Les ultimes protecteurs du Hamas Palestinien: la Turquie, l’Iran, l’Algérie

Dans cet entretien de notre chroniqueur Xavier Houzel avec la journaliste et experte du Moyen-Orient  Joëlle Hazard, qui a eu lieu le 24 novembre, Mondafrique revient sur les rares pays qui tendent encore la main à l’ensemble des Palestiniens, qu’ils appartiennent au Hamas ou pas

L’émirat a joué pendant plus d’un an et non sans un certain succès un rôle de médiateur entre le Hamas et Israël

Question :  L’émirat du Qatar, estimant qu’un cessez-le-feu à Gaza est hors de portée, invite le bureau politique du Hamas à quitter temporairement Doha.  Comment expliquez-vous ce changement de cap ? 

Il y a plusieurs interprétations possibles à ce changement qui s’apparente à un constat. Pour les uns, la décision des Autorités Qatariennes est un aveu d’impuissance et, pour d’autres, elle traduit un sursaut de dignité. J’y vois pour ma part une preuve de mesure et un geste d’espoir – un message courageux – sachant qu’avec la base d’Al Udeid, dans le désert à environ 25 km au sud-ouest de Doha, le Qatar héberge la plus grande installation militaire américaine au Moyen-Orient.

L’émirat a joué pendant plus d’un an et non sans un certain succès un rôle de médiateur entre le Hamas et Israël, puisqu’un cessez-le-feu temporaire aura permis un échange d’otages et de prisonniers ; sans oublier qu’en 1923, l’émirat a également obtenu la libération de prisonniers américains par le Venezuela et par l’Iran, en 2023. Pourquoi la honte ? Parce que le Qatar fut pendant des années le comparse d’Israël, en facilitant pour l’État Hébreu le financement du Hamas et qu’alors ses dirigeants savaient ce qu’ils faisaient et dans quel but – l’objectif d’Israël étant de diviser les Palestiniens.

Pourquoi la mesure ? Parce qu’il ne s’agit pas aujourd’hui d’expulser les membres du Bureau Politique du Hamas et leurs familles, mais de les inciter à trouver ailleurs un soutien plus efficace. Pourquoi l’espoir ? Parce que, s’il advenait qu’Israéliens et Américains changent d’avis ou d’attitude, le Qatar serait toujours là, prêt à des choses constructives ! La fourberie d’Israël, la fausse ingénuité des Européens et le machiavélisme américain n’en sont pas pour autant effacés. Personne n’a l’intention de rendre Gaza à la Palestine pas plus que de faire de la Palestine un État indépendant. Il s’agit bien là d’un génocide en chambre, cartographique autant que chromosomique, sur le papier comme sur le terrain ; et le Qatar tente… de s’en laver les mains.

Question : La Turquie, l’Iran et l’Algérie semblent vouloir prendre alors le relais du Qatar, en hébergeant chacun une partie des membres du Bureau Politique du Hamas. Quelle est la raison de cette répartition entre ces nouveaux hôtes ?

La Palestine est une patate que l’on s’échange du bout des doigts comme un brandon qui se consume ; c’est surtout un vocable en déshérence que les Juifs ont préféré ne pas reprendre de peur d’être confondus avec leurs cousins Philistins et Phéniciens, pourtant leurs cousins[i] ! Tout le monde s’arrache le parrainage de la Palestine moderne ! Vous mentionnez trois pays dont on est tenté de faire les « rois mages » de sa réincarnation : la Turquie, l’Iran et l’Algérie.

La Turquie a la nostalgie de l’empire Ottoman, ce qui est naturel : ce sultanat fut pendant des siècles le gardien des lieux saints des trois religions de l’Arbre. Depuis le Traité de Berlin de 1878 et surtout après 1898, il ne restait plus à l’Empire que l’Anatolie, la Mésopotamie (Syrie, Irak, Jordanie) et la Palestine[ii]. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan aujourd’hui jubile, il se régale de l’émission par la Cour pénale internationale (CPI) de mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant. Il y voit comme un firman de son propre Grand Vizir. Mais il a les mains liées, son pays est entre deux cathèdres. Il estime qu’Israël milite en sourdine pour un partage du Proche-Orient du genre « Sykes-Picot » au bénéfice des Kurdes et des Juifs et qu’un ou plusieurs Kurdistan pourraient en émerger avec pour résultat providentiel d’affaiblir à la fois les Turcs et les Arabes. C’est l’une des raisons pour laquelle la Turquie se propose d’accueillir les rescapés du Bureau Politique du Hamas !

