Gabon, la chanteuse Annie-Flore Batchiellilys: « la haine ne construit pas »

Il y a des artistes dont la voix transcende les générations, des voix qui portent plus loin que la musique. Annie-Flore Batchiellilys est de celles-là. Chanteuse, militante, passeuse de mémoire, elle a fait de son art une arme pour défendre l’Afrique, l’unité et l’héritage culturel gabonais. Mais aujourd’hui, alors qu’elle a rejoint les rangs du Sénat, une question se pose : son engagement politique sert-il ses idéaux ou la place-t-elle en caution du régime en place ?

Née en 1967 à Tchibanga, Annie-Flore Batchiellilys a grandi au rythme des chants traditionnels Nzébi, bercée par les récits et les valeurs de ses ancêtres. Très tôt, elle comprend que la musique n’est pas qu’un divertissement : c’est un langage, un cri, un acte de résistance.

Dans « Afrique mon toit », elle chante son attachement viscéral au continent, un amour teinté de douleur et d’espoir.

 Extrait des paroles de « Afrique mon toit » :
« Afrique mon toit, je te pleure et je te ris
Afrique mon toit, je t’appelle et je te prie
Je suis l’enfant de tes douleurs
Je suis la voix de ton espoir… »

Un texte puissant, qui résonne comme une promesse faite à sa terre natale.

Un appel à l’unité dans un pays fragmenté

Mais Annie-Flore ne chante pas seulement l’Afrique, elle porte aussi un message profondément gabonais. « Ngabu » est une ode à la diversité de son pays, un plaidoyer pour un Gabon où chaque communauté a sa place, au-delà des clivages ethniques :

« C’est dans l’unité que l’on doit devenir
Marions nos idées, la haine ne construit pas (ça c’est vrai)
Le Gabon sans tous ces groupes ethniques ne serait pas mon pays
Ngabu sans le groupe Mbendé, Okandé, Bakota et Pygmées, tsi Ngabu
Que tu sois du groupe Fang, Omyene, ou Merié
Travaillons ensemble, le Gabon est notre maison
L’héritage de nos enfants passe avant nous
Travaillons ensemble, le Gabon est notre raison
Abat le « chez moi d’abord », qu’on s’enivre de chez nous. »

Ces mots résonnent comme un engagement, un rappel que la véritable richesse d’un pays repose sur sa cohésion et non sur ses divisions.

Une militante de la culture… et une cible politique

Chanter pour la mémoire, pour la transmission, c’est aussi prendre des risques. En 2006, Annie-Flore Batchiellilys crée le festival des Nuits Atypiques de Mighoma, un événement qui devient plus tard la Rencontre Internationale des Peuples et des Arts de Mighoma. Plus qu’un festival, c’est un espace de dialogue entre les cultures, un carrefour où les voix oubliées trouvent une tribune.

Mais son engagement a un prix. Lors de l’élection présidentielle de 2009, ses prises de position lui valent d’être mise au ban du paysage médiatique gabonais. Pendant trois ans, elle est privée de concerts et ses chansons disparaissent des ondes. Ce n’est qu’en novembre 2015 qu’elle retrouve la scène à Libreville, comme une résurrection artistique et politique.

Sénatrice sous un régime militaire : engagement ou compromis ?

Le 6 octobre 2023, Annie-Flore Batchiellilys est nommée sénatrice par le général Brice Clothaire Oligui Nguema qui a renversé Ali Bongo lors du coup d’Etat du 30 aout 2023. Elle fait ainsi partie des 70 personnalités choisies pour siéger au sénat de la transition qui est la chambre haute du parlement du Gabon, dans un pays où la démocratie a été mise en suspens  et où le régime militaire soulève de plus en plus d’inquiétudes.

L’artiste engagée d’hier est-elle devenue une figure du pouvoir ? Son entrée en politique est-elle une manière de peser sur les décisions ou une intégration forcée dans un système qu’elle a autrefois critiqué ?

Dans « Dikoka », elle chante :
« Nous sommes l’histoire, nous sommes le chant des ancêtres
Nous sommes le feu qui danse sous les étoiles… »

Une manière de dire que l’histoire appartient à ceux qui osent la porter. Mais reste à savoir de quelle manière elle souhaite écrire la sienne.

Une étoile qui brille encore, mais sous quel ciel ?

Ce qui est certain, c’est qu’Annie-Flore Batchiellilys n’a jamais cessé d’être une voix singulière. Sur scène, elle ne chante pas, elle vibre, elle incarne chaque mot, chaque note, chaque silence.

 Conclusion avec « Afrique mon toit » :
« Je suis née sous tes étoiles
J’ai grandi dans ton regard
Je suis ton enfant, Afrique mon toit
Et je t’aimerai toujours… »

Un engagement sans faille pour la culture, une passion indéfectible pour son pays. Mais alors qu’elle occupe désormais un poste politique, la question demeure : sa voix continuera-t-elle à défier le pouvoir ou finira-t-elle par l’accompagner ?

 

Pierre Claver Akendengué : une Afrique en quête de sens