Dans le paysage musical africain, certains artistes ne se contentent pas de chanter : ils racontent, dénoncent, enseignent. Pierre Claver Akendengué est de ceux-là. Ce poète et musicien gabonais, à la fois enraciné dans ses traditions et ouvert au monde, porte depuis plus de cinquante ans la voix d’une Afrique fière, blessée, mais toujours tournée vers l’espoir.
Né en 1943 sur l’île de Nengué, au Gabon, Pierre Claver Akendengué quitte son pays pour poursuivre ses études en France. Un exil qui, loin de l’éloigner de ses racines, lui permet d’aiguiser son regard sur l’Afrique. C’est là-bas qu’il compose « Nandipo », son premier album publié en 1974. Une œuvre fondatrice où il chante les espoirs trahis de l’après-indépendance :
« Les enfants du pays qui rêvent,
D’un demain que l’on espère sage,
Marchent dans la poussière rouge,
Des espoirs d’hier… »
Les mots d’Akendengué sont un miroir tendu à son époque : celui d’une Afrique tiraillée entre le poids du passé et les promesses du futur.
Une musique au carrefour des mondes
La richesse de l’œuvre d’Akendengué réside dans sa capacité à mêler modernité et tradition. Sa guitare accompagne des récits poétiques, empreints de spiritualité et d’humanité. Il interpelle les consciences avec des chansons comme « Libérez la Liberté », véritable cri contre l’oppression :
« Libérez la liberté,
Ne la gardez pas prisonnière.
C’est elle qui donne la vie,
C’est elle qui éclaire nos terres. »
Dans « Nkéré », il convoque les esprits des eaux, rappelant l’importance des forces invisibles dans la culture africaine :
« Nkéré, esprit des eaux profondes,
Guide nos âmes à travers les ombres.
Les ancêtres murmurent des vérités,
Nkéré, montre-nous la lumière cachée. »
Dans « Sans oublier l’oublié », il met en lumière ceux que l’histoire laisse dans l’ombre :
« Qui se souvient de ceux
Dont les noms n’ont pas d’écho ?
Ceux qui marchent sans visage,
En quête d’un lendemain plus beau. »
Et puis, il y a « Considérable », une fresque poétique et tragique qui raconte le destin de Poe, un personnage métaphorique représentant les opprimés de ce monde. Poe, petit par la taille mais immense par son humanité, traverse des épreuves qui reflètent les luttes de tout un peuple :
« Petit par les centimètres, grand par les sentiments,
Il s’appelait Poe.
Il aimait chanter “ah, que le monde est méchant et que Dieu est grand.”
Mais chaque fois qu’il chantait, il tombait des gouttes d’eau.
Les hommes en ont eu marre, l’ont chassé du village… »
À travers le périple de Poe, Akendengué dépeint une Afrique en quête de liberté, aux prises avec l’oppression, la modernité et la violence. La chanson se termine sur un message universel :
« Vivre sans vivre la liberté dans son pays,
Ce n’est pas digne d’un peuple considérable,
Mais tout peuple est considérable. »
L’engagement en héritage
La carrière d’Akendengué est marquée par une prise de position sans concession face aux injustices. Dans « Afrika Obota », il rappelle à l’Afrique son identité et ses responsabilités :
« Afrika, Afrika, mon berceau,
Les ancêtres parlent dans le vent,
Ils disent de ne jamais oublier,
Qui nous sommes et d’où nous venons. »
Avec « Powê », il célèbre l’unité et la résilience collective, appelant à ne jamais renoncer :
« Powê, lève-toi,
La terre chante sous tes pas.
Tes ancêtres dansent avec toi,
Powê, ne baisse pas les bras. »
Un baobab de la musique africaine
À 81 ans, Pierre Claver Akendengué reste une figure incontournable de la musique africaine. Ses textes sont des appels à l’action, des hommages à ceux qui résistent, des hymnes à la liberté. Par sa voix, il incarne un continent debout, fidèle à ses racines et tourné vers l’avenir.
Si la musique peut éclairer les âmes, Pierre Akendengué en est la preuve vivante. Ses chansons sont des passerelles entre les générations, des dialogues ouverts entre tradition et modernité. Avec lui, l’Afrique parle. Avec lui, le Baobab ou plutôt l’Okoumé, elle marche, encore et toujours, vers un horizon que le poète – forcément optimiste – entrevoit radieux malgré les embuches.