L’Iran doit estimer pour sa part que le fait de mettre un terme même temporaire à la guérilla que par procuration il entretient au Proche-Orient pourrait calmer les Israéliens – lesquels commencent à être fatigués par un guerre sur deux fronts – et qu’alors, la tempête passerait ! La République Islamique fait face à des difficultés que le retour de Trump risque de rendre bientôt insurmontables. Donner l’hospitalité à quelques Palestiniens du Hamas, c’est comme détenir un otage, sachant qu’Israël compte 80.000 citoyens d’origine iranienne. L’Iran finance le Hezbollah, le Hamas, le régime syrien, les milices irakiennes et même les Houthis… le fait est qu’il pourrait cesser de le faire, ce qui arrangerait les choses !

Quant aux Algériens, ce sont des gens bruts de décoffrage mais souvent assez fins (et carrés) : le souvenir de leur guerre d’indépendance (et de leur guerre civile) les rapproche des Palestiniens ; le parcours diplomatique d’Alger, depuis leur séparation d’avec la France, en fait de bons bretteurs dans les enceintes de l’ONU : la dernière proposition de résolution du Conseil de sécurité sur la Palestine approuvée par 14 pays contre une seule voix (le véto de américain de trop) émanait de l’Algérie. L’Algérie tient le Maghreb, qui serait aujourd’hui islamiste sans la poigne de ses généraux ; l’Algérie est l’amie de la Russie ; il est utile pour le Hamas d’y entretenir ne serait-ce qu’une antenne.

Ces trois pays sont les seuls à vouloir et à pouvoir encore soutenir le Hamas ; or ce n’est pas un apostolat, c’est un témoignage, une prise de responsabilité.

Il faut savoir que les Irakiens, par exemple, rejettent la solution à deux États (de peur que la formule ne soit appliquée chez eux demain), mais ils ne proposent pas d’alternative, sachant que les Kurdes comptent sur Israël ; sachant aussi que les Chiites attendent l’Iran et l’Imam caché ; sachant que les Sunnites campent sous la bannière de la Turquie et des pétromonarchies et, qu’en un mot, les Arabes adorent parler et laisser les choses se faire selon la volonté de Dieu. Qu’en fin de compte, Israël a devant soi un boulevard.

Question : Comment expliquez-vous l’aveuglement de la communauté internationale ? L’entrée en lice du nouveau président américain pourrait changer la donne. Un cessez-le-feu en Ukraine semble être envisageable dès le printemps prochain ; en revanche, aucune solution réelle ne paraît se profiler pour le Proche-Orient. Pourquoi ce « deux poids deux mesures » ?

