Sahel, toujours aucune lueur d’espoir

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Fin connaisseur de la région, l’ancien ministre des Affaires étrangères de  la Mauritanie et ancien Secrétaire général des Nations Unies Ahmedou Ould Abdallah estime ici que la crise qui secoue depuis de nombreuses années le Sahel n’est pas près de se résoudre. 

      Par Ahmedou Ould Abdallah, directeur du Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel Sahara (C4S)

Le Sahel demeure fragilisé par le terrorisme, toujours et encore, depuis 2005! Dégradation de l’environnement oblige, il s’élargit et le terrorisme s’y répand, s’y enracine et s’y banalise. Ce contexte expose et fragilise davantage ce vaste espace composé de pays souvent peu structurés pour faire face aux multiples ambitions et menaces internes et externes d’acteurs plus organisés, plus déterminés et annonçant à tous d’attractives promesses ici-bas et au-delà. L’enracinement et l’extension continus de ce terrorisme – désormais une image de marque du Sahel – se renforcent par la sanglante guerre civile du Soudan, encore à ses débuts, l’impasse armée en Libye et la fuite en avant des Etats du Sahel eux-mêmes.

Le retour à une sorte de guerre froide reste un pari inutile face à tant de périls favorables à l’enracinement et l’extension du terrorisme. Le déficit des capacités d’anticipation, un des immenses défis, reste à lever.

Guerres sans vainqueurs, ni vaincus

Longtemps à la périphérie des centres d’activité et des stratégies des capitales nationales, le Sahel naguère attractif, y compris pour le tourisme international, est depuis les années 2000 un souci sécuritaire. Après avoir été l’objet d’enjeux militaires et diplomatiques pendant plus d’une décennie, le voici plus exposé. Un espace d’autant plus favorable à l’insécurité et aux trafics que la totalité de ses partenaires extérieurs est prise par des priorités pour eux plus stratégiques : les guerres en Ukraine et au Moyen Orient. Face à ces nombreux défis, les responsabilités gouvernementales et citoyennes, ne peuvent continuer d’être renvoyées aux calendes grecques.

Avec depuis plus d’une décennie de conflits, ou plutôt de véritables guerres, sans vainqueurs ni vaincus mais de nombreuses victimes, les Etats du Sahel sont plus que jamais fragilisés. Pire, des citoyens, surtout les plus jeunes, ne croyant plus en l’avenir ont peur du futur. Autant, sinon plus que la démographie et l’urbanisation rapide, ces doutes sur le futur expliquent aussi les migrations massives à l’intérieur et au-delà des frontières du Sahel. L’enracinement de la violence renforce le terrorisme et le légitime socialement. Des réalités avec lesquelles vivre est tragique pour la majorité des citoyens mais un business de trafics illégaux – drogues (cannabis, cocaïne), or, voitures, cigarettes, migrations, y compris le commerce illégal lié à elles -, de spéculations immobilières et de détournement de marchés publics,  y compris ceux financés par l’aide internationale.

Ce contexte de laisser aller et de violence permanente met sous forte pression les gouvernements et les autorités traditionnelles. Les partenaires étrangers s’y trouvent souvent paralysés. Le pays profond est de plus en plus laissé aux terroristes, car les administrateurs, enseignants et autres agents publics ne veulent ou ne peuvent plus servir à l’intérieur du pays. Souvent sans protection crédible et pris en tenaille entre parties opposées, ils fuient leurs postes administratifs. Dépités ou contraints, certains rejoignent les groupes rebelles dont le message est jugé au moins plus clair.

Cette fragilisation rampante des états intoxique le Sahel, créant des suspicions à tous les niveaux. Elle élargit et approfondit le fossé entre les pays largement affectés – Burkina Faso, Mali et Niger – et leurs voisins déjà atteints ou menacés de terrorisme. Des pays étrangers,  en particulier la France, voient leurs messages et discours officiels utilisés pour mobiliser les jeunes contre Paris et l’Occident. Comme ailleurs, cette fuite en avant des dirigeants est politiquement favorable aux groupes armés. Elle en fait des adversaires reconnus, leur assurant une plus grande visibilité plutôt favorable aux financements et recrutements. Enfin, Cet affaiblissement progressif des institutions publiques et leur « re-tribalisation » continue alimentent et consolident les terroristes.

