette nouvelle, ils ont affirmé encore leur disposition à accepter d’autres changements du programme. Ils ont aussi proposé aux autorités mauritaniennes de désigner quelqu’un pour les accompagner dans toutes les étapes de leur visite.
« La Mauritanie a marqué contre son camp »
Nous respectons la souveraineté de l’Etat mauritanien. Nous travaillons pour plus de compréhension mutuelle. Malgré tout, les autorités mauritaniennes ont refusé l’accès à leur territoire à la délégation. C’est leur droit. La question de cette souveraineté ne se pose pas. Mais moi, en tant qu’ami de la Mauritanie, si je prends l’exemple sur le football, je dirais que la Mauritanie a marqué contre son camp.
QDN : Dans le communiqué de l’ambassade, il est écrit que le gouvernement américain est déçu et préoccupé par ce refus d’entrer sur le territoire mauritanien. Est-ce que cet incident pourrait avoir des répercussions négatives sur les relations entre les deux Etats ?
LA : Je répète, ce gouvernement a été choisi par le peuple mauritanien à travers une élection pour gouverner et nous respectons donc ses décisions. Depuis mon arrivée ici, il y a un peu plus de trois ans, j’ai toujours encouragé le gouvernement et la société civile à travailler ensemble pour faire progresser le pays, surtout dans le domaine des Droits de l’Homme.
Ce refus d’entrer essuyé par la délégation de la société civile américaine aura-t-il des conséquences négatives sur les rapports Mauritanie-Etats-Unis ? J’en doute car notre partenariat est très fort. Parfois, nous sommes déçus par les décisions de la Mauritanie et parfois, le gouvernement mauritanien est déçu par ce que nous faisons. C’est normal entre des amis, des pays partenaires. Il peut y avoir des malentendus parce que l’on voit les choses différemment. Les vrais amis expriment leurs idées dans le respect. Et je répète, nous respectons ce gouvernement et nous reconnaissons qu’il a le droit de décider. Est-ce que nous sommes déçus ? Oui.
QDN : Vous êtes ici depuis plus de trois ans. La fin de votre mission n’est plus loin. Il y a ici une critique récurrente contre l’action des Etats-unis et surtout contre votre « activisme » en matière de Droits de l’Homme. On dit « il est le représentant d’un pays qui a une longue tradition d’esclavagisme avec encore des séquelles, les Etats unis ce sont les bavures policières qui touchent les noirs, le représentant d’un pays comme çà n’est pas fondé à rappeler les principes de respect des droits de l’homme et de lutte contre l’esclavage », c’est la critique qui revient très souvent.
LA : Les membres de cette délégation refoulée sont, majoritairement, issus de la communauté noire des Etats-Unis, ils sont descendants d’esclaves ayant souffert de discrimination raciale chez nous, qui luttent pour les droits de l’Homme. Ils ne venaient pas ici pour donner des leçons. Ils venaient pour échanger des idées. Quand Boubacar Messoud est venu à Chicago, il lui ont expliqué ce qu’ils font pour améliorer la situation de noirs américains qui souffrent jusqu’à présent de la discrimination et d’autres tares. Ces noirs sont majoritaires dans les prisons, le taux de chômage est beaucoup plus élevé chez eux que chez les autres.
Nous avons aux Etats-Unis fait des progrès en matière de lutte contre la discrimination. Mais nous sommes très loin du paradis. Nous ne sommes pas ici pour dire que nous avons atteint la perfection. Après échanges d’expériences, ils ont été invités par Boubacar à visiter la Mauritanie pour continuer ces échanges, pour promouvoir l’unité et la compréhension entre les composantes des sociétés. Comme aux Etats-Unis, la lutte contre l’esclavage est commune à tous les mauritaniens.
Notre rôle en tant qu’ambassade était de faciliter cette visite privée. Un de nos buts en effet, est d’encourager la Mauritanie qui nous ressemble dans sa diversité, pour qu’elle continue dans le bon chemin pris depuis des années. Nous reconnaissons que la Mauritanie a fait des progrès, nous l’encourageons à continuer. Il reste beaucoup de choses à faire ici en Mauritanie et aux Etats-Unis.
QDN : Vous allez partir et être remplacé. Il y a une inquiétude perceptible chez certains militants des Droits de l’Homme qui vous considèrent comme une sorte d’activiste des droits humains, un ambassadeur très atypique. Maintenant, c’est l’Administration Trump avec le slogan l’Amérique d’abord. Cette administration, pensent certains milieux des droits de l’homme en Mauritanie, ne sera pas très préoccupée par les questions des Droits de l’Homme.
« Avec Trump, ça ne va pas changer… »
LA : En tant qu’ambassadeur des Etats-Unis en Mauritanie, j’ai été nommé par le président Obama. Je viens d’être nommé par le président Trump ambassadeur à Djibouti. Je suis diplomate de carrière. C’est mon rôle de promouvoir la politique du gouvernement élu par le peuple américain.
«Avec Trump, les objectifs ne changeront pas… »
Pendant la présidence d’Obama, nos objectifs en Mauritanie étaient, d’abord notre partenariat sécuritaire, ensuite la prospérité à travers des relations commerciales, politiques et économiques enfin la bonne gouvernance, les Droits de l’Homme. Je viens de recevoir les objectifs de l’Administration Trump pour la Mauritanie. C’est la sécurité, la prospérité et la gouvernance, notamment les droits de l’Homme. Ce sont donc les mêmes objectifs.
Je me considère militant de Droits de l’Homme. Je suis militant pour la prospérité de la Mauritanie et des Etats-Unis, militant pour la sécurité de nos deux pays, militants pour nos objectifs.
Propos recueillis par Khalilou Diagana