La stratégie de Netanyahou suit les recommandations de Richard Perle dans le brûlot fondateur des néo-conservateurs américains de 1996 : « A Clean Break : A New Strategy for Securing the Realm ». Ce document préconisait un remodelage du Moyen-Orient de manière à affaiblir les adversaires de l’État Hébreu ; il n’excluait pas l’« acquisition de territoire » par la guerre ; le compromis n’y primait pas la démonstration de force. Ses auteurs récusaient l’application du principe fondateur de la Résolution 242 (22 novembre 1967), résumé par l’équation de « la Terre contre la Paix », qui prônait une solution à deux États pour résoudre la question palestinienne. La parenthèse de la présidence Biden n’a rien changé. Fort de son alliance avec les ultras Ben Gvir et Smotrich, Netanyahou s’est délibérément livré à la Fragmentation Calculée du Moyen-Orient. On devait déjà aux tenants américains de cette approche l’écartèlement de l’Irak et la destitution de Saddam Hussein (après l’invasion US de 2003), la déstabilisation de la Syrie de Bachar Al-Assad et son dépeçage, l’éclatement du Liban en factions cantonales et la partition du Yémen en deux blocs opposés : cela au grand dommage des pays d’à-côté, acteurs inconscients ou spectateurs impuissants, en réalité des cibles. Israël a encouragé la volonté d’indépendance des Kurdes, où qu’ils soient, ainsi que la division des Palestiniens en multiples coteries. La prédilection ainsi affichée par Israël pour la fragmentation de son voisinage comme moyen de domination locale n’est plus à démontrer. Et je tiens à le redire : un tel comportement n’aurait pas pu perdurer si l’État Hébreu n’avait pas été le mandataire et même l’auxiliaire des États-Unis. Examinée avec le recul indispensable, l’adhésion de Netanyahou à l’idée de telles « ruptures nettes » (le Clean Break de Perle) a bel et bien provoqué depuis un quart de siècle, plus exactement depuis le 11 septembre 2001 (pris comme un facteur déclencheur), une situation d’instabilité permanente. Les divisions sectaires de l’Arabie saoudite (20% de Chiites) et la diversité ethnique de l’Iran (seulement 49% de Perses) rendent ces puissances pétrolières vulnérables. La déstabilisation de l’Irak, du Yémen, de la Syrie et du Liban pouvait s’étendre à ces deux pays, avant d’entraîner les émirats du Golfe Persique dans le sillage de leur naufrage[iii]. Qui est assez naïf pour croire un instant que les Accords d’Abraham furent motivés par un élan du cœur ? Les signataires arabes de ces accords – à l’exception du Maroc qui vit dans l’occasion la possibilité d’un troc (avec l’Amérique, et portant sur le Sahara Espagnol) n’avaient de choix qu’entre la corde et le sort du pendu !

Question : Vous mettez les Américains directement en cause, voulez-vous dire que ces derniers seraient allés jusqu’à aligner eux-mêmes les pièces de cette partie de dominos … et à les bouger ?

Les Américains ne pensent qu’aux Américains. Les Américains n’ont absolument aucun problème de sécurité énergétique, à ceci près qu’ils ont été rendus furieux par la signature de l’OPEC Plus (fomenté par Riyad et Moscou principalement). Ils n’ont pas d’état d’âme par rapport à la fracturation hydraulique (ou fracking) des Gaz de schiste. Ils peuvent épuiser les Russes, les Saoudiens et les Iraniens dans une course à l’échalotte. On oublie que la chienlit du terrorisme ambiant résulte de leurs équipées sauvages d’abord en Afghanistan avec Ben Laden et ensuite en Irak à deux reprises, en 1991 et 2003, pour y tout casser, avoir à leur merci les monarques du coin et mettre à leur botte les puissances décaties de l’Europe déclinante (et pour cause). C’est pourquoi la fragmentation du Proche et du Moyen-Orient risque de créer des vides de pouvoir que les groupes extrémistes pourront continuer d’exploiter pour affaiblir les alliés des États-Unis et perturber les marchés mondiaux à l’avantage de ces derniers.

Si le rôle des Américains est immoral, le pari d’Israël n’est-il pas particulièrement risqué ?

Personne ne nie que le risque pris par Israël est de nature existentielle. La dépendance d’Israël à l’égard d’un conflit perpétuel contraste avec la vision intégrationniste des accords d’Abraham et la Vision 2030 de l’Arabie saoudite. Si la stratégie de Netanyahou n’est pas maîtrisée, elle pourrait déclencher une conflagration régionale, laissant Israël isolé dans un Moyen-Orient de plus en plus interconnecté. Les BRICS n’auraient plus qu’à se pencher.

Question : L’arbitrage de Trump va s’imposer tous azimuts. Sachant que l’Ukraine est un pays européen, l’Europe a-t-elle encore un rôle à jouer sur son propre territoire ?

On sait maintenant quel personnage les Américains auront pour président l’année prochaine. On craignait qu’à la seule annonce de ce nom, la terre ne tremblât jusqu’au 21 janvier 2025 (date anniversaire de la mort de Louis XVI et jour du départ de Joe Biden), mais tout semble vouloir se passer normalement ! Ce qui ne veut pas dire normalement et que ce calme soit rassurant. Les masques des acolytes du futur président tombent comme des marrons d’Inde, les plus lourds et les plus ronds les premiers, l’écorce semi-ouverte et les piquants dardés – tels Elon Musk à l’Efficacité gouvernementale et Linda McMahon à l’Éducation. Les partants, ceux de l’équipe actuelle, sont à la ramasse sur un tapis de feuilles d’automne ; le monde dégouline de partout ; c’est un séisme lent. Mais l’Europe est toujours là. N’anticipons pas. Tout ce que l’on peut espérer est qu’elle reste unie et surtout qu’elle se réveille. Chacun sait qu’avant le Proche-Orient, le travail de sape de nos cousins Américains s’était acharné sur l’Union Européenne : le Premier ministre Barnier en sait quelque chose pour s’être coltiné Boris Johnson. L’Europe doit se sauvegarder ; la France doit se préserver. Il n’est pas excessif de dire qu’elles ont été attaquées collectivement et individuellement, mais c’est un autre sujet.

