La justice suisse se penche sur l’assassinat d’un diplomate égyptien… en 1995 

Deux personnes comparaissent à partir du 2 décembre devant le Tribunal pénal fédéral (l’équivalent de la cour d’assises) pour leur participation à l’assassinat du directeur adjoint du bureau commercial de la mission égyptienne à Genève, le 13 novembre 1995. On ignore toujours quel est le commanditaire de cette exécution.  

Par Ian Hamel, à Genève         

C’est une affaire particulièrement insolite que vont devoir élucider les magistrats de Bellinzone, dans le canton italophone du Tessin, siège du Tribunal pénal fédéral. Alaa al-Din Nazmi, 42 ans, est abattu de six balles tirées par un pistolet semi-automatique dans le parking souterrain de son immeuble à Genève en novembre 1995. On lui vole sa mallette qui devait vraisemblablement contenir des documents sensibles. Acte d’un professionnel ? Pas exactement : le silencieux a été bricolé avec de la mousse d’appui-tête de voitures et du scotch. Il est retrouvé sur le sol du parking.  

Les investigations se portent d’abord sur le Centre islamique de Genève (CIG), fondé par Saïd Ramadan, le gendre d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans égyptiens, farouches adversaires des dirigeants du Caire. Le CIG est perquisitionné le 23 novembre 1995. Tariq et Hani Ramadan sont mis sur écoute pendant plusieurs semaines, sans résultat. Pure coïncidence ? Tariq Ramadan est interdit de séjour en France trois jours plus tard, le 26 novembre 1995. Le 5 décembre 1995, dans « La Tribune de Genève », Tariq Ramadan accuse le gouvernement égyptien d’être à l’origine de cette interdiction. Néanmoins, le 9 mai 1996, le tribunal administratif de Besançon annule cette interdiction.     

Un commanditaire « non identifié »          

L’enquête piétine jusqu’en… 2018. Grâce aux progrès technologiques, et notamment à l’utilisation d’algorithmes de détection, on retrouve sur le silencieux l’ADN d’un délinquant local, surnommé “Momo“. Originaire de Côte d’Ivoire, il est arrivé à Genève à l’adolescence. Son casier judiciaire est long comme le bras : « lésions corporelles », « séquestration », « contrainte sexuelle », « cambriolage », « vols de voitures ». L’une de ses anciennes amies, aujourd’hui esthéticienne à Genève, a également laissé son ADN sur le silencieux. Le problème, c’est que ni l’un ni surtout l’autre n’ont véritablement des profils de tueurs.  

L’acte d’accusation se contente d’évoquer un assassinat orchestré par un ou des commanditaires « non identifiés », contre « une rémunération indéterminée ». Depuis son incarcération, “Momo“ a toujours nié les faits. L’enquête n’a pas avancé d’un pouce. Sa complice supposée comparaît libre à son procès : elle n’avait que 20 ans au moment de l’assassinat du diplomate égyptien. Les investigations n’ont pas pu démontrer qu’ils auraient perçu la moindre somme pour cette basse besogne. La justice ignore tout du ou des commanditaires. 

Attendait-on la prescription en 2025 ?

Philippe Girod, l’avocat de « Momo », constate assez justement que les hypothèses émises au moment des faits ne se retrouvent pas aujourd’hui dans le dossier. Le 15 novembre 1995, deux jours après l’assassinat, la Gama’a de la justice internationale, une organisation totalement inconnue, a revendiqué l’acte au nom du Palestinien Abdallah Azzam, le père de la « guerre sainte », combattant en Afghanistan contre l’armée soviétique, tué en 1989 (1). Cette organisation ne s’est plus jamais manifestée depuis. Par ailleurs, Alaa al-Din Nazmi, le diplomate égyptien, aurait été chargé de rmettre la main sur le trésor de guerre des Frères musulmans que gérait Saïd Ramadan, mort peu avant, le 4 août 1995. Où en était-il de ses investigations ?

Curieusement, Le Caire, très active au moment de l’assassinat de son diplomate, est dorénavant aux abonnés absents. Sa veuve n’a même pas souhaité être entendue, ni se porter plaignante », souligne le quotidien Le Temps (2). Une journaliste égyptienne, travaillant dans un média lié au régime, nous a confié qu’elle n’avait pas reçu le feu vert pour évoquer ce procès. Certains attendaient peut-être 2025 et la prescription de trente ans pour que l’affaire ne passe jamais devant les tribunaux.

Genève, trente ans d’énigmes autour du trésor de guerre des Frères Musulmans  

  • Richard Labévière, « Les soldats de la terreur », Grasset, 1999.
  • Fati Mansour, « Diplomate égyptien abattu à Genève : un procès fédéral avec un casting improbable et un crime qui garde tout son mystère », 29 novembre 2024.
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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)