Ghania Mouffok est partie sur les routes du sud-est, d’El Oued à Ouargla et aujourd’hui à Touggourt, où les flics font leur apparition, « ni méchants, ni menaçants ». « Ils sont là », Et bien là.
Je vais être franche, je ne garderai pas un souvenir impérissable de Touggour, célèbre jadis pour son « Tombeau des Rois »(voir ci contre). Car c’est dans cette ville qu’a commencé ma filature. Voici l’affaire : en vérité, si je parcourais ainsi le sud-est de mon beau pays, c’est parce que je travaillais pour une ONG belge, elle-même travaillant pour un programme de l’Union Européenne, et j’étais mandatée pour faire une étude sur le mouvement associatif, la société civile.
J’avais rendez-vous avec une association de jeunes qui ambitionnaient, m’avait-on dit, d’organiser les élites locales. Alléchant, non ? Quand je suis arrivée dans leurs bureaux en plein centre de la ville, j’avais été impressionnée: immeuble flambant neuf, escalier en marbre, salon en simili cuir, plante verte et portrait du président A. Bouteflika, enfin bref, tout le décor cher à nos nouveaux riches. C’est là que j’aurais dû me méfier…
Mes hôtes avaient fière allure, ils ressemblaient aux blacks des films américains sur le mouvement civique dans les années 60, franchement, ils étaient beaux, jeunes, minces et moulés dans leur jeans, bien que glaçants. A peine avais-je expliqué l’objet de ma visite qu’ils se fermèrent comme des tombes, je compris que j’étais pour eux l’incarnation de la fameuse « main de l’étranger ». Ils me regardèrent d’un air soupçonneux, me demandèrent des preuves de mon identité, des ordres de mission, des autorisations, etc. etc. Notre entretien fut bref.
A peine avais-je quitté leurs bureaux que mon téléphone se mit à sonner, une voix se prétendant membre d’une association que je n’avais pas sollicitée me sommait de lui donner rendez vous. J’étais déjà en rendez-vous et je promis de rappeler. Furieuse, la voix insiste : mais où es-tu ? Qui es-tu ? Dans quel hôtel es-tu descendue ? Je lui rendis la politesse, et toi, lui dis-je, où es-tu, donne-moi ton adresse et je viendrai te voir, non, m’a-t-elle répondu, c’est moi qui viens te voir. Bon, tu me lâches maintenant, et bonne journée.
Deux heures plus tard, le téléphone sonne, cette fois, c’est une voix moins autoritaire qui se présente comme un journaliste d’une télé privée, il voudrait m’interviewer, moi, l’experte pour l’Union Européenne, c’est très gentil, lui dis-je, mais généralement je préfère être de l’autre côté de la caméra. Oui, mais tu es où ? insiste la voix numéro deux. Lâche-moi mon garçon, ton insistance est grossière. Et ce sera ainsi pendant toute la journée. De guerre lasse, la police finira par avancer à visage découvert, le lendemain matin, à l’heure du petit-déjeuner, je reçois la visite courtoise d’un policier en civil, la police avait fini par enfin trouver où je logeais, pas trop tôt, d’autant plus que je ne me cachais pas et que j’étais installée à l’hôtel Pouillon de la ville, tenu par un ancien militaire, charmant au demeurant, en rupture avec l’armée.
Je suis El Amn, me dit-il, la sécurité, bienvenue lui dis-je, maken walou, ajoute-t-il, il n’y a rien, ouais je sais bien qu’il n’y a rien, mais qui es-tu, je suis journaliste, j’enquête sur le mouvement associatif, tu as un ordre de mission ? un ordre de mission, et de qui, mon cher monsieur, non je n’ai pas d’ordre de mission, je suis libre, tu comprends, je suis free lance et je circule librement en mon beau pays, tu sais le parti unique, c’est fini, non ? D’une grande politesse, l’homme avait l’air plus ennuyé qu’autre chose, il ne savait pas trop au fond quelle question me poser, ni même quel était l’objet de sa mission, maken walou, répétait-il, oui je sais, maken walou. Nous nous quittons cordialement et à partir de ce moment là, je serai suivie matin et soir, d’une wilaya à l’autre par des policiers en civil. Et c’est très désagréable…
Mes anges gardiens ne sont pourtant ni méchants, ni menaçants, ils ne se cachent pas, ils se contentent d’être là. Quand ma voiture démarre, ils démarrent, quand je m’assois dans un café, ils s’assoient à la table d’à côté et ils écoutent ma conversation, quand je me lève, ils se lèvent, quand je vais dans des bureaux, ils attendent dehors, ils n’ont ni carnet, ni stylo, ils ne prennent aucune note, ils sont juste là, comme une deuxième ombre. Quand je quitte une wilaya, je suis attendue à la sortie, avec les deux amis qui m’accompagnent, Yacine et Hocine, curieux de tout, calmes et pondérés. Notre voiture a été signalée. On entend les grésillements des talkies-walkies, avec le flic qui dit, bon, la voiture elle est là, et maintenant, qu’est-ce que je fais ? eh bien, tu fais rien, au revoir madame, au revoir monsieur, et c’est reparti, une nouvelle escorte m’attendra à Ouargla, puis à Ghardaïa