Peut-on parler de myopie stratégique de la part de Netanyahou et des Américains ?

Vous me volez la formule !

Ils concentrent leurs efforts mutuels de positionnement stratégique et de diffusion sur les buts qu’ils poursuivent sans le moindre souci des dégâts collatéraux qu’ils provoquent, au lieu de se concentrer sur les besoins, les aspirations légitimes ou même les droits fondamentaux de ceux qui les gênent. Que vous soyez les Palestiniens en cause ou que vous soyez la France sur quelque continent que ce soit, au Moyen-Orient, en Afrique, ou en Europe et sur tous les océans.

Qu’arriverait-il si les Accords d’Abraham étaient relancés et que l’Arabie saoudite les rejoignait ? 

Les Accords d’Abraham sont un rêve éveillé pour la péninsule Arabique et pour le Grand Moyen-Orient en général, à la condition que de tels accords n’aient pas été conçus et qu’ils ne soient pas mis en œuvre à l’avenir contre des intérêts spécifiques. Sa première vertu serait de mettre fin au fameux conflit israélo-arabe, lequel empoisonne le monde depuis 75 ans. Que l’Arabie saoudite adhère aux Accords d’Abraham voudrait dire que la guerre de Gaza est terminée et qu’une solution acceptable pour tout le monde – à commencer par les Palestiniens dans leur ensemble – a été négociée. Enfin ! On ne pourrait alors que s’en réjouir, surtout … surtout si d’autres grands pays comme l’Iran et la Turquie étaient finalement invités à ratifier de tels Accords. Il faudrait pour cela que l’État Hébreu nettoie le seuil de sa porte et change de doctrine. Si le programme « A Clean Break » lui a permis d’obtenir des succès tactiques, il présente pour les voisins d’Israël et pour l’État Juif lui-même – je le répète – des risques existentiels à long terme : il favorise l’extrémisme en créant des vides de pouvoir que les groupes extrémistes peuvent exploiter, en mettant en danger toute la région. Et une instabilité persistante comme celle qui résulte des positions ultra-conservatrices de l’actuel gouvernement Netanyahou ne peut qu’aliéner des alliés potentiels comme l’Arabie saoudite et saper à jamais les efforts d’intégration régionale facilités par les Accords.

Question : Que préconiseriez-vous ?

C’est excessivement simple : que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qui a les cartes en main, propose à la Knesset l’élargissement du gouvernement actuel à toutes les tendances politiques de l’État Hébreu pour en faire un gouvernement d’union nationale ! Et qu’importe alors si messieurs Ben Gvir et Smotrich, dans ces conditions, refusaient tout portefeuille. Cela se voit comme le nez au milieu de la figure, tout serait alors réglé.

[i] NDLR : Tiré du Larousse : « Selon la Genèse, Abram (nom sous lequel il est connu avant que Dieu ne le nomme Abraham) est l’un des trois fils de Térah, un nomade araméen originaire d’Our en Chaldée (basse Mésopotamie), descendant lui-même de Sem et de Noé. Térah décide de quitter la région d’Our pour migrer avec son clan. Le pays de Canaan qui lui est donné, Dieu le transmet ensuite à Isaac, puis à Jacob, fils et petit-fils d’Abram, devenu Abraham, « Père d’une multitude »…Une nouvelle recherche génétique effectuée par le Wellcome Trust Sanger Institute a découvert que loin d’avoir été détruits, les Cananéens sont devenus aujourd’hui les habitants du Liban moderne.