En procédant à de fréquentes attaques armées, souvent spectaculaires (aéroports, pipelines), ils privilégient la visibilité ‘’le prioritaire’’ et sont ainsi plus reconnus et craints. Au même moment, ils préparent le ‘’secondaire’’ soit de futurs fronts dans des régions et pays sur lesquels ils ont une visée. Ils s’y installent pour recruter de nouveaux partisans, choisissent de devenir clandestins dans les conflits locaux qui se connectent entre eux. En attendant…des actions armées.

45 millions de déplacés de force

A ces situations de grandes souffrances, manifestations de faiblesse des gouvernances nationales, s’ajoutent les mouvements des populations : déplacés internes et refugiés. Dans ce contexte près de 163 millions d’africains font face à une forte insécurité alimentaire et 45 millions sont déplacés de force. Un contexte favorable à l’enracinent et surtout à la culture du ‘’terrorisme politique.’’ Un terrorisme qui, selon les conjectures politico économiques, est soit armé et violent soit plus discret et exerçant uniquement un pouvoir de pression comme un lobby moderne.

Précisément, dans les pays en crise, des liens étroits existent entre la gouvernance, le développement et la perpétuation des conflits. Des vases communicants. Les conflits non réglés ont des conséquences multiples qui se renforcent mutuellement, perpétuant l’insécurité. Ils incluent: des insurrections entre et au sein des groupes armés eux-mêmes, des coups d’Etat dans les pays affectés donc une lutte interne au pouvoir, des acteurs extérieurs en compétition et encourageant des forces armées opposées. Tous ignorent ou favorisent les destructions de l’environnement et les catastrophes naturelles.

Devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, qu’elle présidait en mai 2023, la Chine plaida pour un soutien international adapté au contexte Sahélien. Elle insista sur l’importance d’un concept de sécurité commune, portée par une coopération régionale du Sahel et au-delà. Elle rappela les défis de la région : terrorisme, crise humanitaire, réduction de la pauvreté, changement climatique et développement économique. La Chine ajouta que la lutte contre le terrorisme reste une priorité absolue dans la mesure où il ne cesse de progresser contre les armées nationales, les civils et le commerce inter-Etats en bloquant les routes nationales, régionales et internationales.

Au-delà des moyens militaires, indispensables, s’attaquer aux causes du terrorisme, à ses moyens de lutte et garantir des ressources de substance aux populations, leur sécurité alimentaire, devrait rester prioritaires car essentiels dans ce combat. Combattre le terrorisme invite ainsi à utiliser plus que les moyens militaires. Savoir s’attaquer à ses causes et racines profondes et disposer de moyens de substance pour tous. La sécurité alimentaire et le développement de l’agriculture, de l’élevage et des infrastructures physiques sont essentiels dans ce combat. Le tout avec un sens de l’urgence appuyé par la communauté internationale…si elle n’a pas de plus importantes priorités !

Précisément, l’extrême vulnérabilité des pays des golfes du Benin et de Guinée ainsi que les conflits au Soudan et en Libye fragilisent aussi le Sahel. Cette fragilisation aggrave davantage l’insécurité que subit une région très politisée – Burkina Faso, Mali et Niger. Des fuites en avant militaires et diplomatiques affaiblissent des Etats et des populations  exsangues après plus de douze années de guerre et…sans paix en vue.

Ce rude contexte, national, régional et international, favorise des concurrences voire des disputes entre les puissances extérieures intéressées ou présentes au Sahel. Au-delà de la coopération économique et militaire, la communication voire la désinformation, réussit depuis plus de deux ans aux Chinois, Russes, Turques et d’autres mais pas particulièrement à la France. Mais plus qu’ailleurs, au Sahel tout est mouvant, du sable.

In fine : Boosté par un nouveau patriotisme militant, dans quelques capitales, le terrorisme en sort, pour le moment, le seul gagnant. Régler un conflit civil est un défi à lever afin d’orienter les efforts de tous vers l’unité nationale et le développement et non vers des « retribalisations » ou une nouvelle guerre froide dont la Sahel ne peut qu’en payer la facture. 

PS : la future Administration Trump devrait être la bienvenue pour les populations sahéliennes car leurs gouvernements apercevront que les discours idéologiques de la guerre froide sont depuis longtemps enterrés.