Des scientifiques de ce centre de recherche génétique basé au Royaume-Uni ont séquencé les gènes de cinq Cananéens, vieux de 4 000 ans, et les ont comparés à d’autres populations anciennes et contemporaines, avec notamment un échantillon de 99 Libanais. Les résultats, publiés le 27 juillet dans la publication American Journal of Human Genetics, montrent que 93 % des aïeux des ancêtres des Libanais modernes descendent des Cananéens… Et s’ils avaient été détruits par les Israélites – qui avaient reçu l’ordre divin de les faire disparaître de la surface de la terre – il aurait pu s’agir d’une forme de parricide. Selon l’étude, les Cananéens ont été les ancêtres communs de plusieurs populations anciennes qui ont habité le Levant durant l’âge de bronze comme les Ammonites, les Moabites et… les Israélites… « Chacun d’entre eux a créé sa propre identité culturelle mais tous ont en commun une racine génétique et ethnique avec les Cananéens », selon les auteurs de cette nouvelle étude… Un mystère entoure néanmoins la destinée des Cananéens qui ont été ultérieurement connus sous le nom de Phéniciens  mais ils sont cités dans la bible hébraïque – où leur annihilation est clairement détaillée… Dans le Deutéronome, verset 20:16, les Israélites anciens reçoivent le commandement de Dieu d’anéantir complètement les peuples cananéens après la mort du chef Josué. « Car tu dévoueras ces peuples par interdit, les Héthiens, les Amoréens, les Cananéens, les Phéréziens, les Héviens, et les Jébusiens, comme l’Eternel, ton Dieu, te l’a ordonné… Mais dans les villes de ces peuples dont l’Eternel, ton Dieu, te donne le pays pour héritage, tu ne laisseras la vie à rien de ce qui respire !

[ii][ii] NDLR : L’empire ottoman avait déjà perdu ses territoires au Nord de la mer Noire et en Afrique du Nord, ainsi que dans le golfe Persique, Bahreïn et Qatar.

 

[iii] NDLR : Le document « Clean Break » proposait une approche proactive pour remodeler l’environnement stratégique d’Israël en affaiblissant les adversaires et en rejetant tout compromis. Les politiques de Netanyahou ont concrétisé cette doctrine avec une cohérence remarquable. Le but d’Israël était de fomenter la division en manipulant la fragmentation. Cette tactique repose sur l’exploitation des divisions existantes entre les adversaires afin de maintenir son avantage stratégique :

° La question kurde : Israël fait activement pression en faveur de l’autonomie kurde, la présentant comme une défense de principes tout en l’utilisant pour déstabiliser l’Irak, la Syrie et l’Iran. Les alliances avec des groupes kurdes hostiles à Téhéran et à Damas servent les objectifs à court terme d’Israël, mais risquent de déclencher des conflits ethniques et sectaires plus vastes.

° Les divisions palestiniennes : Le soutien précoce documenté d’Israël au Hamas était une mesure calculée pour affaiblir le Fatah et fracturer l’unité palestinienne. L’isolement de Gaza par des blocus et des offensives garantit la poursuite de la division, ce qui compromet les perspectives d’un front palestinien unifié.

° Un héritage de fragmentation :

  • L’Irak : La destitution de Saddam Hussein a éliminé un rival régional mais a fragmenté l’Irak en divisions sectaires, créant ainsi un vide propice à l’influence iranienne.
  • La Syrie : Les frappes aériennes soutenues et le soutien indirect aux forces d’opposition ont contribué à l’affaiblissement du régime Assad, transformant la Syrie en un État fracturé.
  • Le Liban : les efforts d’Israël pour réduire le Hezbollah ont exacerbé l’instabilité politique et économique du Liban, le transformant en un champ de bataille par procuration et créant des risques à long terme pour la sécurité d’Israël lui-même.

 L’adhésion de Netanyahou à la fragmentation contraste fortement avec les principes des accords d’Abraham et le cadre potentiel des Accords d’Abraham :

° La déstabilisation du Liban par Israël est en contradiction avec le besoin de stabilité régionale de l’Arabie saoudite pour contrer l’influence iranienne et soutenir la Vision 2030.

° La philosophie de la « rupture nette » sape les exigences saoudiennes d’une résolution de la question palestinienne comme condition préalable à la normalisation.

° Les stratégies de fragmentation contredisent l’éthique intégrationniste des accords d’Abraham, qui privilégient la collaboration plutôt que le conflit.

 

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)